News - 16.11.2021

Comment gérer le retour des femmes maghrébines des zones de tension?

Comment gérer le retour des femmes maghrébines des zones de tension?

La baisse toute relative du risque terroriste exercé par le radicalisme religieux violent ne saurait occulter l’examen du grand dossier des jihadistes revenant des zones de tension. Et en premier lieu, les femmes et leurs enfants. Qui sont-ils ? Pourquoi et comment ils se sont radicalisés et sont partis en Libye, en Syrie et en Irak ? Et quelle prise en charge à leur retour ? La question qui interpelle les autorités de nombreux pays est encore plus percutante en Afrique du Nord qui a fourni à Daech des milliers de «soldats». L’Union du Maghreb arabe (UMA) s’y est intéressée de près, s’appuyant sur la fondation Friedrich-Ebert, pour la conduite d’une étude dans les cinq pays. Les travaux, en ateliers, enquêtes sur le terrain, interviews et recherches documentaires, ont été consignés dans un ouvrage qui vient de paraître sous le titre de «Le retour des femmes maghrébines des zones de tension».

L’équipe est bien indiquée : Mohamed Kerrou (Tunisie) et Hafidha Ben Chida (Algérie) ont travaillé sur une stratégie maghrébine. Amel Grami a posé les jalons d’une introduction générale, et cinq autres ont rédigé les contributions par pays. Il s’agit de Mohamed Saleck Ould Brahim et Didi Ould Saleck (Mauritanie), El Mostafa Rezrazi (Maroc), Khaoula Matri (Tunisie) et Neijia Atraq (Libye).

Pas facile de trouver des réponses convaincantes

«La situation des femmes est plus complexe, souligne en préface Taïeb Baccouche, secrétaire général de l’UMA. En effet, certaines d’entre elles sont revenues avec de jeunes enfants nés du «Jihad Nikah», certaines ont été tentées par l’argent tout comme certains hommes et certaines étaient convaincues qu’elles sont des «djihadistes» à l’instar de certains hommes, et ont pris les armes, participé aux combats dans des pays autres que le leur et ont intégré des organisations terroristes se prétendant être un État califat islamique.»

Ceci pose de nombreuses questions:

La solution est-elle leur traduction en justice et leur emprisonnement, compte tenu des crimes commis ?

Dans quelle mesure leur réintégration dans la société est-elle possible par la repentance et le pardon ?

Qu’est-ce qui garantit que certaines d’entre elles ne commettront pas de nouveau des crimes terroristes ?

Comment traiter les enfants élevés au milieu des armes, des combats, de la violence et de l’extrémisme ?

Il n’est pas facile de trouver des réponses convaincantes.»

Ne pas éviter le débat

«Le débat sur les revenant(e)s est délicat et nous oblige tous à nous poser des questions gênantes, car elles touchent principalement aux fondements mêmes de notre société, note Henrik Meyer, représentant résident de la fondation Friedrich-Ebert. Il est donc d’autant plus important de ne pas éviter le débat. Que cela plaise ou non : à la fin d’un conflit, nous devons garder en tête comment traiter les personnes qui reviennent. Cette étude traite d’un aspect encore plus sensible, à savoir le retour des «femmes» des zones de conflit en Syrie et en Irak. S’il est généralement connu dans le débat public que les «combattants étrangers» ont joué un rôle important dans l’établissement de ce que l’on appelait «l’État islamique», le rôle des combattantes est resté jusqu’à présent sous-exposé.»

«La plus-value paradigmatique qu’apporte cette publication est la nécessité absolue que doit revêtir le genre dans la mise en place des politiques publiques, écrivent en quatre mains Basma Soudani de l’UMA et Leyla Hassen de Friedrich-Ebert. C’est la clé de voûte sur laquelle doit reposerl’Etat pour sensibiliser société et familles aux dangers du radicalisme. Il s’agirait donc de se doter d’un outil efficace qui éviterait l’instrumentalisation du statut de la femme et qui contribuerait aussi à prévenir le processus de radicalisation et améliorerait la prise en charge de celles qui sont sous son emprise.»

