Opinions - 13.09.2021

Tunisie: Vers une troisième République fondée sur le droit et la citoyenneté

Tunisie: Vers une troisième République fondée sur le droit et la citoyenneté

Par Nizar Ben Saad - Dehors, l'Histoire s'accélère. Dedans, le tragi-comique s'installe avec les gouvernements successifs qui ont dirigé le pays depuis le soulèvement de 2011. La Troïka a fonctionné dans l’opacité la plus totale, couverte par la loi de l’omerta. Bien qu’essoufflée, elle a poursuivi en catimini son œuvre de destruction de la vie des Tunisiens, en leur faisant avaler des couleuvres plus grosses les unes que les autres.

Le consensus artificiel entre les partis politiques vainqueurs en 2014 : Nidaa Tounes et Ennahdha, fut encore plus nuisible, car reposant sur des intérêts plutôt particuliers voire sordides, faisant peu de cas du bien commun. En agissant ainsi, les deux partis en question n’ont fait que révéler leur grande fragilité, cachée derrière un masque en carton-pâte. Depuis, les chances d’accéder à un Etat de droit démocratique s’amenuisent. L’intégrité territoriale du pays est plus que jamais menacée. Tout concourt à contrarier à outrance l'émergence d'un État de droit, prospère, fort et moderne et à acculer une jeunesse déboussolée aux pires aventures.

Le constat est aujourd’hui accablant: tel un bateau ivre qui navigue sans gouvernail vers l’inconnu, la Tunisie n’a jamais été aussi mal. Une grande majorité des Tunisiens retiendra désormais de l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) la corrélation de l’ambition, de la corruption, du mensonge, de l’opportunisme cynique et de l’impunité. En somme, le fait de déguiser le vice sous les oripeaux de la vertu et le tordu sous les apparences du droit.

C’est dans ce contexte de déliquescence des institutions de la deuxième République, parfaitement illustrée par la crise politique au sommet de l’Etat, que le mouvement du 25 juillet dernier peut être considéré comme un moment de rupture, un tournant radical à la recherche d’un nouvel équilibre : un appel à une refondation du système politique.

Un processus de remplacement d’un paradigme par un autre

Pour savoir où on va, il faut savoir d’où l’on vient [« Il n’y a pas de bon vent pour celui qui ne sait pas où il va », disait Sénèque]. Personne ne s’y trompe : derrière la Constitution du 27 janvier 2014, nous reconnaissons en filigrane, comme sous l’effet d’une loupe grossissante, le souci de torpiller le projet moderniste de la Tunisie. Dès le départ, elle fut mise au service d’idées conservatrices visant, subrepticement, à saper l’ordre républicain et à fonder sur ses ruines un ordre traditionnel, débarrassé de l’esprit moderniste.

La Constitution de la première République, proclamée en 1957, est ratifiée en 1959. La seconde République est instituée par la Constitution de 2014. Envisagée sous l’angle des dynamiques institutionnelles, notamment en période de blocage, une troisième République est-elle envisageable, possible et souhaitable ?

N’est-elle pas justifiée par les errances du système politique actuel ? Plus que jamais, la Tunisie a besoin d’un nouveau style de gouvernance qui rompe avec les mesures palliatives, les essais, le bricolage de politiques publiques et autre rafistolages relatifs aux conditions sociales changeantes. 

La question, soulevée par le Chef du parti Machrou Tounes, Mohsen Marzouk, autour des réformes politiques et institutionnelles à entreprendre, doit être engagée et traitée de façon sereine et dépassionnée. Le passage à une troisième République émancipatrice, anticipatrice, attachée aux libertés et au caractère civil de l’Etat, ne sera en aucun cas le fruit d’un effort solitaire, mais le résultat d’un processus collectif. Elle ne renoncera guère à l’héritage de la première et deuxième République, mais s’inscrit dans le sillage du progrès et de la modernité. 

La troisième République prendra dès lors en charge l’idée d’une rupture fondatrice avec toute velléité de nature théocratique que les islamistes cherchent à nous imposer. Une troisième République qui accorde une valeur politique, morale et pédagogique au concept de travail en l’articulant à la notion d’engagement et de solidarité effective, afin de relancer une économie exsangue. Une troisième République soucieuse de favoriser l’émergence des compétences nationales, des forces vives de la jeunesse, afin d’éviter les erreurs du passé, de favoriser le choix des hommes et des femmes qui se dévouent civiquement au bien commun par amour de l’égalité, et d’où sont bannies la logique du profit, celle du « butin », chère aux islamistes, les compromissions, de quelque nature qu’elles soient, l’instrumentalisation du fait religieux à des fins bassement électoralistes. Aujourd’hui les partis politiques connaissent une crise de légitimité qu’ils doivent résoudre, dans le cadre d’une troisième République, à travers une authentique coopération avec les acteurs de la société civile et les organisations nationales afin de retrouver la confiance du public, et où le «nomadisme» politique ou le recours à l’argent sale dans les campagnes électorales, seront violemment condamnés.

Une troisième République qui fait face à la détérioration de l’administration minée par les nominations dans le secteur public et le recrutement abusif en faveur des partisans d’Ennahdha, traitera les citoyens avec équité, sur un même pied d’égalité, sans tenir compte de leurs appartenances politique, ethnique, sexuelle ou autre, et où les régions retrouveront une marge d’action et de liberté. Une troisième République soucieuse de préserver les principes de la bonne gouvernance, d’immuniser notre identité nationale contre toutes les formes d’aliénation, de cimenter nos représentations culturelles.

La Tunisie fait partie des pays indépendants. Le souci de la souveraineté nationale sera la pierre de touche d’une diplomatie qui exclue toute dépendance avilissante, tout assujettissement total à l’étranger, toute allégeance factice, ou des alliances tactiques.

Telles sont les grandes lignes de la troisième République qui devra mettre définitivement fin à la crise chronique au sein de l’exécutif et aux dysfonctionnements constitutionnels qui minent l’État tunisien ; qui devra rompre avec l’atermoiement, l’impunité, les demi-mesures, et la propagation de la corruption au sein de l’appareil judiciaire. En somme, une troisième République qui permettra d’élaborer un code de bonnes pratiques pour la participation civique, et qui restera pour l’essentiel arrimée à un principe de rationalité et de justice, une justice défenderesse des laissés-pour-compte, victimes notamment de la misère, de l’injustice, voire de l’humiliation, instrumentalisés par les habituels pourfendeurs de tous les régimes.

Nizar Ben Saad
Universitaire


 

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