News - 13.05.2020

Yousser Hamza : Quel avenir pour l’agro-industrie tunisienne après la crise du Covid-19?

Yousser Hamza : Quel avenir pour l’agro-industrie tunisienne après la crise du Covid-19 ?

Comme pour tout secteur économique, des leçons doivent être tirées de la pandémie de la Covid-19, une crise inédite de l’histoire de l’humanité et dont l’impact n’est pas seulement sanitaire ou socio-économique mais également en termes d’une crise alimentaire mondiale.

Au même titre que le secteur de la Santé, le secteur agro-industriel constitue un des secteurs vitaux du pays ; il a joué en effet un rôle crucial en répondant aux besoins alimentaires de chaque tunisien durant la crise du Covid-19.

Ainsi, la première leçon à tirer porte sur la sécurité alimentaire; il n’est plus à démontrer l’importance de consolider ce pilier pour notre pays.

Après la révolution, la question de l’auto-suffisance alimentaire a ressurgi avec les crises qui ont secoué certaines filières. A l’instar de la filière lait et des dérivés, il était déconcertant voire inquiétant après tant d’années d’acquis, que l’Etat se voit obligé d’importer du lait alors que dans les années 2000, il était question de procéder à son séchage pour gérer l’excédent de production en période de haute lactation.

Il va falloir revenir à ces acquis d’avant la révolution pour les consolider et les améliorer. En analysant de près ces crises, nous remarquons que c’est surtout et toujours le maillon agricole qui est ébranlé, considéré toujours comme le maillon faible et donc le plus fragile dans les situations de crise.

L’approche filière doit être redéployée pour être consolidée; cette approche doit permettre de se pencher surtout sur ce maillon agricole mais aussi sur l’interface et les relations contractuelles entre l’agriculteur et l’industriel. A ce sujet, il est important de rappeler que l’appartenance depuis 1995 du département des industries agro-alimentaires (IAA) au Ministère de l’Industrie lui a certes fait profiter du programme de mise à niveau mais n’a pas toujours favorisé cette approche.

Et ce n’est pas par hasard si ce département relève le plus souvent dans les autres pays du monde (Maroc, France, Allemagne, …), du Ministère de l’Agriculture.; la synergie des maillons agricole et agro-industriel ne peut en être que facilitée.

Quelle que soit la configuration que doit prendre la gouvernance, différents programmes soutenus par des bailleurs de fonds internationaux (Banque Mondiale, UE, etc.) sont aujourd’hui en cours d’exécution pour développer l’approche des chaines de valeurs et il est nécessaire de tirer profit de ces expériences, en particulier des succès stories. La distribution de la valeur doit être revue entre les différents maillons et il n’est plus permis que l’agriculteur perçoive une part misérable qui arrive à peine à couvrir ses charges.

La sécurité des aliments, souvent confondue avec la sécurité alimentaire, fait partie des leçons à tirer et doit ainsi rester une priorité de la politique de l’agro-industrie, avec un objectif de préserver la santé du consommateur.

Ici, l’Etat joue un rôle fondamental vu que c’est à travers le respect de la réglementation que cet objectif va être principalement atteint. Il est vrai que les acteurs tunisiens du secteur agro-industriel ont acquis une certaine responsabilité en la matière, grâce à plusieurs programmes de mise à niveau mais tout relâchement est facile dans ce domaine en l’absence de contrôle, surtout quand le contexte de l’entreprise devient difficile.

Peut-on encore compter sur l’Etat pour cette mission ? Nous n’avons pas le choix; c’est ainsi dans tous les pays du monde et seule l’évolution de la réglementation doit amener les industriels à mieux respecter leurs bonnes pratiques de fabrication.

Un détail important toutefois qui fait la différence avec les pays développés: il s’agit du rôle de la société civile dans l’évolution de cette réglementation.

Cette société civile représente des millions de consommateurs et a le pouvoir d’exercer une influence déterminante dans cette évolution. L’exemple le plus illustratif est celui de l’utilisation du glyphosate où le jeu des lobbies a pu être vaincu dans certains pays grâce à la pression exercée par la société civile.

Le consommateur citoyen tunisien a ainsi un rôle à jouer à travers la société civile considérée aujourd’hui comme le cinquième pouvoir. Cette société civile peut prendre des formes aussi variées qu’innovantes, allant de l’organisation classique des associations jusqu’à des applications mobiles mises à la disposition du consommateur ; un des exemples les plus récents est celui de l’application « Yuka » qui en informant le consommateur sur la qualité du produit par un simple scan de l’emballage a contraint certains industriels français à améliorer les formulations des produits et certaines pratiques de transformation. 

