News - 29.05.2017

Pour un système éducatif reflet de nos espoirs et non de nos peurs

Pour un système éducatif reflet de nos espoirs et non de nos peurs

La Tunisie vit en ce moment une opportunité rare, celle d’un super-ministère de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique cumulatif de tout le système éducatif. Il ne faut donc pas rater l’occasion d’engager une réforme coordonnée de l’ensemble du système en vue de sa refonte globale et d’une redéfinition des stratégies.

Le système éducatif tunisien, dans son état actuel, est un musée de cire, qui ne remplit pas sa fonction et n’assure pas l'acquisition des compétences nécessaires, pour faire face à la réalité sociale.
La Tunisie souffre gravement de l’inadaptation de son système scolaire. Le climat social est plutôt orageux, et l'école tunisienne suscite suspicion et manque de confiance et tend à devenir un espace de conflits entre toutes les composantes de la société : enseignants, élèves, personnel d'encadrement administratif et parents, chacun se retranchant derrière leurs droits, lesquels font souvent écran à des devoirs à l’encontre des autres, que l’on refuse de considérer.

Bien que les parents soient des membres à part entière de l’institution éducative, le dialogue avec les enseignants et autres personnels de chaque école et établissements secondaires et supérieur est assuré de manière difficile et pénible. Dans certains établissements scolaires, les parents sont reçus comme des trouble-fêtes indésirables, avec une réticence marquée et non-cachée. Dans les instances scolaires, les parents d’élèves ne sont pas représentés de façon directe et fiable. La Tunisie ne dispose pas d’un Code de l'éducation, dans lequel serait reconnu par le législateur et par l’administration éducative, le rôle, la place et les droits des parents à l'École, comme partie prenante influente, ayant part à jouer dans les décisions. Pourtant la réussite de la scolarité d’un enfant est fortement liée au dialogue qui peut s'établir entre les différents personnels de l'établissement scolaire et ses parents, dont l’implication dans l'accompagnement de sa scolarité est indéniable. La communauté éducative a normalement pour rôle d’accompagner l’enfant dans sa scolarité depuis ses premiers pas à l’école. Elle doit l'encourager dans sa découverte et l’apprentissage de la lecture et de l'écriture et dans sa recherche d'autonomie, développer sa socialisation et son sens des responsabilités, et lui apprendre aussi l'utilité et le respect nécessaire de lui-même et des autres, ainsi que les règles de vie commune. Elle doit aussi l'aider à acquérir une certaine norme de vie sociale, qui peut favoriser sa disponibilité pour apprendre mais aussi, affronter les tentations et risques de la société.

Dans notre système, les droits des parents à l'information ne bénéficient d’aucune garantie et celle-ci est laissée à la discrétion du personnel, alors que le suivi de la scolarité de leur enfant, par les parents, est tributaire de ce que ceux-ci soient bien informés des résultats mais également du comportement scolaire de leurs enfants. Aucun dispositif objectif n’est institué, ce qui constitue une preuve d’arbitraire et une atteinte grave aux droits et libertés (droits à l’éducation) garantis par le Droit. C’est une défaillance de l’école tunisienne qu’il faudrait impérativement corriger pour rationaliser et organiser la participation efficace des parents d’élèves à l’édifice éducatif.

L’évaluation du système éducatif tunisien qui serait faite aujourd’hui selon les standards internationaux, révèlerait un bilan désastreux, tant il est vrai que des inégalités sociales sont produites par l’école elle-même. Notre système éducatif est devenu hermétique et renfermé sur lui-même. Il se pose actuellement comme une fabrique de l’injustice scolaire et l’égalité des chances d’une ascension sociale est devenu un mythe. Ce n’est pas de la faute des stratégies familiales ou de la crise économique, mais celle des politiques éducatives qui, au lieu de résorber les inégalités, n’ont fait que les exacerber, et un fossé se creuse entre les élèves défavorisés et ceux aisés, quant à leurs résultats, liés qu’ils sont avec leur situation sociale. Les processus inégalitaires se cumulent et se renforcent à chaque étape de la scolarité : inégalités de traitement, inégalités de résultats, inégalités d’orientation, inégalités d’accès aux diplômes et même inégalités d’insertion professionnelle. Limités à l’école primaire, les clivages sociologiques explosent à partir du collège. C’est généralement à ce niveau de la scolarité que l’on constate que les élèves les plus défavorisés, n’acquièrent et ne maîtrisent qu’une infime partie des compétences attendues et ont moins de chances d’intégrer le lycée, a fortiori l’université. Le dispositif éducatif s’est corrompu, les moyens se sont dilués, avec des effets de stigmatisation assez forts. Des écoles fermées, la taille des effectifs des classes, qui n’est pas suffisamment réduite pour avoir un impact positif sur le niveau des enseignements, Les enseignants sont moins expérimentés, des problèmes de discipline, mais aussi d’exclusion ou d’absences d’élèves et d’enseignants, des emplois du temps surchargés avec une répartition des temps d’enseignement qui va à l’encontre des règles élémentaires de pédagogie. Aussi est-il vrai de considérer que l’on ne changera les mentalités des élèves qu'en changeant celle des enseignants et en fixant des objectifs nobles et clairs au système.

Comment améliorer la qualité de l'enseignement

Les élèves tunisiens sont en décalage avec ceux du reste du monde, car la Tunisie n’a pas encore compris que le monde moderne s'intéresse au savoir-faire et au savoir être, beaucoup plus qu’à l’acquisition de connaissances académiques, laquelle est au centre de notre système éducatif et en fait sa médiocrité. Le bilan est dramatique, lorsque l’on considère le temps que les jeunes Tunisiens passent en classe et qui est l’un des plus élevé du monde et l'âge précoce auquel on les envoie à l’école. Avec une entrée en maternelle à l'âge de trois ans en moyenne, la Tunisie fait partie des pays du monde où l'on commence sa scolarité le plus tôt.

