Opinions - 17.09.2025

Les réservoirs et hydrocarbures «non Conventionnels»: Un nouvel espoir pour l’Afrique du Nord et la Tunisie

Les réservoirs et hydrocarbures «non Conventionnels»: Un nouvel espoir pour l’Afrique du Nord et la Tunisie

Par Ali Gaaya, Consultant International en E&P Pétrolières (HEPIC)

1. Introduction et Révolution mondiale du «schiste»

Depuis l’initiation en 2007, de l’exploration et du développement par les Etats Unis (USA), du «gaz de schiste», avec pour objectif d’atteindre l’autosuffisance énergétique, et de se passer du gaz et pétrole du Moyen Orient, cette nouvelle industrie, continue de diviser les populations et même les gouvernements, entre sceptiques, voire hostiles, et enthousiastes!

Alors, que constate-t-on après moins de 2 décennies, sinon que les USA sont devenus le premier producteur de gaz, devançant la Russie, et le premier producteur de pétrole, devançant l’Arabie Saoudite, alors qu’ils étaient le plus grand importateur de ces énergies! Il est à noter aussi que cette nouvelle industrie continue de se développer sans incidents majeurs.

Il est clair, que le boom du pétrole et du gaz de schiste, a transformé la géopolitique énergétique mondiale, les États-Unis devenant de plus en plus indépendants des importations de pétrole du Moyen-Orient, et même exportateur de gaz ; on a vu leurs effets sur le crash du prix du baril en 2014, et l’exportation du gaz à certains pays européens, lors de la crise avec la Russie au début de la guerre avec l’Ukraine!

Devant cette «success story» américaine, beaucoup d’autres pays ont commencé à développer cette nouvelle industrie, qui a fait ses preuves, dont le Canada, la Chine, l’Argentine, l’Afrique du Sud, et même l’Australie, et certains pays européens., et du Moyen Orient.

Mais qu’en est-il de l’Afrique du Nord, alors que plusieurs études nationales et internationales, indiquent des ressources notables, en particulier en Algérie qui recèlerait des ressources en gaz, techniquement exploitables, qui la placerait à la 4è place mondiale, et la Libye, qui se classerait 5è en ressources de pétrole de schiste? Quant à la Tunisie, même si ses ressources potentielles sont relativement modestes à l’échelle mondiale, elles représenteraient des volumes suffisamment importants pour espérer devenir autosuffisante en matière d’énergie primaire! Malgré ces perspectives, seule l’Algérie a fait quelques avancées intéressantes, et a procédé à des tests de forages encourageants; la Libye a pris du retard, vu ses tensions internes; quant à la Tunisie, elle est «aux abonnés absents», malgré les avis de ses experts…

2. Rétrospective brève du secteur pétrolier tunisien

2.1. Rappel de l’âge d’or du secteur pétrolier

Rappelons que la Tunisie avait connu ses heures de gloire en matière de pétrole et gaz «conventionnels» jusqu’à la fin du vingtième siècle, où elle est devenue de plus en plus déficitaire, son taux d’indépendance en matière d’énergie primaire, ne dépasse pas actuellement les 40% de ses besoins.

En effet, la période 1960-1995, peut être considérée comme l’âge d’or de l’exploration et production pétrolière et gazière en Tunisie. La découverte et la mise en production du champ géant d’El Borma au sud du pays en 1964 (environ 700 Mb de réserves), ainsi que des importants champs offshore de pétrole d’Ashtart en 1971 (réserves voisines de 350 Mb), et du champ à gaz de Miskar en 1974 (2 Tcf), la Tunisie était entrée de plain-pied dans l’ère pétrolière. La production pétrolière qui a résulté du développement de ces découvertes, ainsi que celles réalisées par les Majors, a atteint un plateau entre 5 et 6 Millions de Tonnes par an (MT/an) correspondant à un pic voisin de 110 000 barils par jour (b/j), durant l’intervalle 1979 à 1984 (Fig.1).

La manne pétrolière, dégageant un excédent pouvant atteindre 10 Mb/an durant les années 90 (correspondant à environ de 2.5 Milliards de Dinars actuels), a largement contribué au développement du pays, et constituait la première source de devises pour la Tunisie.

