News - 27.11.2020

Mohamed Fessi: Maradona, le cerf-volant cosmique est mort

Mohamed Fessi: Maradona, le cerf-volant cosmique est mort

Par Mohamed Fessi - Diego Armando Maradona a vu le jour le 30 octobre 1960 dans un bidonville des faubourgs de Buenos Aires. Il est le cinquième enfant d’une famille pauvre qui en compte sept. (Son père est ouvrier dans une usine). Mais son génie ne tarde pas à éclater. Dans son autobiographie, Moi, Diego, le joueur raconte: « petit, quand ma mère m’envoie faire des courses, j’ai toujours au pied quelque chose ressemblant à un ballon: une orange, des boules de papier ou de chiffon. » En 1976, Maradona n’a pas encore 16 ans, quand il dispute son premier match officiel sous les couleurs d’Argentinos Juniors. Cinq ans plus tard, il est enrôlé par Boca Juniors.

En 1982, il est transféré au mythique FC Barcelone pour la somme - énorme pour l’époque - de 7 millions de dollars. Au Braca, l’aventure tourne court. Ses virées nocturnes et ses nombreuses blessures (Maradona est souvent victime de l’acharnement des défenseurs des équipes adverses) poussent les dirigeants du club à se séparer de lui. Et qui se présente pour racheter son contrat? Naples, la ville la plus pauvre d’Italie, sinon d’Europe. Ceux qui ont eu l’occasion de lire la tétralogie d’Elena ferrante (l’Amie prodigieuse) peuvent imaginer ce qu’étaient Naples et le sud de l’Italie dans les  décennies 1970 et 1980, les conditions de leur développement économique, le rôle que jouaient les milieux mafieux dans tous les secteurs de l’économie, l’illusion de la réussite se mesurant à l’aune de la quantité d’argent amassé, peu en importe le moyen. Maradona est donc arrivé dans une ville qui traversait des années difficiles : le tremblement de terre (en 1980), la détresse économique, la criminalité. Une ville un peu de losers, dont on se moquait.

Sur les conditions de l’atterrissage d’« El Pibe de Oro », le gamin en or, à Naples, beaucoup tout a été dit et écrit, alimentant la légende du plus grand joueur que le football ait connu. Le bruit courait que la Camorra a prêté son concours pour rassembler la somme nécessaire. Quoi qu’il en fût, le 5 juillet 1984, quand Maradona arrive -en hélicoptère-  au stade San Paolo, les   70 000 personnes qui l’accueillent sont en liesse. Avec « Dieguito » dans ses rangs, le Napoli connaîtra son âge d'or, remportant un trophée européen en 1989 -coupe de l’UEFA-  ainsi que ses deux premiers -et uniques- titres de champion d'Italie : en 1987 devant la Juve de Michel Platini et en 1990 avec le célèbre doublé Scudetto et Super Coupe. Ce sont ces deux titres de champion qui comptent le plus pour les supporters napolitains. Parce qu'avec eux, Maradona a remis Naples sur la carte d'un football italien jusque-là dominé sans partage par le Nord.

Trente ans après la fin de l’aventure, les Napolitains sont unanimes pour dire que Maradona est l’homme qui rendit sa fierté à la ville méridionale, longtemps méprisée par les villes du prospère nord de l’Italie: Turin, Milan et Rome.

Si le génie de Maradona a éclaté à Naples, devenant au passage un dieu vivant pour les tifosi, c’est, qu’à la base, il y a eu une adéquation parfaite entre la ville et le bad boy qu’il était. Lui qui avait aussi grandi dans la pauvreté, il a compris la ville et en est tombé tout de suite amoureux.

Au Mexique, lors de la coupe du monde de 1986, Maradona était à la fois ange et démon, génie et tricheur. Personne n’oubliera les deux buts qu’il marqua en demi-finale, lors du fameux match Argentine/Angleterre (quatre ans plus tôt, la guerre des Malouines a opposé les deux pays). Le premier de la main. Maradona dira plus tard que Dieu lui a prêté Sa main pour loger le ballon dans les filets de Peter Shelton (l’arbitre tunisien Ali Ben Nacer n’y a vu que du feu). Mais le meilleur est à venir. Cinq minutes après, Maradona reçoit le ballon dans sa moitié du terrain, s’ensuit une chevauchée de 60 mètres au cours de laquelle il passe en revue toute la défense anglaise, médusée, et trompe une seconde fois Peter Shelton d’un tir au second poteau. Un chef-d’œuvre de but. Le but du siècle. Aujourd’hui encore, écouter la voix du commentateur Victor Hugo Morales cracher dans son micro: « Cerf-volant cosmique, de quelle planète  viens- tu pour traîner sur ton chemin tant d’Anglais… », donne la chair de poule. En finale, l’Argentine affronte l’Allemagne de Rummenigge, Maradona ne marque pas, mais offre le but de la victoire (3-2) à Jorge Burruchaga. L’Argentine est à ses pieds. Les Argentins exultent. Sur les murs d’enceinte des cimetières, les supporters, fous de joie, accrochent des banderoles sur lesquelles est écrit –à l’adresse des morts dans leurs tombes- : « Vous ne pourrez  jamais savoir ce que vous venez de rater ! »

