News - 11.05.2020

Ouissem Ghorbel : Prendre le COVID19 par les cornes !

Ouissem Ghorbel : Prendre le Covid-19 par les cornes !

Par Ouissem Ghorbel - Directeur Général de Matine Consulting - Cette crise sanitaire inédite a paralysé le monde : 5 milliards de personnes confinées, les avions à terre, les frontières fermées, les économies à l’arrêt, les bourses en crash, le pétrole au plus bas depuis la seconde guerre mais aussi l’air plus pur et les cieux dégagés de pollution.

En Tunisie, si les mesures sanitaires étaient nécessaires face à l’incertitude et pour protéger la population, les premières mesures économiques et sociales ont permis tant bien que mal d’absorber les impacts à court terme (package du gouvernement à 2500 millions de dinars, mesures BCT proches de 3 à 5 milliards de TND de reports d’échéances de crédit).

A moyen terme, la Tunisie pourrait vivre une des pires crises économiques et sociales de son histoire moderne, avec une baisse du PIB de ~-4 à -6% en 2020, des équilibres macro-économiques enfoncés dans le rouge (déficit budgétaire à 10%, dette publique +10%) et pourraient devenir insoutenables, un tissu d’entreprises terrassé et un chômage qui pourrait avoisiner les 19 à 20% d’ici fin 2020, avec plus de 800 mille chômeurs, selon les estimations.
Malgré cette catastrophe annoncée, la crise aurait permis une prise de conscience, une accélération de décisions et de mesures parfois imparfaites, mais qui entament un changement forcé, pourvu que cela dure.

Comme toute crise, celle-ci a ses perdants et aura aussi ses gagnants. Et nous devons forcer notre destin et dès aujourd’hui réfléchir aux opportunités qui se présentent à nous au niveau national et international. En voilà quelques-unes, sans être exhaustif.

La nécessité est mère d’invention: une transformation digitale forcée

Durant les dernières semaines, nous avons observé un élan d’innovations sous contrainte. Des diagnostics par intelligence artificielle sur les scanners thoraciques, aux respirateurs imprimés en 3D, aux applications de tracing confidentiel et sécurisé, jusqu’à la digitalisation d’un bon nombre de services des administrations (batinda.Com.tn, paiements cnss, mobile payement, accélération e-commerce, stopcorona.com.tn, allocations sociales, identifiant unique, etc).

Même si ce n’est pas nouveau dans l’absolu, mais cela accélère d’un coup les transformations et il est crucial de continuer dans cet élan.

Plusieurs projets évidents dans l’inclusion digitale et financière pourraient se structurer :

(1) digitaliser les services essentiels de l’administrations qui se comptent par centaines (peut être sous l’initiative Tech4tunisia),

(2) généraliser l’inclusion financière avec des portefeuilles électroniques pour tous,

(3) maximiser le de-cashing et les paiements digitaux,

(4) démocratiser la télémédecine pour les premiers diagnostics et sortir ses décrets d’application (loi 2018-41),

(5) généraliser l’inclusion digitale avec un ordinateur et une connexion par famille (des entreprises tunisiennes pourraient déployer un équivalent de WIFI dans les zones rurales),

(6) propulser nos startups les plus innovantes au rang de fournisseurs de l’Etat,

(7) innover dans nos modes de transports et logistique sont autant de pistes évidentes à poursuivre et à ancrer durablement dans notre budget, nos investissements et notre quotidien.

Ceci aura un impact fort sur notre économie, nos entreprises et nos emplois. Il donnera des solutions pour l’équité fiscale, la transparence, la lutte contre la corruption, l’évasion fiscale, les circuits parallèles, l’efficacité de nos subventions, l’accès équitable à l’information et aux finances. Et tout cela est bien faisable avec nos entreprises et nos experts tunisiens ici et ailleurs.

De l’informel au formel, il n’y a que deux lettres de différence et tout un état d’esprit !

Certains semblent découvrir que près de 1,6 millions de Tunisiens travaillent avec des patentes ou dans l’informel. Ces catégories vont être les plus touchées par la crise. Et les intégrer dans la formalité est plus que jamais une opportunité à saisir, en

(1) simplifiant les procédures administratives et légales (contrats, déclarations, comptabilités, statuts simplifiés),

(2) mettant en place des lignes de financement bonifiées et garanties par l’Etat,

(3) donnant accès aux services de soins et de retraites,

(4) mettant à niveau les services basiques qu’ils utilisent au quotidien et

(5) en promulguant les lois qui leurs donnent un statut clair (projet de loi sur l’Economie sociale et Solidaire, Statut d’Auto entrepreneur, entre autres)

A quelque chose malheur est bon

Dans l’après confinement, un mouvement de régionalisation pourrait se substituer en douceur à la mondialisation. Il est fort probable que certaines chaines de valeur mondiales changent de paradigme. La dépendance d’une seule usine du monde, la Chine, ne peut plus continuer. Du moins, des zones de back-up, complémentaires aux productions chinoises vont voir le jour, et la Tunisie devra prendre une place dans ces chaînes de valeurs mondiales, surtout dans les secteurs où elle est déjà positionnée. 

