News - 30.09.2020

Mohamed Larbi Bouguerra: L’humanité face a la pandémie, aux inégalités et au réchauffement climatique

Mohamed Larbi Bouguerra: L’humanité face a la pandémie, aux inégalités et au réchauffement climatique

« Le monde contient bien assez pour les besoins de chacun, mais pas assez pour la cupidité de tous. » (Mahatma Gandhi)

L’Assemblée générale des Nations Unies a adopté, le 11 septembre 2020, une résolution, à l’unanimité (moins les voix des seuls Etats Unis et Israël qui ont voté contre, isolés comme jamais sur la scène internationale) qui appelle à juguler la pandémie « dans l’intérêt des nations comme des peuples et à renforcer la coopération internationale. » Ce texte ajoute : « Les trois piliers de l’ONU- paix et sécurité, développement et droits humains- sont d’une importance égale, intrinsèquement liés et interdépendants. Nous avons fait beaucoup de chemin en 75 ans, mais la route est encore longue. Nous avons les outils qu’il faut, il ne nous reste plus qu’à nous en servir. » Le Secrétaire général, M. Antonio Guterres, a martelé cette réalité que bien des gouvernants tentent d’écarter et affirmé : « La pandémie a illustré les carences incontestables de notre système multilatéral » alors que « le virus, qui a tué près d’un million de personnes* et en a infecté plus de 30 millions dans le monde, n’est pas encore maîtrisé » ;  la conclusion à tirer n’est pas celle qu’en tire M. Donald Trump dans sa prestation devant les Nations Unies : chacun pour soi et en priorité, tout compte fait, au mieux de ses intérêts nationaux propres.

M. Antonio Guterres répond non au milliardaire qui occupe actuellement la Maison Blanche  : « Aujourd’hui, nous avons trop de problèmes multilatéraux et pas assez de solutions multilatérales. » et d’ajouter : « Cette situation a été créée par le manque de préparation, de coopération, d’unité et de solidarité à l’échelle mondiale ».  C’est pourquoi il est devenu impératif de renforcer l’ONU et le multilatéralisme, là où chaque peuple, chaque Etat compte pour un. Ce qui impose de construire « un multilatéralisme en réseau, fondé sur des liens et une coopération solide entre les organisations internationales et régionales, les institutions financières internationales… » qui soient en mesure de lancer de nouvelles dynamiques au service de la transition écologique et au service de la satisfaction des besoins humains essentiels.

Et M. Guterres de conclure que nul n’a besoin d’un « gouvernement mondial ». Il faut plutôt des règles et des moyens d’agir dans le respect et l’intérêt bien compris de tous.

Plus on gagne d’argent, plus on pollue

Cette constatation a été faite il y a bien longtemps et des études nombreuses le démontrent. Elle prouve la nécessité des règles réclamée par M. Guterres.

Un récent rapport de l’ONG Oxfam et du Stockholm Environnent Institute (SEI) révèle, avec une grande précision que, sur un quart de siècle (1990-2015), les 10% les plus fortunés des humains ont émis 52% de gaz carbonique produit dans le monde et que les 1% les plus riches ont émis deux fois plus que la moitié la plus démunie de la planète. A cette dernière, on ne peut mettre que 7% de CO2…. mais elle en paie le prix le plus élevé.

Les activités économiques mondiales vomissent de plus en plus de produits polluants et, dans le rapport « Combattre les inégalités des émissions de CO2 », publié le 21 septembre 2020, Oxfam France souligne que « la concentration des richesses aux mains d’une minorité aggrave la crise climatique ». 

Cette étude est adossée aux estimations des émissions de CO2 provenant de la consommation, c-à-d émissions produites dans chacun des 117 pays étudiés et celles provenant de leurs importations.