Sans céder à la tentation de réduire la complexité à quelques formules faciles à retenir, faciles à s’approprier, la restauration du système scolaire revêt un caractère à la fois urgent et impératif. Durant des années, le système éducatif tunisien, s'est efforcé de sauver les apparences et de maquiller les carences dont il souffrait, en improvisant des palliatifs par devers et contre les parents d’élèves et la société civile. Le résultat de ce rapiècement a été un système éducatif incohérent, affaibli et irréfléchi, ainsi que le sacrifice de générations dont les résultats en termes de niveau sont allés en chute libre.

En conséquence, procéder à un diagnostic juste, à une évaluation objective est une opération nécessaire, pour pouvoir procéder à une refonte qui réponde aux attentes légitimes des parents tunisiens, des enfants, des enseignants et de la société. Ce diagnostic et cette refonte doivent nécessairement faire l'objet d'une consultation de toutes les composantes de la société, des éducateurs certes, mais aussi et surtout des parents et des élèves eux-mêmes, sans lesquels, tout projet de réforme serait voué à l'échec. Notons aussi qu’il est inutile de revenir sur certains acquis indéniables du système, mais il faut focaliser l’attention, plutôt sur ce qui, de notre point de vue, est à repenser. Il ne faut pas non plus, s’attacher aux statistiques rapportées, dont le rôle consistait moins à évaluer les performances réelles du système, qu'à rassurer l'opinion publique, et à plus forte raison, les bailleurs de fonds internationaux. Aussi certains aspects du secteur éducatif sont à déplorer et doivent être reconsidérés. Ainsi en est-il du passage automatique dans le premier cycle de l'enseignement de base, qui a causé des ravages, des années durant, et qui a produit, dans certains cas des illettrés sinon des analphabètes, et qui est révélateur de cette propension à maquiller les résultats qui régnait.


En Juillet 2002 fut adoptée la loi d'orientation de l'éducation et de l'enseignement scolaire. Lors de la mise en pratique de cette loi, une série de mesures, prévues dans son dispositif, n'ont pu être appliquées, faute de consensus. D'autres se sont trouvées en décalage avec la réalité scolaire, comme par exemple, le droit de l'élève à acquérir une information diversifié et complète sur tous les aspects qui ont trait à l'orientation scolaire et universitaire, mesure pour laquelle, aucun temps dans le calendrier officiel ne fût prévu à cet effet. Pour sa part, le syndicat des enseignants, écarté de la sphère décisionnelle durant des années, a considéré comme nulles toutes les dispositions issues de la logique institutionnelle descendante, ainsi que la plupart des choix faits sans sa consultation, y compris le projet de l'établissement, pierre angulaire de la loi de Juillet 2002. Nombreuses sont les dispositions de cette loi, qui ont avorté ou qui ont abouti à un moratoire kafkaïen et sont demeurées inappliquées. Tout le climat scolaire en a été affecté et s’est imposée une ère d'hésitation, d'improvisation et de manque de lisibilité et de visibilité, où tout le monde faisait n’importe quoi, n’importe comment. Le projet de l'orientation scolaire s'est éteint sans autre raison que la mystérieuse raison d'Etat. Les élèves ont dû payer un lourd tribut moral face à ce revirement inexpliqué. L'école tunisienne a toujours dû composer, non sans mal, avec des choix, par moments, inattendus et surprenants, parce que dictés par des contraintes politiques ou économiques urgentes. L'idée du collège technique tunisien est pour le moins problématique et les élèves qui y étaient orientés, ont eu le sentiment d'avoir été trahis, induits en erreur et manipulés. Ils n’ont eu aucune possibilité de réintégrer les établissements scolaires normaux et en plus la formation de qualité et le « baccalauréat professionnel », qui leur avait été promis, se sont révélés n’être que Mirage. Aussi, au terme de la 9ème année, ils se sont retrouvés dans des centres de formation professionnelle, dans des spécialités qu'ils n'avaient pas forcément choisies. S’ajoute à cela qu’ils ont dû partager leur formation avec un public plus âgé, n’ayant pas nécessairement suivi le même parcours.

Par ailleurs, sur un autre plan, il ne suffit pas d'enseigner pour que les élèves apprennent. Se pose ici le problème de la qualité de l'enseignement. Les taux de réussite exagérés ne sauraient dissimuler l'instrumentalisation et la commercialisation généralisée du savoir, le dysfonctionnement administratif et la démotivation des enseignants. Ceux-ci, face à la contrainte de terminer leur programme, ne se soucient plus outre mesure de la valeur ajoutée du savoir transmis et la quantité prend le pas sur la qualité, la note sur l’acquis réel. On assiste alors à une course effrénée à la performance par les parents d'élèves pour faire en sorte que leurs enfants obtiennent le maximum de points dans les contrôles, sans plus : surenchère des cours particuliers, l’inscription dans des cours de calcul mental, absentéisme planifié, bachotage, faux-semblant, fraude, corruption...etc. les enfants deviennent des marionnettes ou des animaux savants entre les mains de leurs parents qui opèrent sur eux un véritable dressage du fait qu’ils ont transféré en eux tous leurs espoirs déçus et leurs frustrations. Mais au bout du chemin, ce sont les enfants qui payent chèrement la facture. Certains élèves lâchent prise et décrochent, ne pouvant plus soutenir le rythme auquel on les soumet et c’est l'abandon, malgré tous les efforts et parfois même la déscolarisation.

