News - 26.11.2021

Les défis majeurs du système commercial multilatéral actuel et les moyens susceptibles de les relever

Les défis majeurs du système commercial multilatéral actuel et les moyens susceptibles de les relever

Par Afif Traouli - En prévision de la prochaine conférence ministérielle de l’OMC qui se tiend à Genève du 30 novembre au 3 décembre 2021 et compte tenu de la conjoncture produite par la pandémie mondiale et la crise de l’OMC, deux solutions concrètes pourraient relancer les négociations dans le cadre du cycle de Doha: le réexamen du traitement spécial et différencié et le basculement du modèle consensuel de négociation à un modèle de masse critique d’Etats.

1. La situation actuelle du système international de commerce et d’investissement (SICI)

La similitude de la structuration géographique des échanges commerciaux internationaux et des Investissement Directs Etrangers (IDE) explique leur complémentarité structurelle et institutionnelle. Il convient alors de penser les deux concomitamment. Le SICI connait encore un ralentissement des échanges à la suite de la crise 2007-2008. Selon la CNUCED, entre 2015 et 2019, la croissance du commerce international n’a atteint que 1.5% et les flux des IDE ont régressé de 15%. Cette « nouvelle normalité » du SICI est exaspérée par l’inflexion de la croissance des pays émergents, les rivalités concurrentielles portées par les émergents, les tendances protectionnistes et stato-centrées et des chaînes de valeur globales moins développées. La crise pandémique mondiale de la covid-19 risque de causer une récession aussi durable.

Selon l’OMC, le commerce mondial des marchandises en volume a baissé de 5,3% en 2020 mais devrait repartir à la hausse de 8% en 2021 et de 4% en 2022. De même, la projection du FMI concernant le PIB mondial s’établit à 3,8% en janvier 2021 en raison du « grand confinement ». La CNUCED considère que 2020 a été une année rude pour les IDE qui ont chuté de 42% en 2020 et se maintiendront à des niveaux bas en 2021.

Les effets de la pandémie perdureront car ce rythme de croissance ne permet pas le retour à la situation d'avant la pandémie. Ces perspectives restent tributaires de l’évolution de la pandémie. Toute reprise espérée pourrait être compromise par de nouvelles vagues et par le retard des calendriers de vaccination, notamment dans les pays du Sud.

Ainsi, la crise pandémique met au grand jour la vulnérabilité des réseaux de production et d’échange et marque le retour à des logiques de protectionnisme. Parce qu’« il ne faut pas gaspiller une crise » (W. Churchill), la pandémie est une occasion pour engager une réflexion sur la gouvernance du SICI.

2. Les causes de l’enlisement des négociations

La triple conflictualité d’intérêts, de préférences et d’interprétations, conjuguée à la crise de 2007-2008, est au centre du blocage des négociations commerciales multilatérales et du SICI dans le cadre du Programme de Doha pour le Développement (PDD).
« An inward looking organization », l’OMC est plus centrée sur sa gouvernance et ses procédures que sur le fond des négociations. Elle évacue ainsi la conflictualité constructive de la négociation, pourtant créatrice de nouvelles règles. Au démarrage du cycle de Doha, les discussions sur les modalités ont primé sur la substance «développement». Un compromis opérationnel entre globalisation et développement n’a pas été identifié. Le PDD a négligé les défis structurels actuels (sécurité alimentaire, protection des consommateurs, changement climatique) et a été réduit à deux sujets : l’accès au marché et le démantèlement des barrières non tarifaires.

Le cycle de Doha a consacré l’approche du traitement spécial et différencié (TSD) dans les négociations comme dans la mise en œuvre des accords. Mais force est de constater que cette approche n’est plus adaptée au contexte actuel de la globalisation. Désormais, l’intégration aux réseaux de production et d’échange se mesure en termes d’attractivité des facteurs de production et de positionnement compétitif sur la chaîne de valeur internationale. De même, l’ascension de nouvelles puissances non-hégémoniques et la montée de la concurrence entre les pays du Sud, dont les trajectoires économiques sont de plus en plus hétérogènes, sont source de conflits de préférences.

