Opinions - 17.04.2019

Abdelkader Maalej: Quid de la révolution ?

Abdelkader Maalej: Quid de la révolution ?

Dans un précédent article nous avons promis de revenir aux évènements qui s’étaient déroulés lors et après "la fuite" du président déchu. Mais avant d’entrer dans le fond du sujet il serait utile de préciser s’il s’agissait bien d’une révolution ou d’un simple soulèvement populaire. A ce propos les avis  sont partagés. D’aucuns pensent que ce n’était nullement une révolution  car toute révolution doit être généralement encadrée par un ou un groupe de meneurs ayant un programme de changement bien défini. C’est pour cette raison que beaucoup d’autres gens pensent qu’il s’agissait tout simplement d’un soulèvement populaire provoqué par la détérioration générale qui s’était produite dans tous les secteurs de la vie publique.

Malheureusement tout soulèvement populaire est d’habitude accompagné et suivi par un chaos qui ne peut que perturber la scène politique et économique et semer le désordre le désarroi et l’instabilité dans le pays. Bien avant que Ben Ali ne prît l’avion qui devait l’emmener en Arabie Saoudite, un responsable de la garde nationale, Samir Tarhouni, décida de son propre chef, parait il, d’arrêter à l’aéroport de Tunis Carthage une trentaine de membres des familles Trabelsi et Ben Ali qui se préparaient à quitter le pays pour échapper à tous les malheurs qui les attendait après avoir perdu leur couverture protectrice. les personnes arrêtées furent extradés à l’armée nationale puis assignés en justice. Avec le départ de Ben Ali se posa naturellement le problème de la succession car comme tout le monde le sait la nature a horreur du vide. Un responsable de la sécurité présidentielle Sik Salem, prit une décision hautement audacieuse. Il convoqua dare dare  le président du parlement. Foued Mbezzà le président de l’assemblée des conseillers, Abdallah Kallel, et le chef du gouvernement Mohamed Ghannouchi. Une réunion inopinée eut lieu et on décida de hisser provisoirement Mohamed Ghannouchi  au poste de Président de la république  conformément à l’article 56 de la constitution de 1959 relatif à la vacance provisoire au poste de président de la république, cela signifiait que Ben Ali pouvait reprendre ses fonctions  dès son retour au pays. Un tollé général  s’en suivit  dénonçant cette décision  trompeuse. Face à la vague de protestations dirigée par d’éminents juristes et rejetant cette décision, une seconde réunion  similaire fut immédiatement improvisée et on dut recourir à l’article 57 de la constitution afférent à la vacance absolue au poste de Président de la république. Ce fut alors au tour du président du parlement Foued Mbezzà de prendre le pouvoir quelque peu malgré lui. La situation allait elle s’améliorer dans le pays? Loin de là les choses n’avaient jamais  cessé depuis lors d’aller de mal en pire. La cacophonie régna dans  tout le pays et le chaos gagna tous les domaines aussi bien politique que social et économique.

Au plan social le pays fut frappé par une terreur qu’il n’a jamais connue dans son histoire aussi bien lointaine que contemporaine. Les actes de vagabondage de braquage de cambriolage ravageaient tout le pays. En l’absence d’un service d’ordre disloqué par les descensions politiques et les décisions saugrenues prises par les nouveaux dirigeants, un grand nombre de magasins et de grandes surfaces furent pillés par de furieux assaillants qui croyaient que tout était permis. Il ne s’agissait pas seulement de gens démunis ou indigents  mais c’étaient parfois des gens aisés qui crurent que le moment était propice pour se venger de ceux qui corrompus ou usurpateurs avaient exploité en leur faveur l’ancien régime et construit illégalement des richesses colossales sur le dos de la plèbe. Tenez, voici en passant une histoire authentique dont j’ai été moi-même témoin. Au quartier où j’habite dans la banlieue sud de Tunis une foule de gens se sont mis à piller au lendemain du 14 janvier 2011 les magasins et les grandes surfaces de céans utilisant des camions et des 404 bâchés pour transporter leurs butins. Mais après quelques jours d’aucuns parmi ces malfrats se sentirent coupables et regrettèrent leurs actes. En signe de rédemption Ils eurent l’idée d’aller voir l’Imam de la mosquée du quartier pour lui demander ce qu’ils pouvaient faire pour se racheter  tout en gardant l’anonymat. Celui-ci eut une idée ingénieuse. Il leur conseilla de remettre les marchandises volées en les rassemblant dans la cour de la moquée et se chargea lui-même d’entrer en contact avec les  propriétaires des magasins pillés qui avaient pu par la sorte  récupérer une partie de leurs biens volés.