Dès la première année primaire, les enfants sont victimes d'une politique de la peur et les enseignants traitent les erreurs comme le signe d'une tare et ceux qui les commettent comme de mauvais élèves indignes de leurs efforts et intérêt. Cette attitude a pour conséquence de détruire la personnalité et la créativité des enfants qui s’habituent à vivre sous cette étiquette. Par ailleurs le système d’évaluation institué est tellement lourd qu’il développe chez les élèves, une forte sensation de stress et de trac avant les examens ou une quelconque épreuve d’évaluation. Ce stress des examens est mis en place dès les premières années de l’enseignement de base et il est accentué par le système de la semaine bloquée, lequel se présente comme un instrument de persécution et une catastrophe sur le plan pédagogique. L’école d’un côté, les parents de l’autre, les enfants sont coincés dans cette atmosphère où l’erreur est pénalisée. Pourtant, faire des erreurs fait partie intégrante de l’apprentissage, tant il est vrai que c’est le meilleur moyen d’apprendre en se basant sur l’expérience plutôt que sur une théorie vide de sens. Le schéma de pensée selon lequel "Il n’existe qu'une bonne réponse à chaque question" est profondément ancré dans notre système, au point que l'obéissance à ce schéma est exigée, à chaque pas de l'enfant, sur le chemin de son éducation. Toute autre idée ou réponse créative qui ne correspond pas au canevas établi, fait de facto, l’objet de critique par des enseignants figés depuis de nombreuses années dans cadres stricts et rigides, desquels ils refusent de sortir. L’élève est ainsi victime d’un formatage qui les oblige à ne donner uniquement que des réponses considérées "valables et correctes" selon un barème et des cases prédéterminés. Les enfants différents, qui brisent ce schéma strict, deviennent mauvais et sont traités avec mépris. Cette approche handicape l’individualité et l’originalité. Elle tue aussi la créativité, l'innovation, l’esprit d’initiative et la capacité à résoudre différemment les problèmes. Les jeunes apprennent très vite qu'obtenir de bonnes notes doit être leur but principal, et non pas celui d'apprendre à faire et découvrir le monde à leur façon. Ils rivalisent avec leurs camarades dans une compétition quotidienne, et sur la base de leurs résultats, se comparent entre eux. Ceux qui obtiennent des notes moins bonnes sont fustigés et se sentent inférieurs aux autres, ce qui affecte négativement leur personnalité et leur estime d’eux-mêmes, ainsi que la motivation de leur présence à l’école. Nombreux sont ceux qui souffrent de manque de confiance et d’estime de soi, sentiments qui vont les suivre tout au long de leur vie. Ils se disent "nuls", ressentent la honte, et cette étiquette les accompagne jusqu’à la fin de leur scolarisation légale. S’ajoute à cela le regard de leurs camarades sur le fait d’être moins bon, plus lent, différents. L’enfant, intérieurement, vit cela comme une injustice ou une agression, et fuit dans un jeu de rôle où il s’affirme artificiellement comme quelqu’un d’autre, généralement plus agressif, plus violent, parfois passif et renfermé, ce qui favorise le décrochage scolaire et la délinquance juvénile.

La scolarisation des élèves en situation de handicap

A ce stade de la réflexion sur la différence le droit à la différence et le droit des individus différents, il faudrait aborder une question. La scolarisation des élèves en situation de handicap et devant bénéficier d’une aide humaine. Celle-ci constitue une priorité nationale, conformément à la garantie constitutionnelle des droits des handicapés. Dans ce domaine, des progrès doivent être accomplis pour l’égalité des droits et des chances des personnes handicapées en matière d’éducation. En effet, le nombre d’élèves intégrés dans le système ordinaire reste, à ce jour, très limité, du fait d’un refus des établissements scolaires pour l’essentiel et la formation des enseignants insuffisante. L’Etat doit veiller d’abord au respect de la constitution et de la loi d’abord et ensuite, à la fourniture des moyens d’accompagnement et au déploiement d’auxiliaires de vie scolaire (AVS), pour permettre à ces élèves d’accomplir leur parcours de formation avec les meilleures chances de réussite possibles. Une analyse et évaluation des besoins de chaque élève handicapé doivent être menées et s’accompagner de la recherche de la meilleure adéquation avec l’environnement scolaire. Les parents doivent être associés à toutes les étapes de la définition du Projet personnalisé de scolarisation de leur enfant, par un partenariat approfondi impliquant l’ensemble des acteurs, par la recherche des réponses les plus adaptées au devenir scolaire et citoyen de chaque élève handicapé. L’accomplissement des parcours scolaires des enfants et adolescents en situation de handicap doit s’opérer selon une approche simple et pratique des principaux domaines et situations rencontrés au quotidien et pris en charge au niveau matériel par le ministère de l’éducation et de l’enseignement supérieur conjointement au ministère des affaires sociales. Parmi ces situations, le monde moderne a généré un phénomène que l’on ne peut ignorer, celui représenté par la scolarisation des enfants différents sur le plan comportemental, différence que l’on désigne par le concept générique d’autisme. En Tunisie, depuis 1980, les individus autistes ont été inclus dans la catégorie des handicapés mentaux et psychotiques, ce qui est une grave erreur d‘évaluation, surtout lorsqu’il s’agit d’enfant dont l’avenir social est en jeu. Un amalgame est aussi fait par des associations comme l’APPAI (Association pour la protection des psychotiques et des autistes infantiles) entre enfants autistes et enfants épileptiques. Ce statut fait du tort jusqu’à aujourd’hui aux personnes qui sont affublées de ces maux quant à l’affirmation et l’exercice de leurs droit, si tant est que la garantie constitutionnelle est effective et une réalité.

Les personnes autistes, sont des gens intelligents, qui possèdent d’importantes potentialités, mais qui sont différents sans plus. Ils peuvent acquérir une autonomie complète, accéder à une scolarité ordinaire et même faire des études supérieures brillantes, si on leur donne leur chance. Cependant, les autistes ont besoin d’une éducation spécialisée, normalisée et structurée, ce que n’offre pas le système éducatif tunisien, enfermé qu’il est dans des archaïsmes d’un autre temps. L’éducation des autistes exige de grands moyens financiers, matériels et humains, ce qui explique qu’on préfère éviter et contourner le problème, plutôt que d’en affronter les contraintes. Chaque individu autiste constitue un cas particulier, de sorte qu’il faut affecter un éducateur ou un formateur pour chaque autiste. Or, il n’existe en Tunisie aucune structure publique dédiée aux enfants autistes, alors que le fait d’accueillir et d’encadrer ces enfants à un âge préscolaire et scolaire dans une structure médicalisée et spécialisée, est à même de leur permettre, en tout cas pour la majeure partie d’entre eux, de pouvoir poursuivre leurs études primaires et secondaires dans des écoles classiques et des études supérieures dans les universités tunisiennes.