Les avertissements n’ont pas manque

Rappelons que, au XIXème siècle, le chimiste suédois, Prix Nobel de chimie 1903, Svante Arrhenius (1859-1927), avait attiré l’attention sur les propriétés thermiques du gaz carbonique et sa nocivité pour les terriens. Ce précurseur disait, en 1922, au cours d’une conférence à Paris : « Nous avons consommé autant de charbon fossile en dix ans que l'homme en a brûlé durant tout le temps passé. […] Il devient nécessaire de trouver d'autres sources d'énergie, afin que la civilisation du monde ne s'effondre pas lorsque les combustibles fossiles seront sur le point d'être épuisés. » Mais, sa prédiction que l'accroissement de la quantité de dioxyde de carbone dans l'atmosphère, sous l'effet de l'utilisation de plus en plus massive des énergies fossiles (gaz à effet de serre), réchaufferait inexorablement la Terre a été malheureusement oubliée.

Aujourd’hui, l’atmosphère accuse une concentration de 413,7ppm de gaz carbonique alors qu’en 2019 on en était à 410,35ppm. Bon remarquable puisque, dix ans plus tôt, la concentration de gaz carbonique n’était que de 388,71ppm. A l’époque préindustrielle, peu avant la naissance d’Arrhenius, cette concentration était de 280ppm. Partant des travaux d’Arrhenius et de ceux du GIEC, la science estime à 350ppm, le niveau sûr, optimum de CO2 dans l’atmosphère.  Or, entre 1990 et 2015, il est aisé de voir que les émissions totales cumulées ont bondi de 60%. Pour le plus grand désavantage des moins fortunés ! Le rapport Oxfam-SIE relève : « Le budget carbone mondial limité a été dilapidé au service d’une intensification de la consommation de la population nantie, et non pour sortir des personnes de la pauvreté. » La moitié des 10% les plus émetteurs se situe en Amérique du Nord et en Europe et un cinquième en Chine et en Inde. Il n’en demeure pas moins que les pays industrialisés sont responsables, à plus de 70%, de l’accumulation de gaz à effet de serre dans l’atmosphère depuis le XVIIIème siècle.

Les fortunes… et les autres

En fait, la richesse mondiale qui se traduit par une hausse importante du PIB mondial a creusé les inégalités de revenus. Armelle Le Comte, chargée du plaidoyer Climat à Oxfam France note : « Cette croissance économique inégalée a des effets pervers à plusieurs niveaux, notamment parce qu’elle ralentit le rythme de réduction de la pauvreté et qu’elle a un impact sur le budget carbone mondial. Celui-ci s’épuise plus rapidement, au profit d’une minorité de personnes parmi les plus fortunées au monde. » En 2010, 388 individus détenaient autant de richesses que la moitié la plus pauvre de la population mondiale soit près de 3,5 milliards de personnes ; aujourd’hui, ils ne sont plus que 26 affirme l’organisation Oxfam (Pour la Science, janvier 2020, n° 507, p. 60). Le rapport conjoint Oxfam-SEI note cette grave et inquiétante constatation : « Nous avons calculé que les inégalités sont telles que les 10% les plus riches épuiseraient à eux seuls, d’ici à 2033, le budget carbone visant à limiter le réchauffement à 1,5°C et ce, même si les émissions du reste de la population mondiale devenaient nulles dès demain. »

Rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation, Jean Ziegler écrivait dans « Le capitalisme expliqué à ma fille » (Editions du Seuil, Paris 2018, p. 69 » réfutant la théorie du « ruissellement » écrit: « Dans les pays de l’hémisphère Sud, des charniers s’élèvent chaque jour. Entre les très riches et la masse anonyme des gueux, les inégalités ne cessent de progresser. Le pouvoir financier économique des 562 personnes les plus riches du monde a augmenté de 41% entre 2010 et 2015 tandis que les avoirs des 3 milliards d’individus les plus pauvres ont chuté de 44% »