Des programmes globaux fondés sur le respect du principe de citoyenneté intégrante et responsable

Amel Grami l’a bien mentionné : «Les rapports confirment que le sujet des revenantes a une importante facture matérielle, politique et sociale, qu’il suscite en même temps diverses problématiques (psychologiques, sociales, judiciaires et sécuritaires)…et que la marginalisation du sujet mènera nécessairement à l’apparition d’un tas de difficultés au niveau de l’élaboration des programmes de réhabilitation et de réinsertion, et de la mise en place de politiques adéquates pour contrecarrer l’extrémisme violent, écrit-elle. Rappelons ici que les précédentes expériences avaient prouvé que plusieurs pays étaient laxistes avec des femmes compromises dans des affaires de terrorisme/extrémisme violent et ne leur avaient pas accordé des procès effectifs ou des programmes de réhabilitation et de réinsertion, chose qui avait causé leur rechute et le retour à la pensée extrémiste, et même aux groupes extrémistes violents.»

«Le sujet, poursuit-elle, a des retombées politiques, sociales, psychologiques et sécuritaires, ainsi que des répercussions sur la stabilité des sociétés et sur les opérations de l’instauration de la sécurité et de la paix. Car les jeunes filles et les femmes revenantes sont dans la majorité des cas indexées et exclues, et ce comportement peut susciter en elles le désir de réaction qui pourrait consister dans l’exercice de la violence et la tendance à se venger de la société. Ces justifications sont d’habitude présentées pour expliquer le fait que certaines parmi elles commettent des opérations plus sanguinaires que celles commises auparavant. Si les choses étaient telles, il faudrait donc que les responsables, les décideurs et les stratèges politiques pensent sérieusement à adopter des programmes globaux fondés sur le respect du principe de citoyenneté intégrante et responsable.»

Le rejet des revenants (non violents) et leur isolement social peuvent engendrer un basculement

Traitant du cas de la Tunisie, Khaoula Matri passe en revue diverses recherches et mène sa propre investigation sur le terrain, nourrie d’interviews. Sa grande interrogation est comment lutter contre ce danger et s’y prendre avec les revenants, notamment les revenantes. «La déradicalisation, écrit-elle dans sa conclusion, mérite une approche multidimensionnelle où s’interfèrent l’individuel, le familial, le culturel et le social. En effet, les autorités publiques doivent capitaliser les efforts des différents secteurs (sécuritaire, juridique, éducatif, médiatique, diplomatique, etc.) pour surmonter les dangers et les risques. La collectivité est appelée à mener un discours clair et ferme face à toute forme d’intolérance, de violence et de menace de libertés individuelles ou collectives.»

Plus particulièrement, elle estime que le processus de déradicalisation des femmes et des enfants nécessite la prise en compte de l’histoire personnelle de chaque femme/ mère afin d’assurer les conditions favorables de la réconciliation subjective de chacune en premier lieu et la réintégration sociale progressive, en deuxième lieu. Une sérieuse prise en charge psychologique et sociale des enfants endoctrinés fait partie des impératifs pour lutter contre le radicalisme violent. Pour les femmes, en particulier, les procédures de réhabilitation méritent une prise en compte des blessures personnelles profondes et des traumatismes engendrés par l’endoctrinement et la terreur vécue.

Plus encore, estime Khawla Matri : «Le rejet des personnes retournées (non violentes) et leur isolement social peuvent engendrer le basculement dans des actes terroristes ou l’adhésion à d’autres groupuscules. Un contre-discours national religieux / politique basé sur les valeurs humaines universelles de tolérance et de l’acceptation de la différence semble être fondamental. L’accompagnement et la coordination avec les familles des personnes endoctrinées peuvent faciliter les actes de prévention et de dés-endoctrinement, processus de l’abandon de l’idéologie du salafisme-jihadisme.»

 

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