News - 21.04.2020

Pr Kamel Bouslama: Covid-19 où la -Corée-tisation- de la Tunisie?

Pr Kamel Bouslama: Covid-19 où la «Corée-tisation» de la Tunisie?

"Même si le ciel tombe sur toi, il y a toujours un trou par lequel tu peux t’échapper."
 "하늘이 무너져도 솟아날 구멍이 있다  "
Proverbe Coréen

Alors que la quasi-totalité du globe est frappée depuis plusieurs semaines par la pandémie de Covid-19, le nombre de cas et le taux de mortalité varient fortement d’un pays à un autre. Les états unis sont le pays le plus endeuillé, suivi de l’Italie. La différence entre la Corée du sud et l’Espagne par exemple est d’un facteur dix. Qu’en est-il de la situation en Tunisie ?

A la date du 19 Avril 2020, selon l’Observatoire National des Maladies Nouvelles et Émergentes le nombre total de cas confirmés est de 866 cas (sur un total de 15332 prélèvements) et trente-sept décès. La journée du 17 avril, deux nouveaux cas ont été rapportés sur un total de 692 prélèvements réalisés et aucun décès n’a été déploré. Nos statistiques rivalisent avec les meilleurs pays, tendant vers la «Corée-tisation» de la Tunisie. Cependant, les chiffres sont toujours à prendre avec précaution, car chaque pays a sa méthode de calcul, le nombre de tests pratiqué varie selon les pays. Mais à supposer que les chiffres soient fiables, comment peut-on expliquer cette disparité contrastant avec l’insuffisance affligeante des moyens mis en œuvre en Tunisie ?

Le nombre de tests de diagnostic pratiqués est très insuffisant, même le personnel soignant exposé n’arrive pas à en bénéficier.
La manque des équipements de protection individuelle pour le personnel soignant.
L’extrême difficulté logistique d’isoler les personnes infectées et exposées.
L’impossibilité de fournir à l’ensemble de la population des masques chirurgicaux et du gel hydroalcoolique.
La Tunisie ne compte officiellement que 300 lits de réanimation sur un total de 20 mille lits disponibles dans les hôpitaux publics, ce qui représente 1,1%.
Le manque flagrant de médecins réanimateurs après leur départ massif à l’étranger depuis la révolution de 2011.
Les mesures précoces de confinement et de couvre-feu dont les bénéfices sont indéniables mais se sont révélées difficiles et souvent impossibles dans les milieux populaires notamment dans l’arrière-pays pour des raisons culturelles et économiques.
La distanciation sociale peine à s’inscrire dans les habitudes.

Tenant compte de ces constatations, tous les ingrédients sont réunis pour une déferlante de malades touchés par le coronavirus, nos hôpitaux s’y préparent dans l’anxiété. Le taux d'occupation des urgences et des services toute spécialité confondue est plus bas qu'il ne l'est en temps normal, l'hôpital est vide, le parking est vide et les salles de consultation sont dépourvues de patients. Même le centre de référence dédié exclusivement à l’accueil des patients Covid positifs fonctionne à 20% de ses capacités.

En espérant que ce n’est pas le calme qui précède la tempête, comment expliquer ce « miracle tunisien » au même moment où les Afro-Américains meurent à une vitesse alarmante:

S’agit-il d’une mutation du virus avec une souche « tunisienne » moins virulente ? Le séquençage du SARS-CoV-2, récemment réalisé au laboratoire de microbiologie de l’hôpital Charles-Nicolle de Tunis a démontré que les souches étudiées ressemblent étroitement à celui des virus qui circulent aux États-Unis.
S’agit-il d’une protection par le sacro-Saint BCG ?
S’agit-il d’un profil démographique protecteur de la Tunisie avec la jeunesse de sa population ; toutefois les résultats d’une excellente enquête réalisée par l’ATERA Survey et rapportée en 2019 « le Framingham Tunisien » soulignent l’augmentation croissante des facteurs de risques cardiovasculaires avec notamment 38,8% de dyslipidémie, 43,8% de surpoids, 22,3% d’obésité, 34,7% d’hypertension artérielle et 19,8 % de diabète de type 2. Toutes ces comorbidités constituent des facteurs prédictifs de gravité de l’infection par le SARS-CoV-2.

Le Covid-19 reste énigmatique, beaucoup de questions demeurent irrésolues, ce qui explique notamment les apparentes contradictions de la situation en Tunisie.

Le Tunisien qui a toujours voulu s’identifier au modèle de réussite de l’occident, actuellement son vœu le plus cher est de se démarquer du rêve américain.

«Le fumier n'est pas saint, mais il fait des miracles» Proverbe Péruvien

Pr Kamel Bouslama
Professeur à la Faculté de Médecine de Tunis.
Chef de Service de Médecine Interne. CHU Mongi Slim Sidi Daoud La Marsa

 

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1 Commentaire
Les Commentaires
Nozha Brahmi - 21-04-2020 16:04

Excellente analyse provenant d'un éminent Pr, Dr Kamel Bousslema.

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