En Tunisie nous pouvons dénombrer environ 200.000 cas d’autisme diagnostiqué, ce qui en fait une question que nous ne pouvons éviter et à laquelle il faut répondre de la manière la plus humaine et la plus équitable possible. Le sujet de l'enfant autiste est devenu l'un des sujets les plus discutés, à tous les échelons, que ce soit par les médias ou dans la société civile et associative. Il existe en Tunisie, toutes sortes de personnes spécialisées dans ce domaine, mais qui se situent hors du cadre scolaire et que l’éducation nationale refuse de gérer ; personne n’a encore pensé à les intégrer dans le système éducatif. Les enseignants quant à eux, ne sont pas formés pour prendre en charge, comme il convient, ces enfants différents qui nécessitent plus d’attention et plus de patience. Au mieux, les instituteurs essaient d’adapter l’enfant autiste au travail de tout le groupe dont ils ont la charge, quelles que soient ses compétences particulières à lui. C'est injuste !

De fait, en Tunisie, des centaines d'enfants autistes sont exclus du système scolaire et demeurent sans accompagnement adéquat, du fait de l’indifférence institutionnalisée de l’Etat. Ces enfants stagnent et sont condamnés à l'exclusion sociale, alors que des méthodes adaptées pourraient permettre à ces personnes, souffrant de troubles envahissant du développement, de mener une vie quasiment normale à l'âge adulte. En Tunisie, comme dans beaucoup de pays du monde d’ailleurs, le handicap est très mal vu, et l’autisme ne fait pas exception à la règle compte tenu du fait qu’il ne constitue pas une préoccupation sociale, sociétale ou de santé publique. Aucune politique publique n’est menée dans ce cadre, les initiatives étant en général locales, faute d'un intérêt des pouvoirs publics. Devant la démission et la défaillance de l’Etat, c’est le secteur privé qui intervient et l’on voit des centres se développer un peu partout, qui ne sont en fait que des garderies pour autistes moyennant force argent. L’autisme étant pour eux un marché très lucratif. Par ailleurs, en Tunisie, l’approche psychiatrique reste très répandue, malgré la lutte acharnée des associations et des familles pour imposer les démarches comportementales autres. Par contre En Grande-Bretagne ou encore en Suède, 100 % des enfants autistes sont scolarisés et capitalisés comme potentiel. Nous faisons face, en Tunisie, à un mur bureaucratique et de préjugés. Ni l'école, ni l'État ne s’expliquent sur les raisons pour lesquelles ces enfants ne sont pas acceptés comme simplement différents, malgré les lois de l'éducation et conformément à la Constitution tunisienne qui garantit l'école pour tous, même aux handicapés et l’égalité des chances. Au mieux des situations il y a un silence embarrassé et hypocrite, quand la question est évoquée sur la scène publique. L'éducation spécialisée est un vrai problème pour les familles, dès le départ. Avant d'être scolarisés, il n'y a aucun soutien public pour ces enfants. Ensuite, à l'école, ils restent le souci majeur pour les faire accepter. Les parents sont livrés à eux-mêmes et font faces à des difficultés de toutes nature, matérielles et financières, bureaucratiques, humanitaires. La société civile et associative fait de son mieux, mais ce n’est pas suffisant. Devant l’ampleur du problème, le règlement de la situation des enfants autistes tunisiens nécessite un support et des pressions internationaux, de transferts d'expérience et surtout de prise en charge et de financements publics par l’Etat et tout l’appareil dont il est le seul à disposer.

A un autre niveau, sur le point de la discipline et de l’autorité, on exige des enfants obéissance et la subordination, dès les premiers jours de leur parcours éducatif. A l’école, l’instituteur ou le professeur a toujours raison, et l'élève ne peut et ne doit pas discuter cette évidence sous peine d’hérésie. En effet le système concoure à ce que, tout ce que le maître dit soit appréhendé par l’enfant comme une prophétie à laquelle il faut croire aveuglément et sans aucune critique. Parfois même, une seule déclaration de l’enseignant peut marquer l’enfant et le modeler pour la vie, du fait qu’il représente pour lui l’autorité naturelle et le pouvoir absolu. De plus, tout signe de manque d'obéissance à l’autorité et d’alignement dogmatique, même l'envie de discuter, exprimer sa propre opinion, est immédiatement sanctionné, considéré comme un mauvais comportement pouvant conduire l’exclusion de l’école.

Il faut donc être bon en tout comme le disent les maîtres et professeurs et n’avoir que de bons résultats dans les normes fixées par le système. Cette exigence, associée à la peur de l’échec inoculée au parent, a eu pour conséquence générer et de développer un système parallèle, celui des cours particuliers. Ce phénomène, qui prend de plus en plus d'ampleur dans notre société, est une plaie ouverte dans le système éducatif tunisien, dont l'impact est ravageur, tant sur le plan pédagogique, que sur le plan social, déontologique et éthique. Un marché lucratif des livres parascolaires s’est développé et celui des cours particuliers prospère sauvagement et depuis quelques années de manière occulte, à tel point qu’il tend à s'ériger en "contre-modèle" du système scolaire qu’il vient concurrencer. Il tend aussi à consacrer une éducation censitaire, à plusieurs vitesses, en fonction de la classe sociale de laquelle est issu l’élève ou de l’aisance matérielle des parents, instaure une discrimination entre les élèves, inacceptable pour un système d’éducation publique et aggrave les inégalités sociales. Il produit aussi une compétition scolaire à la fois déloyale et aveugle et renvoie à la collectivité une image de l'école publique, éclatée et éparpillée, et dont le seul souci serait le profit pécunier. L'entreprise des cours particuliers se nourrit de l'angoisse des parents, soucieux d'assurer à leurs enfants un meilleur avenir, sans se soucier de ce que peuvent en penser réellement leurs enfants ou des enfants des familles défavorisées dont l’avenir est menacé. Cette pratique, relève de la responsabilité et d'une flagrante complicité de tous et d’un réel manquement aux responsabilités de l'institution en contravention avec les droits de l’Homme inscrits et garantis par la Constitution. Le baccalauréat est lui aussi devenu le fonds de commerce des professeurs de l’enseignement secondaire et a été mis sur le marché des cours particuliers avec des tarifs au-delà de toutes mesures.

