Opinions - 10.06.2019

Abderrazak Chéraït: Un nouveau printemps tunisien?

Abderrazak Chéraït: Un nouveau printemps tunisien?

Plus d’un million cent mille nouveaux électeurs, en majorité des jeunes et à parité entre les deux sexes, se sont dernièrement inscrits sur les registres électoraux. Voilà la bonne nouvelle qu’apporte ce printemps au seuil d’échéances majeures. C’est un démenti cinglant à une présumée désaffection de nos concitoyens vis-à-vis de la chose publique. Les sondages, qui prédisaient jusque-là un taux d’abstention record pour les prochains scrutins nationaux, reflétaient en fait une autre réalité : celle du degré de défiance du corps électoral à l’égard de la classe politique, gouvernants et opposants confondus. 
Certains analystes aiment à avancer la thèse que la confusion et les errements qui ont prévalu ces dernières années sont le tribut naturel de l’apprentissage de la démocratie et de la bonne gouvernance. Comme ivre de sa liberté acquise au prix d’immenses sacrifices, le pays s’est adonné à tous les excès, à toutes les extravagances, de l’interruption de la circulation, y compris sur les chemins de fer, à l’occupation des sites de production et aux recrutements frauduleux ; il s’est tour à tour livré aux islamistes puis aux « modernistes » avec les résultats que l’on connaît et dont il portera des stigmates pour longtemps encore.

Par manque de vision, par le jeu des tractations opaques, par l’alignement sur des politiques étrangères, par la pratique du double langage et des discours démagogiques, la classe politique, gouvernants et opposants mêlés, s’est déconsidérée, décrédibilisée. Comment va-t-elle se comporter devant la nouvelle donne, qui constitue une véritable promesse de renouveau si elle sait s’en saisir comme d’une planche de salut ? Si elle veut survivre en ne comptant pas seulement sur les réactions ataviques d’une partie du corps électoral et gagner durablement les grâces de cette nouvelle génération de votants, il lui faudra savoir regagner la confiance de ses électeurs. Comment?

Tout d’abord, elle devra remobiliser en tenant un discours respectueux de l’intelligence des gens, celui de la vérité et de la sincérité. Arrêtons de faire des promesses démagogiques ; désormais, cela renvoie une image néfaste du politicien car, après huit ans d’expériences plus douloureuses les unes que les autres, les gens ne sont plus dupes. Disons-leur que des jours meilleurs sont à portée de main si on y croit et qu’on s’y emploie. Disons-leur que l’heure du réveil a sonné ; qu’aujourd’hui, il est temps de reprendre ses esprits et d’affronter la réalité avec les armes de la maturité : le sérieux, le travail, le mérite.
Il faut prôner clairement l’ouverture toute grande des portes de la participation de tous au relèvement du pays, ces portes que des générations de décideurs se sont méthodiquement employées à verrouiller devant les bonnes volontés à travers un dispositif bureaucratique hostile à l’initiative et à la participation.

Soif de liberté, impératif de solidarité

Lors de l’une de mes interventions à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), je me suis écrié : « Libérons les prisonniers du palais de Carthage !», en allusion aux 29 portraits en pieds des souverains de la dynastie husseinite transférés en 1962 du palais du Bardo au palais présidentiel  et qu’il faudrait remettre à la portée du public dans le cadre du musée.

« Libérer » devra devenir le mot d’ordre de la période à venir. Libération du système politique d’un mode électoral paralysant qui empêche l’émergence d’une réelle majorité pour gouverner le pays ; libération de l’exécutif qui doit pouvoir disposer d’une réelle marge de manœuvre dans la conduite des affaires quotidiennes de l’Etat ; libération de l’entreprise du carcan bureaucratique qui bride l’initiative ; libération des terres domaniales et des terres collectives par leur mise à disposition de celles et ceux qui voudront les travailler ; libération du commerce par la réhabilitation de cet esprit « phénicien » hérité de Carthage ; libération de l’emploi par l’instauration de la flexibilité et l’encouragement au mérite par le rendement et l’innovation ;  libération de l’Histoire de la tutelle des idéologies et des partis-pris raciaux ou religieux ; libération des arts et de la culture en général par l’exploitation (contrôlée, certes) d’un fabuleux gisement patrimonial qui est en train de partir en poussière ; libération des esprits du dogmatisme sous toutes ses formes par l’encouragement à l’innovation et à la créativité dans tous les domaines.

Parallèlement, il faudra plaider pour la réconciliation nationale afin de remettre dans le circuit des énergies et des ressources jusqu’ici gelées du fait de la prévalence d’un esprit de revanche aveugle qui sévit sans discernement. Dans le même temps il faudra promouvoir l’impératif de justice sociale et de devoir de solidarité envers les laissés pour compte.

Il faudra faire prévaloir la nécessité de tout remettre à plat, de ramener les compteurs à zéro et repartir sur des bases saines définies dans la concertation entre toutes parties concernées. C’est une condition incontournable pour rétablir la confiance sans laquelle la machine ne repartira pas. C’est aussi la condition pour préparer le terrain à  l’apparition de cette figure, homme ou femme, jeune, charismatique, porteuse d’une vision et d’une stratégie et de plus d’imagination que de vaines connaissances pour susciter le rêve et insuffler dans notre société l’enthousiasme salvateur et la mentalité de winner.

Abderrazak Chéraït

 

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