Opinions - 21.01.2016

Kasserine ou les nouveaux messages des régions défavorisées

Kasserine ou les nouveaux messages des régions défavorisées

Les événements qui secouent Kasserine montrent que les gouvernements postérieurs au 14 janvier n’ont rien compris aux mutations profondes de la Tunisie.Personne ne s’attache à élaborer un modèle de société adapté  aux bouleversements de la société et à son devenir. Certes, la nouvelle Constitution tunisienne est un acquis incontestable. Mais, rien ne s’est fait au niveau des différents secteursdu quotidien et du vécu du citoyen, en particulier dans le domaine socio-économique. Les autorités continuent à gérer ce secteur vital selon une approche désuète qui a été à l’origine même de la Révolution.
Rien n’a été fait pour redonner de l’espoir aux jeunes qui croupissent dans la pauvreté, le chômage, la frustration. Le gouvernement est incapable de traiter d’une manière frontale et efficace les urgences du pays. Qu’a-t-on fait pour combattre l’économie parallèle qui constitue un des fléaux majeurs de notre pays ? Qu’a-t-on conçu de concret pour les régions et les couches défavorisées, marginalisées, qui ont pourtant inventé le 14 janvier ? Y a-t-il une seule décision en faveur des Jeunes ? La réponse tombe comme un couperet : Rien.

C’est ce RIEN qui entraînera la Tunisie dans une nouvelle phase de violence, de clash et de désordre.

Autre indice de la cécité et de la surdité de la classe politique, toutes tendances confondues : face à ce nouveau  mouvement de protestation, on se livre aux échanges d’accusations et de soupçons et on parle d’agents comploteurs, de phénomènes exogènes. On déplorerait l’opportunisme de tel ou tel parti politique, voire même l’incursion des terroristes qui peuvent mettre à profit la précarité de la situation. Même s’il est vrai que certains acteurs externes peuvent avoir intérêt à instrumentaliser ces événements et que des infiltrations peuvent effectivement se faire, il n’en demeure pas moins que ces acteurs ne sont que des épiphénomènes et que le problème est fondamentalement et historiquement ancré dans les régions concernées où l’indice de développement humain avoisine le zéro, quand il n’est pas purement et simplement nul. S’agissant de partis de l’opposition, j’imagine mal que ces partis puissent se solidariser avec le gouvernement et non avec les forces rebelles. C’est dans la nature même de l’action politique. A condition que l’appel au non recours à la violence soit clairement énoncé.
Au sujet des régions et des catégories démunies, les autorités se sont révélées incapables d’écoute véritable et systématique et d’alternatives convaincantes. Il y a un divorce total entre les voix collectives et la classe politique. En résulte l’absence de vision, de Plan d’Action clair, cohérent, disposant de financements précis, pour apporter des réponses palpables aux catégories sociales et régions totalement démunies. Des ministres ont bien visité ces régions, mais sans incidences réelles, sans résultats probants.

En revanche, on constate qu’à l’occasion de chaque crise ponctuelle, un Conseil des ministres se tient et prend des décisions pour calmer les ardeurs locales. Le gouvernement est incapable de s’affranchir de sa méthodologie des réflexes conditionnels: stimulus-réponse. Il l’avait déjà adoptée à l’occasion de crises locales antérieures et a gardé la même approche.
Réuni le 20 janvier 2016 pour examiner les concessions à envisager suite à la pression conjoncturelle, le gouvernement décide d’intégrer 5000 chômeurs dans des mécanismes connus, de régulariser la situation de 1400 personnes concernées par le mécanisme 16, d’assurer le financement de microprojets avec une envelopper de 6 millions de dinars et de transformer des terres collectives en terres particulières avant le 31 mars 2016.

Le gouvernement décide aussi d’allouer l’enveloppe de 135 millions de dinars pour la construction de 1000 logements sociaux. Selon quelles priorités ? On a constaté, en effet, que les zones défavorisées sont les plus exposées au danger terroristes, à cause de leur emplacement, les plus démunies en termes d’infrastructure, de conditions minimales de la vie digne (eau, électricité, accès, etc.). Au-delà de cet effet d’annonce à valeur anesthésiante, il faut un véritable Plan d’aménagement, une vision d’ensemble fondée sur des critères qualitatifs et quantitatifs. Rien de cela ne pointe à l’horizon.

Si le gouvernement est capable d’apporter autant de réponses concrètes aux besoins des régions, pourquoi ne l’a-t-il pas annoncé avant la crise ? Pourquoi attend-il que les choses pourrissent ?  Pourquoi ne le fait-il pas pour les autres régions, souffrant du même calvaire ? Comment fera-t-il pour anticiper et contourner les crises possibles des autres régions ayant exactement les mêmes carences ?

La permanence du problème des régions défavorisées cinq ans après le 14 janvier, est le signe de l’incapacité structurelle des autorités en place, de leur mode d’action, de leur inaptitude à définir une stratégie adaptée aux urgences d’un pays en effervescence.
On ne peut remédier aux problèmes des régions et des classes défavorisées, que si l’approche gouvernementale change totalement, et que le modèle de développement, tout en  s’attaquant aux urgences, se met lui-même en cause.

Jamil Chaker

 

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