L’OMC « member-driven organization » est victime de son succès et de son universalisme. De son succès, car elle tient son mandat de ses 164 membres qui ont l’exclusivité de la proposition et de la décision. De son universalisme, car la règle du consensus (un Etat, une voix) et la règle de l’engagement unique empêchent les grandes décisions. Les piliers du régime OMC, réciprocité et non-discrimination, apparaissent dissonantes par rapport à la réalité du SICI. Le passage d’un système centré sur l’ouverture ordonnée à un système de contestabilité des marchés et de gouvernance de la concurrence dissuade les Etats membres de négocier les questions litigieuses et de prendre des engagements qui limitent leur pouvoir.

Cette dissonance entre l’OMC et le système qu’elle encadre s’explique aussi par les transformations de l’économie mondiale et des enjeux en termes de richesse et de puissance que les Etats membres conçoivent davantage selon leurs gains relatifs. L’organisation semble également négliger la fragmentation des chaines de valeurs globales, les réseaux régionaux de production et d’échange et les nouveaux besoins des firmes (régulation des mesures non tarifaires et des règles relatives aux services, à l’investissement et à la concurrence).

Le PDD intervient à un moment où de nouveaux équilibres de puissance dans le régime commercial multilatéral émergent. Le leadership traditionnel faiblit et de nouvelles conflictualités apparaissent : conflictualité entre pays développés et pays émergents et conflictualité sud-sud. Les économies émergentes, notamment celles du Sud Global (Chine, Brésil et Inde), ont consolidé leur influence dans les négociations commerciales multilatérales. Elles en épousent les principes tout en contestant les modalités de sa gouvernance et de son organisation. Cette asymétrie de puissance résultant de l’émergence et de la crise de leadership empêche l’OMC de trouver des compromis et bloque les négociations.

3. Pistes de relance des négociations

Le TSD est un facteur de blocage des négociations. Les pays développés contestent le fait que les pays émergents bénéficient de ce traitement en l’absence de différenciation au sein de l’ensemble des PED-PMA et les PED refusent que le TSD soit réservé aux PMA uniquement, au risque de voir diminuer leurs droits. Une première piste pour dépasser cet obstacle consiste en la différenciation des trajectoires économiques des pays du Sud pour mieux répondre aux problèmes spécifiques de chaque pays compte tenu de ses conditions internes. Le contenu des accords et les mesures à négocier deviendront la base de cette différenciation plutôt que le statut des pays. Les PED pourraient désigner eux-mêmes les catégories de mesures auxquelles ils désirent se soumettre.

Il s’agira de remettre en cause la règle de l’engagement unique plutôt que le principe du consensus et de revisiter l’articulation globalisation-développement sur laquelle s’est lancé le cycle de Doha. Cette proposition s’inspire de l’approche qui a été retenue pour conclure l’Accord sur la Facilitation des Echanges (AFE) à l’occasion de la 9éme conférence ministérielle de Bali en 2013. Cet accord, en vigueur depuis 2017, a marqué l’histoire de l’OMC car il est le premier accord conclu après la création de l’organisation en 1995.

Cette nouvelle articulation globalisation-développement pourrait se baser sur l’Agenda 2030 des Objectifs de Développement Durable adopté en 2015. C’est d’autant plus nécessaire que le contexte de la crise pandémique mondiale appelle une articulation SICI-ODD effective et favorable à l’inclusion sociale.

La deuxième piste est une déclinaison de la proposition de Baldwin [2006] de « régionaliser le multilatéralisme ». Elle consiste à rependre la logique ayant permis la ratification en 1997 de l’Accord sur les technologies de l’information par 39 pays membres représentant 92.5% du marché mondial. Il s’agit d’orienter le système commercial vers le minilatéralisme ou le plurilatéralisme et officialiser la logique coalitionnelle sur la base d’« accords clubs » signés par une «masse critique » de pays ayant des intérêts convergents. Tout en restant ouvert aux autres membres, ces « accords clubs » mettent fin au principe de l’engagement unique, qui contribue au blocage des négociations.

Deux arguments appuient cette piste : une vraisemblable densification des chaines de valeurs régionales suite à la crise pandémique mondiale et les négociations sur le Trade in Services Agreement et sur la libéralisation des biens et services environnementaux.

Afif Traouli
Diplômé en économie du développement de l'université Grenoble-Alpes
 

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1 Commentaire
Les Commentaires
SLIM Sfar - 29-11-2021 08:30

La mondialisation est une opportunité pour certains, une menace pour d'autres. Malheureusement, les pays du sud, pourtant très riches en matière premières, n'ont pratiquement rien tiré de ce développement tant promis. Bel article

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