News - 06.07.2023

Le Soudan: l’heure d’une nouvelle dislocation a-t-elle sonné?

Le Soudan: l’heure d’une nouvelle dislocation a-t-elle sonné?

Par Mohamed Ibrahim Hsairi - L’objet et l’objectif de cet article ne sont pas de relater les faits de cette guerre qui frappe, depuis plus de deux mois, le Soudan, mais d’émettre quelques réflexions sur son absurdité. Et pour commencer, je voudrais citer Georges Kiejman qui a dit, un jour, que «la guerre bouleverse tout, les vies, les destins, les trajectoires, la géographie».

Sans nul doute, la guerre au Soudan qui a, déjà, fait des milliers de morts et de blessés et des millions de déplacés tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, a tragiquement bouleversé tout : les vies, les destins et les trajectoires des Soudanais. Toutefois, ce qui sera plus tragique, c’est qu’elle risque de bouleverser, encore une fois, la géographie de ce vaste pays, qui a déjà été amputé de son sud en 2011.

Ce «mauvais présage» n’est pas, seulement, le mien. Il est, hélas, partagé par nombre d’experts et d’analystes qui, se basant sur le précédent de la sécession du sud, craignent qu’avec cette nouvelle guerre, le Soudan ne soit pas à l’abri d’une nouvelle dislocation.

Plusieurs facteurs, tant endogènes qu’exogènes, justifient cette prédiction qui est, certes, pessimiste mais qui n’est pas, néanmoins, irréaliste. En effet, le Soudan semble être, aujourd’hui, la victime d’une concordance, réfléchie ou irréfléchie, des rivalités internes et des ingérences étrangères.

Par rivalités internes, tout d’abord, il faut entendre que le litige qui oppose le général Abdel Fattah al-Burhan, le chef des Forces armées soudanaises, au général Mohamed Hamdan Dagalo, alias «Hemeti», le chef de la milice paramilitaire des forces de soutien rapide (RSF), découle essentiellement d’une «envie dévastatrice» de l’un et de l’autre d’accaparer le pouvoir et de contrôler l’économie du Soudan même s’il est considéré comme l’un des pays les plus pauvres du monde.  En outre, il semble que les deux généraux, qui hier étaient des amis et des alliés, et qui, aujourd’hui, sont les pires ennemis, l’un pour l’autre, nourrissent tous les deux des ambitions présidentielles.

Mais, la guerre qu’ils ont déclenchée dans leur pays qu’ils savent parfaitement qu’il est un pays foncièrement multiethnique, multiconfessionnel et qui regroupe des espaces géographiques et culturels disparates, risque de dégénérer en une guerre civile globale.

En tous les cas, elle a exacerbé les sentiments de frustration et de colère vis-à-vis du régime d’autant plus qu’il a été, toujours, accusé d’avoir favorisé la domination du centre sur les provinces périphériques, et de la confiscation du pouvoir politique et des ressources économiques par les élites politico-militaires du nord.

Il est, par conséquent, à craindre que le Soudan, qui a été secoué tout au long des années qui ont suivi son indépendance en 1956 par de multiples rebellions, soit en proie à une guerre civile et à de véritables révoltes dans des régions comme les provinces du Darfour, en particulier,  du Kordofan et du Nil Bleu qui ont constamment revendiqué leur autonomie et qui sont tentés de suivre l’exemple du sud, à majorité chrétienne, qui a obtenu son indépendance en 2011 après de longues décennies de conflit armé.

De même, et concomitamment, il est à craindre que leur guerre ravive les ingérences étrangères dans les affaires de leur pays qui, faut-il le souligner, est un Etat charnière à la croisée des espaces sahélien, est africain et proche-oriental, et qui occupe une position stratégique sur la mer Rouge.

Ciblé depuis plusieurs décennies avec certains autres pays arabes par les projets américains et israéliens de dynamitage du monde arabe en vue de son remodelage, le Soudan, qui était l’un des piliers du « front de la fermeté » arabe, et qui était fameusement connu pour être le pays des trois non (non à la négociation, non à la reconnaissance, non à la paix), s’est, sans cesse, trouvé dans le collimateur de Washington et de Tel-Aviv.

La guerre absurde des deux généraux vient à point nommé pour les Américains et leurs alliés, car elle coïncide avec ce moment particulièrement fébrile, où l’inquiétude des Etats-Unis et de l’Occident est de plus en plus grande devant la montée en puissance de la Chine et le retour de la Russie sur la scène internationale, et surtout la scène moyen-orientale et africaine. C’est pourquoi il faut  s’attendre à ce que Washington et ses alliés cherchent à internationaliser la crise soudanaise afin de créer les  prétextes nécessaires pour justifier et couvrir leurs ingérences et même leurs éventuelles interventions au Soudan où ils ne dissimulent plus leur intention de tout faire pour contrer l’influence grandissante de la Russie et la Chine au Soudan et dans la Corne de l’Afrique.

A ce propos, il est un paradoxe choquant à relever. Dès le début de la guerre, les Etats-Unis qui, faut-il le rappeler, ont classé le Soudan comme un «État voyou», depuis 2001, et qui l’ont mis sur la liste des sept pays à envahir et détruire, font office, à côté de l’Arabie saoudite, de médiateurs entre les deux camps en conflit. A mon sens, il n’est pas fortuit ou étonnant que la médiation américanos-saoudienne n’ait pas essayé d’ouvrir des négociations pour un plan de sortie de crise, et que la dizaine de courtes trêves obtenues aient, toutes, été systématiquement violées.

Sur un autre plan, il est à craindre que la guerre au Soudan soit contagieuse et attise davantage le chaos dans toute la région. D’ailleurs, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, qui a récemment jugé que le Soudan sombrait à une vitesse «sans précédent» dans une spirale de mort et de destruction, a affirmé  que ce pays «pourrait rapidement devenir un lieu d’anarchie, qui provoque l’insécurité dans toute la région» si la communauté internationale lui tournait le dos. Mais, comme la communauté internationale semble être totalement débordée par la guerre en Ukraine et ses désastreuses conséquences, elle ne paraît pas prête à prêter l’attention qui se doit à la crise soudanaise.

Quant au monde arabe, qui risque de subir les pires retombées de la guerre au Soudan, il semble qu’il ne veut pas quitter l’état de léthargie et d’hébétude où il est tombé depuis qu’il a assisté, impuissant et parfois complice, aux chutes successives de l’Irak, de la Syrie, du Yémen et de la Libye…

Et pourtant, d’aucuns estiment qu’aujourd’hui, il se trouve devant une opportunité extraordinaire que lui offrent les changements importants qui sont en train de recomposer le monde et de lui dessiner un avenir nouveau et diffèrent….

Mohamed Ibrahim Hsairi


 

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