A ces innombrables actes de pillage qui se produisaient généralement la nuit, vint s »ajouter l’affaire de ce qu’on a appelé les francs tireurs qu’on n’a jamais jusqu’à présent, pu connaître qui ils étaient ni qui leur avait intimé l’ordre de tirer sur le peuple. Le pays vécut  alors une période de terreur qu’il n’a jamais connue dans son histoire. La panique générale régna dans toutes les régions s du pays. Les services d’ordre et les troupes armées ne pouvant pas répondre à tous les appels au secours  qui fusaient de partout les habitants des différends quartiers prirent sur eux-mêmes le devoir de s’auto défendre contre  les malfrats de tous genres. On créa alors ce qu’on a appelé les comités de quartiers  C’étaient des groupes de cinq à dix personnes qui munies de quelques armes blanches, telles que bâtons, épées ou gros couteaux jalonnaient les rues de leur cité pendant toute la nuit et fermaient l’entrée du quartier en dressant des barrages difficiles à franchir par les voitures et qu’ils n’ouvraient qu’aux habitants du quartier. Bénéficiant de l’appui des patrouilles armées, cette tactique s’avéra utile et au bout de quelques semaines le calme commença à se rétablir. L’armée prit la situation en main et demanda aux comités de quartiers de rentrer chez eux se chargeant elle-même  de défendre le pays contre les semeurs de terreur. Ce n’était portant pas fini car le pays fera quelques temps après à un autre danger non moins révoltant, celui des comités appelés les comités de sauvegarde de la révolution. C’est là un autre grave problème auquel nous  reviendrons probablement dans un prochain article.

Jetons maintenant  un bref regard sur la situation politique que le pays allait vivre après avoir réglé le problème de la succession.

A l’instar de ce qui se passe dans tout autre pays à l’issue d’un soulèvement populaire une grave cacophonie politique allait s’installer dans le pays. Sans avoir pris part à la soit dite ’révolution’ une frange de la population, et notamment les islamistes, allait essayer de profiter de l’aubaine pour accaparer le pouvoir. Chemin faisant une solide société civile allait se constituer en Tunisie. Le RCD fut automatiquement interdit et les deux assemblées législatives furent dissoutes. Une amnistie générale fut proclamée; des milliers de détenus dits d’expression politique et dont certains étaient des terroristes potentiels, furent  libérés. Suite à la large campagne orchestrée contre lui, Mohamed Ghannouchi, pourtant homme compétent et intègre, fut limogé sans crier gare. Pour le remplacer Foued Mbezzà ne trouva pas  mieux que son vieil ami et ex collègue Béji Caîd Essebsi. Vieux routier de la politique ce dernier accepta l’offre et devint Premier ministre devant faire face à une situation politique et économique très critique. Afin d’apaiser quelque peu les esprits révoltés Béji sortit à la rencontre de la foule des protestants réunis à la Kasba  et leur promit d’exaucer leur vœux à savoir l’élection d’une assemblée constituante, ce qui fut fait au mois d’octobre 1911. Béji Caîd Sebsi prit également quelques autres décisions sociales.

A l’actif du Président intérimaire Foued Mbezzà on doit  surtout citer les deux décrets lois à savoir le décret 115 qui devait remplacer le code de la presse et le décret 116 régissant le secteur de l’information audio visuelle. Foued Mbezzà promulgua aussi un décret fixant la date des élections présidentielles et législatives au mois d’octobre 2011. Le plus grand acquis de la révolution était sans doute la liberté d’expression dont ils n’avaient jamais joui depuis l’indépendance en 1956. Une instance supérieure indépendante fut également crée afin d’organiser et superviser les premières élections législatives et présidentielles libres et démocratiques  en Tunisie. Ce fut le début de ce  qu’on a appelé le printemps arabe car la ‘révolution’ tunisienne eut l’effet d’une boule de neige et s’étendit à certains pays arabes dont notamment la Libye l’Egypte et la Syrie. La révolution dans ces pays a-t- elle réussi à atteindre ses objectifs? Loin de là; Elle a lamentablement échoué à le faire. La seule exception est la Tunisie. C’est dit on la seule chandelle restant allumée .Néanmoins si la "révolution" tunisienne a grosso modo atteint ses objectifs politiques, les objectifs économiques sont encore loin de l’être et les déboires n’ont de cesse de s’accroître Espérons que nous aurons des jours meilleurs.

En guise de conclusion disons simplement que les élections législatives et présidentielles d’octobre 2011 marqueront en fin de compte l’avènement de la deuxième république tunisienne. Ce sera, si possible, l’objet d’un prochain article. 

Abdelkader Maalej

Ecrivain ancien communicateur

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