En 1990, tout était presque prêt pour que l’Italie, pays hôte, remporte une quatrième coupe du monde. C’était  compter sans la rage de Maradona qui frappa encore une fois. Dans une demi-finale qui s’apparentait plus à un drame shakespearien ou à  une tragédie de Verdi- plus précisément son fameux opéra Aida, où l’héroïne est tiraillée entre deux amours, celui de sa patrie et celui qu’elle voue à Radamès-, qu’à un match de football, les Napolitains étaient partagés pour savoir qui supporter, leur héros argentin qui a fait rêver la ville ou leur patrie qui les rejette. Au bout du compte, c’est l’Argentine qui gagne aux tirs au but.  Elle ira à Rome, affronter l’Allemagne en finale.  Finale perdue sur le score de un but à zéro. Et aussi finale inoubliable, moins pour sa qualité footballistique que pour l’attitude du public italien qui a copieusement sifflé l’hymne argentin. En réplique, Maradona traita ce public, dont une grande partie l’avait  tant adulé jusque-là, de fils de p....Ce furent les paroles de trop. Les Italiens ne lui ont jamais pardonné ça. D’ailleurs, c’est à partir de cette demi-finale que les ennuis judiciaires de Maradona ont commencé. Contrôlé positif à la cocaïne en mars 1991, il écopa d’une suspension de 18 mois. La sanction la plus lourde jamais prononcée en série A. Beaucoup de commentateurs diront par la suite que  c’était une erreur monumentale de la part de la fédération italienne de football de programmer une demi-finale à Naples. Mais ça, c’est une autre histoire. Depuis, le chemin que suivit le héros argentin, emprunta une lente et inexorable dégringolade. Drogue, trafics, provocations, excès et amitiés douteuses vont désormais baliser sa fin de carrière, même s’il espérait un come-back victorieux lors de la coupe du monde de 1994, organisée aux Etats-Unis.

Au final, que retenir de ce parcours hors normes? Beaucoup de choses, à coup sûr. La plus importante, à mes yeux, est que, comme ceux de  beaucoup génies- Rimbaud, Baudelaire, Einstein, Picasso..., la vie et le parcours de Maradona confinent au mystique. Lui, qui pour tous les amateurs du ballon rond,  fut à la fois dieu et homme. Il y a bien Maradona, le dieu du football, et il y a aussi, Diego, l’homme naît pauvre, sa fêlure, sa révolte contre l’injustice (en 1978, il vit sa non sélection au Mondial, organisé et gagné par son pays, comme la pire injustice de sa carrière), ses mauvais penchants, ses mauvaises fréquentations (ses relations à Naples avec Luigi Giuliano, le parrain d’un clan camorriste réputé violent). Humain, trop humain, suis-je tenté d’écrire. Il y a surtout ses prises de position sans concession face à tous ceux qui ont fait du football un business très lucratif, privant au passage des millions de téléspectateurs, issus les classes les moins aisées, de vivre leur passion en suivant les matchs à la télé, devenue payante. Il y a enfin, l’homme qui n’a jamais plié face au système Havelange / Blatter ; l’homme qui n’a jamais pu être récupéré par le star-système, contrairement à Pelé ou Platini, par exemple. C’est ce qui le prend si proche de tous ceux qui l’ont aimé et admiré et qui sont prêts à tout lui pardonner. Les Argentins qui le pleurent aujourd’hui - et ils ne sont pas les seuls- disent : « Messi est l'Argentin que nous aimerions être, talentueux, ordonné. Diego est l'Argentin que nous sommes. Il représente 85 % d'entre nous. »

Maintenant qu’il est parti dribbler dans la cour de Dieu, puisse Ce dernier le couvrir de son infinie miséricorde.

Mohamed Fessi
Expert comptable et consultant d’entreprises

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