En particulier, le secteur du textile où nous avons 180 mille employés et près de 1700 unités. A court terme et hors polémiques, ces entreprises pourraient en partie se convertir dans la fourniture de masques pour le monde. L’Europe à elle seule aurait besoin de 10 milliards de masques. Un peu plus tard, des partenariats de diplomatie économique, avec nos principaux partenaires devraient permettre à la Tunisie de franchir un autre cap dans son positionnement mondial sur ce secteur.

L’Industrie pharmaceutique, avec nos ~50 industriels confirmés et un début d’industrie de dispositifs médicaux devrait également tirer son épingle du jeu.

La dépendance flagrante de la Chine ne peut continuer dans un monde sous la menace de nouvelles pandémies. Au niveau local, nous devons encourager les startups qui ont inventé des respirateurs, réparé du matériel médical, ou rendu des services de santé à ceux qui en ont besoin pendant la crise.

Le tourisme de santé: La compétence et l’abnégation de nos médecins et de notre staff médical n’étant plus à démontrer, (10% au moins des atteints du Corona sont parmi le staff médical pendant l’exercice de leurs foncions), nous devons exploiter nos succès relatifs afin d’attirer post crise plus de touristes de santé. Ils étaient près de 700 mille à se soigner en Tunisie en 2019, dépensant près de 1 milliards de dinars, faisant de la Tunisie la première destination de tourisme de santé en Afrique. Une réelle complémentarité entre public et privé est à mettre en place, sans polémiques et dans l’intérêt général.

L’offshoring des métiers du digital permettra d’avoir plus d’emplois qualifiés. Le télétravail et la digitalisation des services va entrainer en Europe un regain pour les métiers de l’offshoring. Nous voyons déjà quelques géants de cette industrie annoncer des recrutements massifs. Soutenons cet élan à court terme afin d’endiguer en partie le chômage des diplômés.

Le Tourisme est peut-être le plus touché à court terme, mais pourrait en sortir bénéficiaire à moyen et long terme.  En effet, certaines études montrent que ce genre de crises ne changent pas à terme les dépenses touristiques, mais plutôt le choix des destinations vers plus de proximité. Les premières publications sur le sujet indiquent que les gens voyageront plus près et dans les lieux/pays où ils se sentiront en sécurité sanitaire. Ceci pourrait nous permettre d’attirer une clientèle plus intéressante, mais encore faut il appliquer la stratégie touristique 2016, longtemps restée dans les placards.

A court terme, misons sur le tourisme intérieur et permettons à tous les tunisiens, selon leurs moyens et avec des réductions et des subventions d’aller passer quelques jours de vacances dans nos hotels. Que ce soit en ville ou sur les plages, nos familles ont besoin d’une bouffée d’air après 6 semaines de confinement. Nous pourrions ainsi maintenir plus de 100 mille emplois dans nos hotels et unités d’hébergement.

La diaspora tunisienne et la communauté scientifique peuvent jouer un rôle primordial dans cette nouvelle configuration mondiale. Cette diaspora a prouvé son implication dans cette crise à travers la collecte des dons et l’envoi d’équipements médicaux si ce n’est plus. La communauté scientifique a prouvé sa présence et a permis à la Tunisie de prendre de bonnes décisions. Plus que jamais, ces populations pourront contribuer à la relance de la Tunisie, post Covid-19. L’Etat doit organiser leur mobilisation dans tous les secteurs et pour toutes les batailles. Il serait par exemple simple de créer un rôle de «conseiller au développement » pour certains tunisiens établis dans des pays où nous cherchons des opportunités d’exports, d’investissements, de coopération ou de recherche. Certaines pointures pourront se voir attribuer des rôles plus engageants et formels dans le cadre d’une diplomatie économique affutée.

Notre système a été frappé par un virus, changeons alors de logiciel !

C’est souvent dans la gouvernance et dans l’exécution que la Tunisie bloque, et ce depuis bien avant 2011. Notre système politique ne permet pas de décisions rapides et simples à appliquer et nos administrations n’ont jamais les moyens et les ressources de l’exécution efficace. Deux grands chantiers devront se mettre en place rapidement. Le premier est «La réforme générale des politiques publiques» permettant d’adapter nos 1200 textes de lois et leurs décrets respectifs afin de changer réellement de logiciel. Le second est «La mise à niveau rapide des politiques sectorielles», prenant en considération les opportunités et défis qui se présentent à chacun de nos secteurs.

Le premier pas serait de nommer un premier comité stratégique au niveau de la présidence du gouvernement, associant experts, scientifiques, administration et méthodologues afin de dessiner les grandes lignes de ces nouvelles orientations.

Les deux chantiers pourraient être finalisés en l’espace de trois mois à huit-clos, et en mode convention, dans des assises nationales ouvertes, digitales, organisées et animées par nos meilleures compétences nationales et internationales.

Le sens étymologique du mot «crise» est «décider» ou encore «faire un choix»

Les crises remettent en cause des « statuts quo » et les fondements de situations figées, pour ouvrir un nouveau champ du possible tout en apportant également un certain nombre de problèmes à résoudre. N’est-ce pas un don du ciel dans notre pays où nous faisons presque du surplace, voire nous reculons depuis de longues années.

Ouissem Ghorbel
Citoyen tunisien engagé !
Directeur Général de Matine Consulting et auteur de plusieurs études sur l’investissement, l’emploi et le développement sectoriel.
Ancien Président de l’ATUGE, Ancien conseiller du premier ministre



 

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