News - 08.04.2022

Tetiana Peresada, Ukrainienne vivant en Tunisie: Je vis encore à l’heure du 24 février, sans jamais désespérer de la victoire

Tetiana Peresada, Ukrainienne vivant en Tunisie: Je vis encore à l’heure du 24 février, sans jamais désespérer de la victoire

Jeudi 24 février 2022, à 9h45 du matin, Tetiana Peresada était en plein cours d’anglais qu’elle donnait dans un lycée privé de Tunis. Cette Ukrainienne, mariée à un Tunisien et mère de deux enfants, était loin de penser à ce qui allait arriver. Ses proches la savaient en classe et n’osaient guère la déranger. Soudain, son téléphone mobile s’est mis à vibrer frénétiquement. L’insistance de l’appel l’a incitée à consulter son appareil. Sur l’écran s’affichait le nom d’un ami tunisien établi en France.  Très inquiet, il lui demande, lorsqu’elle décroche, si tout va bien pour elle, s’enquiert des nouvelles de son père, vivant à Tetiyiv, à 100 km de Kiev, lui apprenant ainsi le déclenchement de l’invasion par la Russie. Il lui demandait comment il pouvait lui venir en aide, organiser l’évacuation en France de son père et d’autres parents…Abasourdie, Tetiana en avait été fort secouée. Le choc était total. «Je sentais que quelque chose de grave, et de très grave, commençait à se passer, confie-t-elle à Leaders. Et c’était parti. Je vis encore à l’heure du 24 février. Dans ma tête, j’ai arrêté mon horloge. Sans désespérer de la victoire.»

Fille unique, Tetiana Peresada avait fait ses études en langues et littérature à Kiev, se spécialisant particulièrement dans la langue anglaise. C’est sur le campus universitaire qu’elle rencontrera celui qu’elle finira par épouser, alors étudiant en éducation physique à l’Institut de Kiev, classé parmi les Top 5 au monde. Ils se marieront en 2006 et rentreront à Tunis en 2009. Le couple aura deux enfants : un garçon et une fille. Lui sera coach et dirigeant dans une fédération sportive, et elle, professeur d’anglais, une vie agréable et paisible.

Parfois je me demande si ma place n’est pas en Ukraine

«Jusqu’à la dernière minute, je ne pouvais imaginer que la Russie allait envahir l’Ukraine, souffre encore Tetiana. Je m’amusais avant à taquiner mon père en lui demandant ce qu’il ferait en cas d’attaque. Il restait de marbre, incrédule, affirmant toujours qu’il ne bougera jamais de chez lui. Maintenant que c’est fait, il y tient encore plus. Parfois, je me demande aujourd’hui ce que je fais ici en Tunisie, ma place n’est-elle pas au sein de notre peuple, dans notre pays, pour me battre…»

«Mes enfants sont très affectés par ce qui se passe, poursuit Tetiana. Ils ont rapidement compris que c’est une guerre, sans réaliser pleinement quand elle finira et à quel prix. Leur première question est de se demander s’ils pourront partir cet été passer deux mois de vacances en Ukraine, comme ils ont toujours eu l’habitude de faire. Mon mari aussi est très préoccupé par la guerre. Il a passé de belles années en Ukraine où il compte de nombreux amis avec lesquels il est resté toujours en contact. Il adore y aller, les revoir, retrouver ses repères et humer l’air du pays. Pour nous tous, le premier choc a été très fort, brutal. Il m’a été d’un grand réconfort, tout comme le reste des membres de ma belle-famille et de nombreux amis tunisiens.»

Qui pourra dissuader Poutine?

«J’ai intériorisé l’idée de la guerre, dépassé la phase d’alerte et essayé de garder la tête froide, nous dit Tetiana. Sans être accro aux réseaux sociaux, pour ne pas déprimer, je consulte différentes sources d’information, en préférant y aller dans leurs versions d’origine, grâce à ma maîtrise de plusieurs langues, l’anglais, le français et le russe, outre l’ukrainien. En suivant de près l’actualité, je parviens ainsi à me faire ma propre synthèse. Une grande question continue cependant à me tarauder : jusqu’où ira la Russie ? Qui pourra dissuader Poutine de persister dans cette guerre ?»

Notre véritable force

«Le peuple ukrainien, affirme-t-elle, est très uni. A l’intérieur du pays, nous avons notre diversité, notre pluralisme, mais face à l’extérieur, nous sommes tous en bloc. Le patriotisme ne se limite pas pour nous au drapeau et à l’hymne national, mais s’étend à toute une éducation, dès notre enfance, pour apprendre notre histoire, nous approprier de nos motifs de gloire et incarner nos valeurs… C’est une force inébranlable qui nous scelle et constitue notre véritable rempart contre toute tentative d’occupation. Aujourd’hui, si par instinct de protection, des mamans ont dû consentir à quitter le pays avec leurs enfants, les hommes sont tous restés pour assurer la protection de nos villes et villages, se battre… Bien qu’âgé, mon père est resté chez nous, travaillant dans la journée, gardant la maison la nuit. Tout comme mes cousins et mes amis. Je les appelle régulièrement, mais pour ne pas les encombrer, je me limite à prendre de leurs nouvelles et à les exhorter dans l’accomplissement de leur devoir patriotique.»

Une partie de l’Ukraine à Tunis

«La sollicitude de l’ambassade d’Ukraine à Tunis est très importante, souligne Tetiana. Jamais nous ne sommes sentis aussi bien entourés comme en ces moments très difficiles. L’ambassade incarne pour nous tout notre pays. A la vue du drapeau qui flotte sur son fronton, nous avons le cœur serré. Savoir que l’ambassadeur est là, avec son équipe, nous donne beaucoup de courage. Avec des amies ukrainiennes vivant en Tunisie, on essaye d’apporter notre contribution à cet effort. Déjà, notre association, Berehynia (ce qui veut dire en ukrainien la femme qui prête attention et prend soin), a procédé à la collecte d’aides humanitaires, notamment des médicaments et des produits appropriés, et leur acheminement en Ukraine. En outre, des compatriotes établis en France essayent de leur côté de fournir des casques et des gilets pare-balles et nous y contribuons.»

Les Tunisiens sont admirables pour leur soutien

«La réaction des Tunisiens nous fait chaud au cœur, affirme Tetiana. En plus de ma belle-famille et des amis, il y a des connaissances que nous avons perdues de vue depuis de longues années et qui ont cherché à nous joindre pour nous témoigner leur solidarité. Des collègues au travail, des voisins, des personnes qu’on rencontre dans la vie courante, ne manquent pas de nous demander des nouvelles et de nous exprimer leur compassion. C’est absolument réconfortant. Evidemment, il doit y avoir quelques-uns qui ne se rangent pas du côté du peuple ukrainien, mais ils devraient constituer une petite minorité.»

Ma foi demeure…

«Je suis optimiste quant à l’issue de la guerre, ne cesse de nous dire Tetiana. Je le suis de nature, ayant toujours aimé la vie, la nature, les fleurs, les paysages. J’ai toujours cultivé la joie de vivre et l’espoir. Cette fois-ci, je le suis encore plus pour mon pays, connaissant la solidité de notre peuple, son union, sa détermination à se battre. Ma foi demeure inébranlable quant à la victoire. Dans les années 1930, l’Ukraine avait connu, pourtant grand pays céréalier, la famine la plus totale et l’occupation nazie. Mais nous en sommes sortis vainqueurs. Plus jamais nous n’accepterons aujourd’hui pareil péril et la moindre occupation.»

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