L'école a également tendance à sélectionner les talents et les séparer en fonction des disciplines les plus importantes car les plus utiles pour le fonctionnement de la société actuelle, du point de vue de la conjoncture économique. Aussi l’enfant est parfois et même souvent obligé de renoncer à ce qu’il aime et/ou ce en quoi il a un talent naturel. La société tunisienne valorise les sciences fondamentales et stigmatise les sciences sociales et humaines, au point que les parents exercent des pressions sur leurs enfants pour stimuler des prédispositions dans ce domaine afin qu’ils deviennent médecins ou ingénieurs. Le système éducatif ignore complètement le fait que chaque enfant est différent. Chaque enfant a sa propre façon d'apprendre, de comprendre le monde, d’assimiler, de mémoriser et de restituer les informations, chacun d’eux a des rêves et des passions différents. Chaque élève devrait avoir un parcours personnel d’évolution, conçu avec l’aide des parents, des psychologues, des conseillers d’orientation, de façon à ce qu’il permette de développer ses talents, ses compétences et ses qualités.

Education axée uniquement sur l’acquisition de connaissances, le recours systématique aux évaluations à un rythme insoutenable, sous formes de tests, d’interrogations, de contrôles écrits et oraux et d’examens, les méthodes d’évaluation de l’acquisition des connaissances, sont des moyens d’un autre âge, qui exercent une pression psychologique telle sur les jeunes, qu’elle provoque une désaffection pour l’apprentissage et pour le milieu scolaire et un malaise psychologique certain. Il faut dire que même les méthodes enseignement, en Tunisie n’ont pas changé d’un iota depuis la mise en place du système éducatif, après l’indépendance du pays. Les programmes y sont ennuyeux quant à leur contenu et aux thèmes traités et sont enseignés d'une manière ennuyeuse. Le résultat en est que les jeunes se sentent découragés et ont l’impression de perdre leur temps assis sur leur banc. Même les enseignants s’ennuient et ne s’épanouissent pas dans leur profession du fait qu’ils ne sont pas formés de manière continue sur les méthodes d’apprentissage, nouvelles, efficaces et pratiques et sur le comment transmettre le savoir, tout comme d’ailleurs sur la psychologie infantile. Mais les enseignants ne sont pas seuls en cause. Il y a aussi le surpeuplement des classes, des diplômes au rabais et l’obligation de résultat exigée des établissements par les rectorats et les ministères. Les grands principes sont donc théoriques et leur mise en pratique se fait toujours au prix de compromis tellement contraignants, qu’au bout du compte, il n’en reste plus grand-chose. Toutes les réformes qui ont petit à petit dégradé le système éducatif ont suivi ce schéma : de bonnes idées théoriques, qui n’ont pas su être mises en pratique soit par manque de réalisme et de volonté, soit parce que ce n’était tout simplement pas possible pour des raisons concrètes et matérielles ou de financement. Ce manque de volonté budgétaire mène, par exemple et en particulier, à des fermetures de classes par coupure budgétaires, ou à des classes surpeuplées au sein desquelles aucune réforme, aucun progrès sérieux, aucun travail réellement constructif ne peut être fait, qui plus est, dans une société où les parents sont démissionnaires et ne sont plus en mesure de transmettre des notions aussi élémentaires que le respect à leurs enfants. Les manquements commencent de plus en plus tôt, dès le début de la scolarisation. Par ailleurs, la diabolisation de la discipline et de l’autorité à l’école, mène les instituteurs et professeurs à tolérer des comportements qui sont incompatibles avec tout enseignement quel qu’il soit.

Notre système éducatif a besoin d'une révolution

Nous avons besoin d’une véritable révolution dans notre système éducatif. Vouloir redonner du sens à l'école publique, c'est d’abord relever le défi d'une formation initiale des enseignants solide, étayée par une formation continue pertinente, réfléchie, qui ne retiendra pas seulement le volet didactique, mais surtout des thèmes transversaux relevant de la communication pédagogique, de la psychologie de l’adolescent, de l'accompagnement, de la gestion des conflits, de la médiation, etc. Il s'agit en outre de créer des mécanismes de motivation pour la formation des enseignants, prendre en compte leurs besoins réels en formation continue, en évitant de ressasser des thèmes galvaudés à force d'être traités lors des actions de formation, quitte à exiger en échange, des résultats probants en situation de classe. C'est aussi insuffler une âme à une « vie scolaire » devenue monotone et insipide. Mais c’est surtout dans les esprits que le changement devrait naitre pour pouvoir changer et améliorer la vie scolaire des jeunes, en faisant la promotion d’alternatives solides, qui puissent permettre aux élèves d’apprendre des choses utiles d’une manière intelligente. Insuffler une âme à la vie scolaire suppose qu'on réhabilite l'école, pour en faire un espace de vie, de joie et d'épanouissement sans qu'elle cesse, pour autant, d'être le temple vénéré du Savoir. Cela ne peut se faire sans la participation réelle des élèves à négocier et à concevoir, et en amont, une charte de la vie scolaire selon les principes démocratiques élémentaires et le respect des droits et libertés de chacune des parties prenantes. L’âme de la vie scolaire suppose qu'on reconsidère foncièrement le système actuel d'information, inefficace et obsolète, tant au niveau du contenu qu'au niveau des médias et des équipements didactiques et pédagogiques. L'accompagnement scolaire médico-social et psychologique des élèves est à généraliser et à renforcer en unissant toutes les structures concernées en une seule, plus efficace et plus opérationnelle.

Tout un ensemble d’interrogations essentielle peuvent nous mettre sur la bonne voie : comment parvenir à mettre sur pied un tel édifice ? Comment poser au moins les fondements d'une réforme qui ne relève plus du confort ou du caprice, mais qui a tout d'une situation d'urgence, du fait que ce sont nos enfants qui sont en train de payer le prix de nos hésitations et tergiversations actuelles et de nos querelles de salons. Pour y répondre, il convient à ce propos de mettre en place un dispositif ad hoc de concertation autonome, constitué de toutes les parties prenantes, des conseillers en orientation, des universitaires, des inspecteurs et des juristes, mais aussi des parents d’élèves et pourquoi pas des élèves, instance qui se verrait confier la tâche exclusive de concevoir un plan de réforme cohérent et raisonnable.
L'éducation est un thème classique des campagnes de réforme. L'enseignement de base, secondaire ou supérieur, la recherche, l'innovation... A l'aube de ce nouveau remaniement qui commence, nous pouvons imaginer trois postures simples, qui pourraient être la ligne de conduite du ministre en charge de ces sujets.

