News - 30.06.2015

Radhi Meddeb: Entrons en résistance

Radhi Meddeb: Entrons en résistance

Le terrorisme a frappé lourdement à Sousse. Cela faisait des années que l’on s’y attendait avec crainte et angoisse. Au-delà des discours convenus de la nécessaire compassion, des condoléances aux familles des victimes, de condamnation sans appel de la barbarie, de la haine et du meurtre, de reconnaissance de la forte implication, de l’engagement et de la loyauté de nos forces armées et de sécurité, ayons le courage et la lucidité de poser quelques questions qui fâchent.

Nous savions tous depuis toujours que le tourisme était le maillon faible de notre économie, de notre société, de notre pays, tout court. Nous en avions été prévenus à la Ghriba, il y a près de quinze ans. Nous continuons à traîner les effets de ce drame et de sa mauvaise gestion médiatico-politique à ce jour. Cet attentat a définitivement rompu la confiance entre la Tunisie et le marché touristique allemand. Nous en avions été de nouveau prévenus plus récemment au Bardo, dans la plus grande proximité du centre du pouvoir de la nouvelle République. Nous avons choisi de traiter ce drame dans la symbolique entre bonhommie et grandiloquence. Je ne m’étendrai pas sur toutes les alertes que les «fous de Dieu» nous ont lancées depuis au moins deux ans et demi, avec leur lot d’assassinats politiques, d’attaques contre les forces armées, d’appels au califatou encore de multiples défiances à visage découvert des attributs de la souveraineté de l’État.

Je relèverai toutefois quelques repères:

  1. Tout gouvernement a la responsabilité de faire l’inventaire de tous les risques auxquels sa population peut faire face (sécuritaires, naturels, sanitaires, alimentaires...), d’en établir une cartographie précise, de les classer en possibles, probables et potentiels, de les évaluer, d’identifier des plans adaptés à chacun des scenarii pouvant en résulter et de décliner des réponses appropriées, d’abord pour s’en prémunir, ensuite pour faire face en cas de survenance. La Tunisie était officiellement en situation d’alerte sécuritaire maximale. Pourquoi les hôtels, les musées, les hauts lieux touristiques n’étaient-ils pas, dans ces conditions, sécurisés, contrôlés et surveillés, alors que nos politiques s’étaient relayés sur les plateaux des télévisions étrangères pour rassurer et assurer que tout était fait pour garantir une saison touristique paisible? Le criminel de vendredi dernier semble avoir eu tout le loisir de se mouvoir à son aise et de décimer des dizaines de victimes innocentes pendant une demi-heure avant que des forces de l’ordre n’arrivent sur les lieux et ne l’abattent!
     
  2. D’après le ministère de l’Intérieur, le terroriste n’était pas connu des services de sécurité. Une responsable de l’Uget affirme pourtant qu’il était depuis au moins un an, au vu et au su de tous, à la tête d’un groupe «takfiri» violent de l’université de Kairouan.

    Faut-il que les candidats au crime, désaxés et violents, passent à l’acte pour être mis sous surveillance?
     
  3. La gestion de la crise libyenne avec, au nom d’une improbable realpolitik, une double représentation consulaire, n’aura ni empêché les prises d’otages de ressortissants tunisiens à Tripoli ni évité à l’État tunisien de subir les exactions des milices et de se soumettre à leur intolérable diktat. La raison invoquée de défense de nos intérêts n’aurait jamais dû résister au nécessaire respect de nos valeurs.
     
  4. L’autorisation donnée, à peine quelques jours avant le crime odieux de Sousse, par le ministère de l’Intérieur à Hizb Ettahrir pour tenir son congrès, en mettant à sa disposition un équipement public, la coupole sportive d’El Menzah, est pour le moins incompréhensible. Relève-t-elle d’une mauvaise appréciation par nos sécuritaires du risque d’atteinte à l’ordre public ou traduit-elle la soumission de la décision administrative à une volonté politique empêtrée dans ses compromis et ses compromissions?

Toujours trop peu, toujours trop tard

Les mesures adoptées au lendemain de l’attaque ignominieuse de Sousse frappent par leur insuffisance et leur manque d’ambition. Elles relèvent soit de la gestion routinière (s’engager à mener une enquête), soit de ce qui aurait dû être fait depuis longtemps, comme la reprise des mosquées échappant au contrôle de l’État ou encore l’application de la Constitution en matière de conformité des partis politiques ou de la Loi pour ce qui concerne le financement des partis ou des associations ! En tout état de cause, l’approche adoptée est strictement sécuritaire. Ce que nous vivons aujourd’hui est complexe et le résultat d’accumulations et de conjonctions à la fois nationales et internationales. Il était important dans ce cadre de rompre avec le déni de réalité et d’adopter un plan global et multidimensionnel, avec un traitement certes sécuritaire, dans le respect de la loi, des libertés fondamentales et des droits humains, mais aussi un traitement de la fracture économique, sociale, culturelle et politique. L’absence d’une telle approche pluridisciplinaire témoigne dans le meilleur des cas d’une incompréhension des causes profondes du terrorisme, du banditisme et du crime organisé et, dans le pire, d’une recherche de l’éternel consensus politique mou aboutissant encore une fois à un compromis insuffisant face aux exigences de la situation actuelle.