2.2. Fin de l’autosuffisance pétrolière avec l’achèvement du XX siècle  

Malheureusement, toutes ces découvertes étaient de petites tailles, et n’arrivaient pas à compenser l’augmentation sans cesse croissante de la consommation, ni le déclin naturel des principaux champs de pétrole. De plus, le taux de succès s’avérait faible et inférieur à 20% dans la plupart des régions terrestres ou maritimes. Ceci a amené certains Majors tels que Shell, Elf, Total ou Marathon, à quitter le pays. Ils ont été remplacés par l’arrivée des Indépendants de moindre capacité technique et financière, qui ont maintenu quand même une activité relativement élevée, avec quelques succès.

La mise en production de Miskar, le plus grand champ de gaz en 1996, découvert depuis 1974, ainsi que le prélèvement fiscal sur le gazoduc transméditerranéen, qui achemine le gaz depuis le Champ de Hassi R’mel en Algérie jusqu’en Sicile en Italie ont amélioré la situation énergétique globale, mais ne pouvaient pas empêcher la diminution de «d’indépendance pétrolière dès l »an 2000 (Fig.1).

2.3. Déclin de la balance énergétique depuis la Révolution

La situation de l’exploration s’est nettement dégradée dès le deuxième semestre 2014, suite au crash du prix du baril de pétrole, qui est passé de 110 $ à environ 48 $. A ceci s’ajoute la situation politique et sociale tendue et instable, qui a suivi la révolution du 14 janvier 2011. Le résultat est une chute brutale des activités d’exploration, comme en témoignent la plupart des indicateurs : les permis, au nombre de 52 en 2010, ne sont plus que de 23 en 2017, et de 15 seulement actuellement.  Les forages d’exploration sont passés de 12 en 2012 à 2 seulement en 2017.et aucun forage en 2024 et à fin juin 2025!

Fig.1: Evolution de la production de pétrole et de gaz en Tunisie (Extrait)

Cette baisse d’activité n’a pas affecté que l’exploration; ce qui compromet l’avenir énergétique du pays en l’absence de nouvelles découvertes, mais elle a aussi touché les opérations de développement et de production, qui est passée de 75 000 b/j en 2010 à une moyenne de 38 700 b/j en 2017; elle n’est plus que de 27 000 b/j en 2025. Le déficit énergétique se creuse de plus en plus et avoisine les 4.5 Millions de Tonnes par an (MT/an). Le taux d’indépendance énergétique du pays est alarmant, et n’est plus que de 39% ! Ceci ne manquera pas d’avoir un impact négatif important sur le budget de l’Etat, et le pouvoir d’achat de nos concitoyens!

Devant cette situation peu enviable, le développement des ressources potentielles du pétrole et gaz de roche-mères « dits non conventionnels ou de schiste», peut-il constituer un espoir sérieux de relance du secteur de l’énergie ?

3. Définition des hydrocarbures «non conventionnels»

Les différentes catégories de réservoirs et d’hydrocarbures dits ‘non conventionnels’ peuvent se résumer ainsi:

Le Gaz et Pétrole de Schiste (Shale Gas & Shale Oil or Light Oil)
Les Sables Compacts ou Quartzites et les Carbonates (Tight Gas & Oil)
Les Sables Bitumineux (Tar Sands)
Les Schistes Bitumineux (Oil Shale)
Le Gaz de Charbon (Coal Bed Methane ou CBM)
Les Huiles lourdes et Extra lourdes (Heavy & Extra Heavy Oil )
Les Gaz Hydrates (Hydrate Gas)
Les roches Volcaniques ou Métamorphiques (Volcanic & Metamorphic Rocks)