Objectif : remettre l’éducation nationale et l'enseignement supérieur au coeur du débat public. Une place clef dans une société tunisienne fortement tertiarisée et en proie aux bouleversements du monde du travail et notamment à un taux de chômage des diplômés important.

  1. Arrêter les “grandes réformes”, et procéder à des changements par petites touches successives.
  2. En matière de Budget et de financement, sortir du débat technique et de la langue de bois pour faire de la vraie politique éducative. Donner aux institutions les moyens nécessaires à leur fonction.
  3. Réinventer le rôle du Ministère et surtout ménager un équilibre rationnel entre le rapport hiérarchique et son système de contrôle et le rapport de tutelle, lui-même avec ses spécificités.

Le cadre législatif et règlementaire a été énormément remanié ces dernières années notamment dans l’Enseignement Supérieur et la Recherche, épuisant les équipes de réflexion et lassant la communauté universitaire et étudiante par des réformes inadaptées. Il est temps d’abord, d’arrêter les effets de manche et la poudre aux yeux, pour travailler plus en finesse à rénover et améliorer réellement l’existant, avant de procéder à une refonte et une re conception complètes. Ce temps de changement est propice à l’évaluation des politiques et résultats et à faire preuve de résilience pour tirer les leçons des situations anciennes, afin de ne plus commettre les mêmes erreurs.

Ces différentes réformes prétendaient toutes remettre le système en général et l’Université en particulier, au centre de tout le dispositif socio-économique, autant du fait qu’elle concentre l’essentiel du potentiel social, la jeunesse, étudiants et chercheurs, que parce qu’elle est la preuve de l’alignement de la société à la normalisation et aux standards internationaux. Mais jusqu’à présent, on a fait n’importe quoi avec le label éducation et la marque “Université”.

Il faudrait lever les contradictions de notre système en simplifiant l’arsenal législatif, en pensant l’Université dans son ensemble et sa diversité, car quelques universités visibles dans la compétition mondiale ne suffiront pas à entraîner les autres derrières elles, si on laisse faire la compétition sauvage. Il en va de la crédibilité du diplôme tunisien dispensé. Il faut identifier et lever les difficultés et problèmes de chacune de manière spécifique. Une chose est certaine, cependant, c’est que toute les universités tunisiennes et avec elles le dispositif primaire et secondaire, devront impérativement s’aligner sur les normes internationales d’accréditation des institutions, sous peine d’avoir des problèmes de validation de leurs certificats et diplômes à l’international.

Le périmètre budgétaire quant à lui, inclut différents éléments : celui du débat sur les frais d’inscription (la contribution directe), celui sur les engagements de l’Etat, celui sur la capacité à s’autofinancer (fondation, entreprises, etc.). Sur tous ces aspects l’Etat a une responsabilité évidente. Le débat sur les frais d’inscription n’a pas de sens, sans remettre en perspective, de façon globale, l’ambition de la nation pour son enseignement supérieur, l’employabilité de ses diplômés et la façon dont il doit concevoir et soutenir les établissements pour voir cette ambition se réaliser. Si élever les frais d’inscription à l’Université a pour conséquence de jeter dans les bras du privé une forte proportion d’étudiants qui, à frais identiques, seront rassurés par des “marques” plus solides (ce qui ne dit rien de leur réelle qualité académique), est-ce concevable et admissible ? Quel est le niveau de service minimum que l’on doit atteindre dans une Université publique vis-à-vis des étudiants ? Combien cela coûte-t-il ?

L’autonomie des universités ainsi que leur changement de statut (passage au statut d’Etablissement public à caractère scientifique et technologique, EPST) va autant bouleverser le paysage de l’enseignement supérieur que le ministère lui-même. Son rapport aux établissements va changer, comme sa façon d’exister politiquement. Ce seront des appels à projets par contrats programmes (financement) qui se succèderont à un rythme soutenu pour assurer une dynamique d’innovation continue. Mais les inflexions législatives ne devront pas être trop rapprochées pour ne pas risquer, de fait, de créer un assujettissement des établissements au pouvoir central (comme par exemple celui de suivre le rythme des réformes systématiques sans conception préalable…) car cette relation n’est pas saine.
Le principe général de fonctionnement selon une démarche descendante Top- down, qui prévalait jusqu’alors est dépassé. Le Ministère doit se réinventer et revoir sa stratégie de gestion du secteur. Et à travers ce changement c’est également l’état d’esprit de la communauté éducative qui doit évoluer, le rapport aux syndicats, aux enseignants, aux étudiants, aux responsables, etc. Sans ces changements, le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, ne pourra efficacement accompagner les transformations dans les établissements nécessaires pour faire face à ce monde qui bouge et qui a de nouvelles exigences.

Les deux techniques du ministère devront être, d’un côté la contractualisation, comme outil de politique publique : considérer les établissements, non plus comme des subordonnés, mais comme des partenaires. De l’autre : un rôle d’accompagnateur, impossible à mettre en oeuvre, si le ministère lui-même (et à travers lui l'administration) ne change pas dans sa structure et ses méthodes.
Bref, il est urgent de refuser les termes du débat archaïque tels qu’ils se présentent depuis des années, pour réimpliquer l’ensemble de la société tunisienne autour de son système éducatif, éducation nationale, enseignement supérieur, recherche scientifique et innovation technologique, le tout dans une stratégie cohérente et coordonnée.

Faut-il filtrer l'accès au Master ?