Il est donc temps de se pencher sur la question de la qualité nutritionnelle des produits proposés par l’agro-industrie. C’est un enjeu de santé publique où les autorités disposent d’une responsabilité. Et puis l’adage « Mieux prévenir que guérir » prend toute sa dimension sur le plan du coût des maladies comme le diabète et l’hypertension supporté par le budget de l’Etat.

Il ne faut pas omettre de citer le rôle des médias, ce quatrième pouvoir qui a également un rôle considérable à jouer, notamment pour sensibiliser le tunisien aux questions de sa santé et son lien avec son alimentation.

Et l’Innovation, dans tout cela ? Peut-elle être considérée comme un des principaux défis de notre agro-industrie et considérer la crise comme une opportunité pour aller de l’avant ? 

Plus que jamais ! L’innovation a également un rôle à jouer pour valoriser les produits agro-industriels.

La Tunisie a certes des ressources intéressantes mais de l’importance de sa taille. Sa compétitivité sur le marché international a souvent porté sur la qualité de ses produits et non sur le prix, tout simplement parce qu’elle ne peut pas concurrencer des grands producteurs comme les pays asiatiques ou autres.

Par conséquent cette politique qualité doit être renforcée en y associant un brin d’innovation. Cette innovation doit être intelligente et concerner certains créneaux porteurs où la Tunisie peut se prévaloir et présenter des avantages compétitifs.

Plus particulièrement, l’Innovation devra avoir pour objectif de valoriser nos produits du terroir où la Tunisie pourra se différencier des autres pays, comme par exemple les dérivés de la datte, l’huile d’olive, la grenade, la figue de barbarie, etc.

Sur ces produits, il existe un gisement considérable de valorisation et la recherche peut contribuer pour exploiter ce potentiel ; la Tunisie ne manque pas de moyens et a toutes les capacités humaines notamment pour le faire. Encore faut-il améliorer la collaboration entre les entreprises agro-industrielles et les structures de recherche.

Cette valorisation pourra se faire à travers des labels qualité, qu’ils soient liés à l’origine ou non. La stratégie marketing est essentielle sans laquelle cette valorisation n’aura pas de sens.

Pour atteindre cet objectif, une attention particulière doit être apportée à la mise à niveau du secteur de l’emballage. La valorisation de nos produits ne peut se faire sans un emballage qui répond aux critères techniques et fonctionnels. Et sur ce point, la Tunisie est en retard. Une réflexion de fond devra être menée pour proposer une stratégie pas trop coûteuse car nous savons tous la lourdeur des investissements dans ce secteur.

En conclusion, la Tunisie, connue pour avoir été le grenier de Rome, est une terre d’une grande richesse qui peut atteindre l’objectif de sécurité alimentaire. Elle dispose d’atouts non négligeables tant dans le domaine agricole qu’agro-industriel, malgré des ressources limitées.

Préserver ces ressources et les valoriser constituent un des principaux défis du secteur pour les prochaines décennies si on veut continuer à offrir aux générations futures un produit sain et de qualité aligné avec les objectifs de développement durable.

Yousser Hamza
Consultante en Agro-Industrie

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1 Commentaire
Les Commentaires
Touhami Bennour - 14-05-2020 00:23

A propos des ressources du terroir, je vis en Europe et ne vois pas des derivés tel que la datte, la grenade la figue de barbarie, je rencontre parfois de l´huile d´olive; je me demande si les olives ne sont pas vendus en vrac á des sociétés étrangère qui se charge de le distiller et le vendre au consommateur. L´ innovation doit être un laboratoire avec un personnel compétent.O voit des derivés de fruits des pays du sud de l´Amerique, de l´asie mais pas des fruits de la Tunisie. On peut les trouver sous formes de marmelade ou de boisson partout dans les magasins alimentaires. Il faudrait apprendre á vendre aux tunisiens ces biproduits aussi. En plus il est possible de trouver des qualités utiles pour la santé en un temps de coronavirus. La datte possède en effet de bonne qualité pour la santé, et il y en a sûrement dans la grenade et la figue de barbarie, et ne pas oublierl´huile aussi.

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