4. L’exploration des hydrocarbures de «roches-mères»: zones d’intérêt et ressources potentielles

Contrairement aux gisements conventionnels où les hydrocarbures sont concentrés dans des réservoirs de bonne qualité d’extension relativement limitée (quelques km ou dizaines de km), les hydrocarbures non conventionnels sont diffus dans toute la roche-mère de très faible perméabilité, sur plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de kilomètres. Pour une production économique, leur développement commercial, nécessite donc des centaines, et parfois de milliers de forages. Le taux de succès géologique de leur exploration est relativement élevé, et peut dépasser les 80%, car le système pétrolier est particulièrement simple et qu’on peut qualifier de «5 en 1». Toutefois, du fait de son hétérogénéité, ce type de réservoirs, a un taux de succès commercial bien plus faible et, seules les meilleures zones qualifiées de «sweet spots» sont exploitables favorablement. Ces zones favorables sont caractérisées essentiellement par une richesse en matière organique dépassant les 2%, une épaisseur relativement élevée (20 mètres et plus), une minéralogie appropriée, relativement riche en quartz ou carbonates, les rendant aptes à la fracturation, etc.

4.1. Les zones d’intérêt en Tunisie et leurs ressources en hydrocarbures «non conventionnels»

Notons que les réservoirs compacts (ou «tight reservoirs») tels que les quartzites de l’Ordovicien, situés au sud du pays, ainsi que les carbonates répartis un peu partout, et particulièrement au nord et au centre du pays, n’ont pas été évalués. Il en est de même de la plupart des roches-mères du Crétacé ou du Tertiaire, qui couvrent pratiquement tout le territoire Tunisien. Seules les roches-mères du Silurien (le Tannezuft) et du Dévonien (le Frasnien ou « Aouinet Ouinine ») ont été évaluées, principalement par l’EIA, un Bureau américain (Energy Information Administration), ou anglais (Oxford Economics, ainsi qu’Etap, la Société nationale (Entreprise Tunisienne d’Activités pétrolières).

Ces roches-mères paléozoïques, sont d’une qualité comparable, sinon meilleure par certaines caractéristiques, que celles qui sont prolifiques aux USA, telles que le «Marcellus shale» ou le «Bakken Shale» d’âge dévonien.

4.2. Ressources potentielles en Afrique du Nord et en Tunisie

L’étude de l’EIA de certains bassins sédimentaires d’Afrique du Nord montre que cette région peut constituer une province pétrolière parmi les plus prolifiques au monde, recelant au total, environ 33.5 Milliards de barils (Gb) en ressources de pétrole techniquement récupérables, et 24 500 Milliards de ressources en gaz (Gm3) (Fig.2)!

La Libye occuperait la 5è place mondiale en ressources pétrolières, et l’Algérie, la 24è place en ressources gazières derrière les USA, la Chine, et l’Argentine. Quant à la Tunisie, qui ne détient qu’une petite partie du Bassin de Ghadames, commun aux 3 pays, les ressources techniquement récupérables seraient de 23 Tcf (ou 648 Gm3) de gaz, et de 1,5 Gb de pétrole, ce qui représente environ 2 fois les réserves du champ géant d’El Borma, ou tout ce qu’a produit la Tunisie depuis la mise en production de ce champ depuis 1964!

Fig.2: Ressources potentielles en Afrique du Nord et en Tunisie (EIA, 2015)

Pour ce qui est des ressources en gaz, elles représenteraient environ 10 fois les réserves gazières de Miskar, le plus grand champ de gaz en offshore ! Bien sûr, ces chiffres peuvent changer suivant les paramètres utilisés, en particulier le degré de maturation de la roche-mère, le degré des connaissances des divers bassins sédimentaires et le coefficient de récupération. Mais les diverses études publiées, indiquent des ordres de grandeur élevés et comparables.

5. Relance de l’exploration et indépendance énergétique

Une étude d’«Oxford Economics Bureau», diligentée en 2014 par l’un des opérateurs, et qui regroupe les ressources du Sud (Bassin de Ghadames), et de l’Est du pays (Bassin pélagien), montre que, dans le cas le plus favorable, les ressources peuvent atteindre environ 2.65 Gb de pétrole et 15 Tcf de gaz. Si tel est le cas, la Tunisie pourrait devenir indépendante en matière d’énergie primaire, et même devenir exportatrice pendant quelques décennies. L’enjeu devient particulièrement important si ces estimations se confirmaient. En vue de confirmer ces ressources et de les transformer en réserves, il faudrait d’abord bien sûr en autoriser préalablement l’exploration et procéder au forage des zones les plus prospectives. Il faut aussi noter que les études réalisées jusqu’à présent, s’intéressent aux « hydrocarbures de schistes » du sud tunisien et partiellement de l’Est du pays. En fait, plusieurs roches mères couvrent aussi de larges zones du centre et du nord du pays, dont le potentiel en hydrocarbures, mérite d’être évalué.