Se pose à ce niveau la question particulière du Master : les candidats n'iront pas où vous pensez qu'ils iront, si l’on n’instaure pas une sélection préalable. On entend systématiquement parler de sélection en Master présentée comme un "compromis historique" pour concilier l'inconciliable : Filtrer l'accès au Master et assurer la garantie pour chaque étudiant de trouver une place en Master. Mais avec cette réforme de l’accès aux concours de magistrature et du barreau instaurée par le ministère de la justice tunisien, aucun étudiant souhaitant passer ces concours ne pourra être empêché de poursuivre ses études en master, pour ne pas rester sans solution, sans choix, sans droit. C'est un peu comme si on annonçait simultanément la fin de la malbouffe et la gratuité des fast-foods. Cela relève d’un tour de force et d’une contradiction impossible à traiter. Les facultés de droit tunisiennes vont se retrouver dans une situation en porte à faux entre la sélection de l’admission en Master pour obtenir des effectifs gérables dans les conditions acceptables, et le fait d’empêcher ceux qui ne seraient pas admis à l’un des Master de postuler candidature aux concours. C’est une violation flagrante de l’égalité des chances, garantie par la Constitution tunisienne de 2014. D’un autre côté, si on ouvrait le Master à tous, les effectifs que l’on obtiendrait seraient tels que les années de Master se transformeraient en quatrième et cinquième année de Licence.

Dans le même ordre d’idée, on voit souvent revenir les thèmes suivants:

La fin d'un système flou et des recours administratifs contre les universités, qui se sont multipliés ces derniers temps, lorsqu'elles refusaient d'inscrire des étudiants en Master.
Une réforme qui consolide la valeur du diplôme, allant jusqu'à ajouter qu'elle répond aussi aux attentes de la Nation et de la société de voir s’élever le niveau de qualification et de formation de sa jeunesse.
Autant de slogans creux et sans intérêt.

Mais il y a des questions qui ne sont pas abordées:

De combien de diplômés de master la Tunisie a-t-elle besoin ? Combien a-t-elle l'ambition d’en produire ? Le marché de l'emploi peut-il les absorber ? Seront-ils employables sur le marché ?
En quoi cette réforme va-t-elle améliorer les problèmes des universités et leur image ?

On a donc des Master qui ne pourront plus se permettre de sélectionner et qui vont devoir accepter les étudiants qui souhaitent accéder aux concours.
La réforme ne va pas faire diminuer le nombre de places en Master dans les universités. Dans un contexte où il y a plus d'étudiants qui sortent de L3 que de places en M1, comment mettre en place les conditions permettant à chacun de trouver la sienne ?

Nous ne sommes donc pas dans la logique "sélection" où, bien souvent, il y a plus de candidats que de places. On comprend donc assez vite que deux catégories d’étudiants de master vont émerger. Ceux qui souhaitent volontairement faire un master par motivation et ceux qui occupent des places par contrainte pour accéder aux concours du barreau et de la magistrature et qui vont remplir les classes des différents masters et les transformer en quatrième et cinquième année de licence. Sélection et malthusianisme ne vont pas nécessairement de pair. Dans une autre logique, le nombre de places en master est aussi une question de budget et d'ambitions ainsi que d'objectifs. Si la Tunisie a déjà atteint les objectifs en matière de diplômés du supérieur, quid de ses ambitions et des besoins du marché de l'emploi vis-à-vis des masters ? Supprimer la sélection ne va pas améliorer significativement la situation des universités, mais engendrer des problèmes supplémentaires. Avant ces annonces, l'espoir pour les universités était que la sélection améliore leur image, la suite risque d'être plus compliquée. La technicité du processus, la prise en main par les rectorats va aboutir à la situation où l’on ne choisit plus son établissement (sauf pour quelques étudiants) et où l’on espère être intégré dans le système à la moins mauvaise place. En matière de désir et de sentiment d'appartenance on a connu mieux comme préliminaires. Et puisque les capacités d'accueil et les droits d'inscription resteront les mêmes, les charges pesant sur les établissements ne vont pas diminuer à moins que les étudiants n'aillent pas où tous pensent qu'ils iront.
Dans le schéma qui est proposé, l'étudiant pose sa candidature au master de son choix :

• Option 1 - il est pris.
• Option 2- il n'est pas pris, et on lui propose des solutions de rechange.

Il va intégrer l'offre alternative qui lui aura été faite ou s’orienter vers l'offre du privé qui représente la solution de repli. En effet, pourquoi aller vers une mention de Master éloignée de ses objectifs initiaux ou changer de ville pour poursuivre ses études, alors que des établissements privés proposent une offre alléchante ? Car concevoir une offre de formation attractive est un processus autrement plus complexe pour les universités que pour les écoles privées.

Résultat : des formations qui ne trouveront pas leur public et d'autres qui seront débordées par la demande. Mais les deux ont en commun de devoir continuer à exister et de mobiliser des ressources. Mais une logique de service public, nous dit-on, n'implique pas nécessairement la rentabilité, mais elle doit alors être assumée telle qu’elle se présente. Cette énième réforme pose alors une question simple : quelle part de marché les universités publiques doivent-elles prendre dans la formation des étudiants de master ? Par quels arguments comptent-elles concurrencer les autres ?
Ainsi, après le baccalauréat au rabais (Bac. Moins le quart), voici le Master qui n’en est pas un. Jusqu'où irons-nous pour rendre encore plus malléables, voire manipulables, les Tunisiens ? Ne faudrait-il pas plutôt se demander comment nous pourrions faire pour avoir des élus et des représentants compétents ? Aujourd'hui, l'insertion professionnelle et les besoins du marché ne sont pas un critère dans le processus d'ouverture et de choix des Masters et du nombre de places offertes.

La production participative et l'externalisation ouverte des enseignants pour la mise en place des cursus est un obstacle majeur en raison de la déconnexion trop fréquente des enseignants-chercheurs d’avec le monde du travail, et plus encore avec les compétences qui seront recherchées lorsque les étudiants seront formés et opérationnels.

La lecture, l'écriture et l'arithmétique étaient tout ce dont nous avions besoin pour bien faire dans le monde. Mais c'était aussi une époque où la grande majorité des emplois étaient des emplois agricoles, d'usine ou de services comme les métiers de service domestique (serviteurs et majordomes). Alors que notre société et marché de l'emploi ont radicalement changé depuis, notre système éducatif n'a pas suivi. Aujourd'hui encore, notre système d'éducation se concentre encore beaucoup trop sur l'apprentissage des faits par coeur, la mémorisation de routine et l'écriture de base et l'algèbre - tout ce que les ordinateurs peuvent faire beaucoup mieux et plus rapidement. Nos écoles remplissent les têtes des élèves avec des connaissances plutôt que de leur faire acquérir des compétences importantes et utiles dans le monde réel en matière de savoir-être et de savoir-faire.