« En France, les inégalités sont très marquées note l’Humanité (22 septembre 2020, p. 17) : sur la période 1990-2015, les 10% les plus riches ont été responsables de plus d’un quart des émissions cumulées de gaz carbonique (27%) soit presque autant que la moitié la plus pauvre de la population française. » Et dire qu’en son temps, Victor Hugo appelait à « détruire la misère » !
Le rapport Oxfam-SEI – qui dissèque le duo inégalités-crise climatique-a été publié à la veille de l’Assemblée générale de l’ONU qui s’apprête à discuter des défis que présente à l’humanité la crise climatique. Dans ce texte, les gouvernements sont appelés à « inscrire la lutte contre la crise climatique et celle des inégalités au cœur des efforts de reprise ». Pour ce faire, le rapport appelle à « des changements systémiques » et « offre une occasion unique pour  le développement d’une économie plus juste, qui tienne compte de notre planète » d’autant que la pandémie rebat les cartes de l’économie pour de nombreux secteurs : il faut investir dans les services publics et les services peu gourmands en carbone comme les transports et faire en sorte que le bâti se libère de  l’air conditionné qui consomme 10% de l’électricité mondiale selon l’AIEA de Vienne. C’est ainsi que l’on fera face aux errements climatiques et qu’on commencera à freiner le creusement des inégalités.

Ces inégalités mettent en place un « apartheid » (qui signifie séparation en afrikaner) entre les nantis et les autres. Dès 1992, mon ami, le professeur Michel Beaud, un économiste doublé d’un écologiste disait : « Pour quiconque regarde autour de soi, l’évolution vers l’instauration d’un « apartheid » à l’échelle planétaire est déjà bien engagée : cet apartheid ne sépare pas le Nord et le Sud, mais, au Nord comme au Sud, les espaces réservés aux riches (eau, air, verdure, produits de qualité, calme et parfois beauté) et ceux où sont cantonnés les  pauvres (où on peut manquer de l’essentiel : l’eau potable, l’air sain, les conditions minimales d’hygiène). »

Ce mercredi 30 septembre 2020, l’ONU s’occupe de la biodiversité et de la préservation des écosystèmes mais les engagements des Etats suffiront-ils à modifier profondément nos modèles de développement ? L’ébauche de la nouvelle convention pour la diversité biologique (CDB) propose des objectifs précis comme une réduction d’au moins 50% de la pollution provoquée par les pesticides.  Certains économistes s’interrogent pourtant : « Ce nouveau cadre mondial doit s’attaquer aux causes profondes pour surmonter les crises écologiques actuelles. Il faut ouvrir la voie à un changement transformateur car les approches fondées sur le marché ont démontré leur échec. »

En réalité, la planète et sa vitale biodiversité ne seront préservées que si l’on passe d’une société axée sur l’homme à une organisation centrée sur la terre dans son ensemble. L’actuelle pandémie ne le prouve-t-elle pas au-delà de tout doute ? « Les seuls véritables compétiteurs de l’humanité pour la domination de la planète sont les virus » assène Joshua Lederberg, Prix Nobel de médecine 1958. Les virus sont aujourd’hui l’entité la plus abondante dans tous les systèmes aquatiques et terrestres.

Mohamed Larbi Bouguerra

* Le million de décès a été annoncé par l’OMS le 28 septembre 2020.

 

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1 Commentaire
Les Commentaires
Touhami Bennour - 30-09-2020 23:27

Il est temps de s´attaquer aux problemes economiques. Un pays comme le Danemark qui a une entreprise de transport maritime qui represente 20 % du PNB , ce pays n´est pas pauvre, il est un des pays les plus riches du monde. La pauvreté vient seulement quand on concevoit l´argent comme thesaurisation, et c´est le cas de presque tous les pays arabes depuis l´Antiquité. Il ya un autre problèem dans l´economie arabes: C´est la separation du travail intellectuel et le travail manuel. La Tunisie a 50 % de chomeurs, mettez les au travail ( l´interieur du pays) , "L ´homme est le capital le plus precieux". Tout le reste on peut le discuter.

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