6. Conclusions & Recommandations

Les conditions de la réussite d’une relance de l’exploration consistent en : un environnements politique et social favorables à l’investissement, une révision du code des hydrocarbures, tenant compte du contexte international et national, une ainsi qu’une circulation plus appropriée et fluide des données techniques (benchmark de la règlementation des durées de confidentialité des données), diminution de la taille des permis d’exploration;

La préparation, dès que possible, du cadre règlementaire et autorisation de l’exploration des hydrocarbures de « roches-mères ou non conventionnels ». Les enjeux sont très importants pour l’économie tunisienne, le développement du pays et son indépendance énergétique. Il faudrait tenir compte du facteur temps, un paramètre critique dans tout projet pétrolier;

L’Introduction de la compétition ou ‘’Bidding Rounds’’, en particulier dans les zones prospectives du sud, ainsi que pour l’exploration des hydrocarbures de «roches-mères» (gaz et pétrole de «schiste»);

Une gestion de l’eau en tant que «source et ressource» (voir publications de l’auteur sur ce thème). En effet, on produit dans le monde et en moyenne, environ trois fois plus d’eau que de pétrole, à partir des gisements matures. Une bonne gestion de ces eaux, un traitement approprié, peut constituer de nouvelles ressources d’eau, disponibles pour l’agriculture ou d’autres utilisations industrielles. Pour le développement des hydrocarbures non conventionnels, il est recommandé l’utilisation du gaz propane (ou ses dérivés) qui sont de plus en plus utilisés pour la fracturation dans les régions arides, en remplacement de la fracturation hydraulique A défaut l’utilisation de l’eau de mer sera envisagée.

Les ressources en gaz et en pétrole de roches-mères ou «hydrocarbures de schistes», constituent un potentiel important et indispensable pour le développement du secteur des hydrocarbures de toute l’Afrique du Nord, et de la Tunisie. Elles représentent une opportunité et un espoir réel pour une meilleure indépendance énergétique de ces pays. Les ressources techniquement récupérables seraient suffisantes pour garantir, cette indépendance pendant plusieurs décennies, voire constituer un excédent précieux.

Ces mesures permettraient de redynamiser le secteur amont des hydrocarbures et d’améliorer sa contribution à l’économie, au développement du pays, et de répondre aux attentes sociales post-révolution, à l’amélioration durable de la qualité de vie, à la création d’emplois, et au développement des régions les moins favorisées. Elles permettent ainsi d’améliorer l’acceptabilité sociale des nouveaux projets, y compris ceux relatifs aux «hydrocarbures non conventionnels».

Nos voisins algériens ont pris de l’avance en matière de législation et d’évaluation initiale de l’intérêt pour le pays du développement de cette industrie des hydrocarbures de schiste, et sont prêts pour avancer. La Sonatrach a signé en 2024, un protocole d’entente (Memorandum Of Understanding –MOU) avec le super Major américain Exxon, et d’autres Majors, en vue d’envisager ensemble les projets d’exploration et de développement des ressources de certains bassins tels qu’Ahnet, où les forages pour le gaz de schiste ont montré des résultats encourageants! 
Il serait donc judicieux et recommandé, de constituer un « Comité tripartite » entre l’Algérie, la Tunisie et la Libye pour travailler ensemble et échanger les données et les compétences, ne serait-ce que pour le développement des ressources du bassin de Ghadamès, qui est commun aux 3 pays.

Ali Gaaya
Consultant International en E&P Pétrolières (HEPIC) 

NB: Les analyses et idées exprimées dans cet article sont celles de leur auteur, et n’engagent aucunement l’Onem (Observatoire National de l’Energie et des Mines), qui a publié certaines des données, ni les associations professionnelles ou sociales dont l’auteur est membre.

 

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