En réalité, à l'avenir, les personnes qui pourront postuler pour les meilleurs emplois, seront celles qui seront compétentes dans l’utilisation des ordinateurs et des Intelligences Artificielles et qui seront en mesure de poser de nouvelles questions et de s’adapter, qui se montreront créatives et innovantes et qui auront un degré élevé d'intelligence émotionnelle, de sensibilité et de compétences sociales. Nous devons nous concentrer davantage sur ces compétences, au lieu de gaver nos enfants d’un fourbi inutile qui ne leur servira pas. Selon un sondage mené par ‘’The National Association of Colleges and Employers (NACE)’’, ce sont ces compétences que les principaux employeurs du marché recherchent et il est certain que nos écoles ne parviennent pas à préparer les étudiants à les satisfaire:

  1. Capacité d'obtenir et de traiter des informations.
  2. Capacité d'analyser les données quantitatives.
  3. Compétence avec les logiciels.
  4. Possibilité de créer et / ou d'éditer des rapports écrits.
  5. Capacité de vendre et d'influencer les autres.

Au fur et à mesure que les données deviennent plus importantes et intégratives sur le lieu de travail, les entreprises recherchent des employés qui peuvent être performants en ce qui concerne l'obtention et le traitement de ces données. Cela signifie qu'il est beaucoup moins important de connaître faits et chiffres que notre système éducatif actuel valorise, que de posséder les compétences nécessaires pour rechercher, localiser et traiter tout type d'information requise pour répondre à une situation donnée. Trouver les données est la partie facile ; Tout le monde peut effectuer une recherche. Mais les données ne peuvent mener aux solutions que l’on souhaite que si sont posées les bonnes questions. Les emplois du futur exigeront que les étudiants d'aujourd'hui réfléchissent de manière critique à la question de savoir si leurs données répondent aux problèmes qu'ils souhaitent réellement résoudre. Il est donc raisonnable de penser qu'assumer ces compétences et de traiter au mieux les données sera primordial, dans un proche avenir mais il faut leur associer une faculté de compréhension de base de la façon dont un processus fonctionne et de raisonnement, ce qui sera essentiel pour comprendre les ensembles de données et tirer des conclusions. Comme pour les faits, il s'agit moins de la capacité de résoudre un problème de mathématiques et d'obtenir la bonne réponse, que de la capacité de comprendre les relations entre les données et les principes sous-jacents qui mènent aux résultats. En d’autres termes, poser les bonnes questions et les requêtes adéquates, et un calculateur informatique fera le reste.

Développer les programmes d'enseignement de l'informatique

Il n'est plus acceptable, aujourd’hui, de ne pas disposer de compétences informatiques de base. Mais notre système éducatif ne fournit pas aux étudiants une formation adéquate et suffisante dans les programmes d’enseignement de l’informatique ; Par exemple, quelle que soit la profession aujourd'hui, il est nécessaire de se familiariser avec les fonctions graphiques de Word et d’Excel et les outils de visualisation et de présentation, PowerPoint et autres. Pourquoi ? Parce qu'une grande partie des entreprises, aujourd'hui exigent la compréhension, l'interprétation et l'explication des données par l’utilisation de ces outils. Les étudiants doivent donc bien maîtriser ces outils de base pour avoir des chances d’être recrutés.

L’habileté de communication verbale et écrite est aussi essentielle à presque toutes les positions d’entreprise mais ce n’est plus suffisant et il faut ajouter des compétences linguistiques, oratoires et de systématisation ainsi que des compétences en matière de visualisation (création de graphiques, diagrammes, cartographie de processus, etc.). Les futurs candidats qui peuvent démontrer qu'ils peuvent clairement communiquer des informations dans un format audio-visuel interactif systématisé, augmenteront d’autant leur capacité de satisfaire les employeurs potentiels. Nous pouvons enseigner aux élèves et étudiants la technique de la dissertation et de l'essai comme éléments de culture générale, les différentes théories, mais pas seulement. Il faut aussi que l’école enseigne le comment écrire de manière convaincante sur d’autres supports que la feuille de papier, comment composer un courrier électronique, rédiger un e-Mail ou une lettre professionnelle, et comment communiquer et diffuser efficacement l'information écrite à tous les concernés simultanément et en temps réel, gérer et interroger un réseau intranet, communiquer avec un serveur, etc.

Que l’on occupe un poste dans les ventes et la commercialisation ou non, beaucoup d'emplois exigent d'une personne qu’elle soit capable d'influencer les autres et d’induire des comportements souhaités, ce que l’on traduit par l’autorité ou le pouvoir. Les gestionnaires de médias sociaux par exemple, doivent être capables influencer positivement leurs adhérents. De la même façon, les gestionnaires et les équipes de direction doivent démontrer des capacités pour influencer et impliquer les employés et toute personne, qui s'occupe des contacts clients au sein d’une institution, doit pouvoir influencer ses clients. Ces types de compétences sont de plus en plus importants pour sélectionner les candidats à l’employabilité. Pourtant, les écoles se concentrent très rarement sur la communication ou d'autres compétences voisines, principalement parce qu'elles sont difficiles à mesurer et à classer dans une catégorie normalisée et c'est au grand détriment de nos étudiants et de leurs chances. Ces compétences peuvent et doivent être enseignées, car elles touchent autant les conférenciers que les écrivains, les politiques, les enseignants et les vendeurs, en fait toutes les professions. Aussi, nos écoles rendent à nos étudiants un très mauvais service en ne les leur enseignant pas. Et si une certaine connaissance fondamentale est importante pour créer des membres de la société, fonctionnels, notre système éducatif doit l’intégrer et ne doit pas se concentrer uniquement sur la mémorisation et la restitution des faits, mais aussi sur les compétences de réflexion critique qui permettent de mettre à profit ces faits et de les exploiter comme il convient.

Monji  Ben Raies
Universitaire
Enseignant et chercheur en droit public et sciences politique
Université de Tunis-El Manar
Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis

 

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