Opinions - 10.08.2016

Le Code du statut personnel Soixante ans après : quel avenir ?

Le Code du statut personnel Soixante ans après : quel avenir ?

Décidément, cette année 2016 est l’année de toutes les commémorations. Après le soixantenaire de l’indépendance nationale, la Tunisie commémore dans quelques jours un autre événement majeur de son histoire contemporaine, le soixantième anniversaire du Code du statut personnel, promulgué le 13 août 1956. Les années qui suivirent la révolution du 14 Janvier ont remis à l’ordre du jour toute l’histoire nationale et celle aussi de l’Etat national et de ses réalisations. La question des droits des femmes, de leurs acquis et des réformes nécessaires à entreprendre en vue d’atteindre l’idéal égalitaire et qui furent au coeur du débat pour notre nouvelle société. Ce débat fut âpre et la défense du Code du statut personnel s’assimila à une nouvelle bataille pour l’appropriation des valeurs du legs réformiste bourguibien qui était au fondement de la construction d’un Etat et d’une société modernes.
L’originalité de l’expérience tunisienne sur ce plan a montré au moins deux choses essentielles. La première est qu’il est possible de changer la société en réformant ses lois devenues caduques sans heurter les fondements de sa foi ni de ses valeurs spirituelles, et encore moins son identité. Et en cela, Bourguiba a fait preuve d’une ingéniosité exceptionnelle et surtout d’une volonté politique inégalée.
Malgré les réticences de milieux conservateurs, et même de certains cercles parmi ses compagnons, Bourguiba a réussi à engager la société tunisienne sur la voie de la réforme par la libération des femmes, une réforme qui a progressivement intégré son capital identitaire moderne, et qui s’est avérée être la pierre angulaire du nouveau projet sociétal.
Bourguiba le visionnaire, le fin lecteur de l’Histoire, savait que le premier moment de l’indépendance, avec son élan, était l’instant historique à capter pour engager «la réforme capitale».
La seconde est que cette réforme abolissant la polygamie, instituant le divorce judiciaire et le mariage civil a été l’élément déclencheur d’une nouvelle dynamique sociale qui a fini par bouleverser les traditions obsolètes et les structures profondes de la société patriarcale traditionnelle qui emprisonnaient les femmes dans les seuls rôles et espaces domestiques et privés. Elle a, de ce fait, créé les bases de la famille et de la société modernes, comme elle a posé aussi de solides jalons pour l’émergence de la femme individu, de la femme citoyenne, même si le texte du Code en lui même reste marqué par le sceau de l’ancien.

La famille moderne, la mixité à l’école et dans l’espace public, la maîtrise de la natalité, associées au train de réformes modernisatrices en économie et dans la culture, ont fini par changer la configuration sociale dans son ensemble, de manière à enfanter un Tunisien, femme et homme, à visage moderne, ancré dans son histoire et ses valeurs et ouvert sur le monde.
Le CSP s’est avéré de ce fait non seulement un code juridique, mais «un fait social total» au sens anthropologique du terme. La distance qui nous sépare aujourd’hui de cet événement fondateur nous invite à poser des questions tournées vers l’avenir. Le Code du statut personnel, tel qu’il a été forgé par Bourguiba et réaménagé ensuite par les ajouts successifs, a fait son travail, le temps aidant. Mais les Tunisiennes et les Tunisiens d’aujourd’hui sont appelés à relever des défis comparables à ceux de la décolonisation et de l’édification d’un Etat nouveau. Comment avancer aujourd’hui en étant fidèle à l’esprit d’une époque, à l’esprit du code qui a fait cette Tunisie nouvelle à laquelle nous nous attachons avec fierté ? Les femmes tunisiennes ont eu l’occasion de le dire et de le revendiquer ouvertement sur le terrain de l’action. Notre Constitution nouvelle a gravé dans le marbre le principe d’égalité entre femmes et hommes et a désigné l’Etat pour tout mettre en oeuvre et traduire ce principe constitutionnel dans les faits.

Nous n’avons d’autre choix que de nous inscrire dans la continuité de notre histoire pour être à la hauteur des défis du monde. Aller de l’avant en osant les réformes qui s’imposent aujourd’hui comme l’a osé Bourguiba hier. La question de l’égalité en matière d’héritage, posée en des termes comparables à celles de l’abolition de la polygamie en 1956, mérite un débat à la hauteur de nos ambitions et de notre intelligence tunisienne. A-t-on le droit d’oublier que le monde nous observe et que l’on n’a plus le droit de se dérober face à ces questions fondamentales? Se cacher derrière des arguments qui avaient servi auparavant à décrier le CSP du genre «notre tradition s’y oppose ou notre foi le rejette », n’est plus digne et a déjà montré ses limites.
Le CSP est certes l’horizon possible et souhaitable de notre réformisme, mais dans son esprit et non dans sa lettre. Souvenons nous que Bourguiba lui-même a rappelé, des années après la promulgation du CSP, que la réforme en vue d’instaurer l’égalité dans l’héritage constituait la dernière grande réforme qu’il souhaitait avant sa mort.
Etre à la hauteur de nos ambitions aujourd’hui suppose un double effort. Un effort sur soi d’abord en combattant la part d’égoïsme en nous, celle qui nous rattache à la mauvaise tradition, et un effort de réflexion pour une meilleure adaptation au monde ensuite. Cette adaptation nécessaire au monde est inscrite dans nos engagements, dans les conventions auxquelles nous avons souscrit et qui condamnent toute forme de discrimination à l’égard des femmes.
Nous avons franchi tant d’obstacles, ceux de la violence terroriste que nous combattons par la loi et la conviction.

Le nouveau projet de loi intégrale de lutte contre les violences à l’égard des femmes en cours d’adoption constitue un pas considérable sur la voie de la justice et de la paix sociale. A la veille de la commémoration des fêtes de la République (25 juillet), de celle de la naissance du leader qui a osé le CSP, et du CSP lui-même (13 août), nous avons le devoir de rappeler que notre intelligence collective nous incite à l’écoute des citoyennes et des exigences du moment: plus d’égalité, plus de justice et plus de liberté.

Dalenda Largueche

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