Pour une stratégie globale de redressement national

Aujourd’hui, le risque de déstabilisation de la Tunisie est réel. Le traitement d’une telle situation ne pourra en aucun cas se limiter à la dimension sécuritaire et occulter celles économiques et sociales, à l’origine du renversement de régime en 2011, et qui n’ont connu depuis que de mauvaises solutions palliatives. La volonté clairement affichée par les extrémistes violents qui nous guettent à l’intérieur et à l’extérieur de nos frontières est de porter atteinte à nos valeurs de modernité, d’ouverture, de solidarité et de performance, de nous couper de notre environnement international, de nous plonger dans l’obscurantisme, la crise économique et le chaos et d’anéantir les structures de l’État moderne pour laisser la place à la contrebande, aux razzias, aux trafics en tous genres et au crime organisé.

La réponse à de tels risques doit être globale. Elle doit être partagée avec tous ceux de nos amis qui partagent nos valeurs et plus particulièrement l’Europe. Le tsunami qui nous secoue violemment ne les épargnera pas. Notre sort est commun. Sachons faire face solidairement à l’adversité.

Notre diagnostic doit être clairvoyant, lucide et sans concession: le pays va très mal

Politiquement, le navire vogue sans cap. Socialement, les inégalités n’ont jamais été aussi fortes, les relations sociales aussi tendues, les nerfs de tous autant à fleur de peau et le sentiment d’injustice autant partagé. Économiquement, des secteurs entiers sont au bord de l’effondrement: le phosphate est à l’arrêt mais personne ne s’en émeut, le textile va très mal, les industries mécaniques et électriques perdent de leur compétitivité, les investissements directs étrangers se détournent, le tourisme agonise et le drame de Sousse risque de lui avoir porté l’estocade. Les finances publiques sont en crise structurelle profonde et durable. Les entreprises publiques, les banques publiques, les caisses de retraite sont en grande difficulté, sinon pour certaines en situation de faillite déguisée. Face à un tel tableau, nous n’avons pas d’autre choix que d’entrer en résistance. Nous devons résister au terrorisme, à l’obscurantisme, au déclin économique, à la marginalisation sociale, à l’exclusion politique, au retour de l’ordre ancien, à la fermeture culturelle, à la dégradation de notre système éducatif, à la clochardisation de notre système de santé.

Nous devons avoir du courage, de l’ambition et de la vision, accepter et assumer le choix inéluctable de la réforme globale, de l’ouverture et de la modernité.

Mais cela ne se fera pas sans une plus grande solidarité, sans une plus grande inclusion économique et sociale, sans une soumission citoyenne de tous au devoir fiscal, sans un retour au travail, sans la restauration des valeurs de l’effort, de la performance et de la justice sociale. Cela ne se fera pas non plus sans une lutte résolue contre les situations de rente et de privilèges, la contrebande, l’économie souterraine et la fraude fiscale.

Ne nous voilons pas la face, la situation est dégradée, le chemin sera long, mais l’œuvre peut être exaltante si nous mobilisons toutes les forces vives de la Nation, redonnons des raisons d’espérer à tous les exclus du développement et associons, dans la solidarité, tous nos amis et nos alliés.

R.M.

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2 Commentaires
Les Commentaires
Chraiti Lassaad - 01-07-2015 11:06

Entièrement d'accord avec vous cher Monsieur Radhi,MAIS je pense qu'il faut creuser et préciser davantage: réforme globale, ouverture et modernité!!! A ce stade, survivre est plus important que deviner, je préfère personnellement une plan stratégique clairement "SMART" et identifiable par toutes composantes de la la vie politique, économique et sociale de la Tunisie. Je peut mettre l'accent, parmi plusieurs exemples de solutions atteignables, sur le piste de la responsabilité sociétale des entreprises sises en Tunisie qui doit être en ce moment même une stratégie d'Etat afin d'alléger les pressions sociales et atteindre un niveau acceptable de l'équation du développement durable et PPP (Appliquons la RSE sur le cas CPG, GCT, OACA, SNCFT, STEG, SONEDE, ETAP, El Fouladh, etc. et voyons les résultats sur les demandes de toutes classes et souches sociales, c'est une réponse totale à leurs revendications) A mon avis les solutions pragmatiques existes encore et nous devons les initier, concrétiser, contrôler et évaluer dans une logique de management de projets dont le public, privé, société civile et citoyens seront le maître dl'œuvrage. Soyons positifs avec une posture chirurgicale vis à vis de nos défis et opportunités. CHRAITI Lassaad Expert Internationale Koweït

M C Abid - 02-07-2015 09:37

Excellent papier, dont je partage la plupart des pistes. Depuis 2011, le terrorisme se développait dans un terreau de frustration de désespoir et d’endoctrinement : - stimulé par l’amplification des contrariétés (chômage, discrimination, inégalité régionale, érosion du pouvoir d’achat, endettement des ménages, disparité des revenus, dégradation des services publics, injustice sociale, iniquité contributive, élasticité des lois, effondrement des valeurs morales, favoritisme, interventionnisme, etc…) et - financé à travers des réseaux occultes devenus puissants par le biais de la recrudescence de toutes les formes de malversation (évasion fiscale, fraude douanière, détournement de devises, trafic de produits illicites, contrebande, blanchiment d’argent, mercenariat, corruption, impunité sélective, indulgence compensatoire, ….). Face à la complexité de ce système de "malaises structurels" ainsi qu’à la multiplication des canaux d’influence et des shunts décisionnels, je demeure convaincu que le salut de notre pays passe par la généralisation de Transparence et l’amorçage des process de contrôle, et ce, afin de restaurer les valeurs de bonne gouvernance et les principes disciplinaires. Mais qui ose implémenter ces deux mesures ? - l’exécutif, trop faible pour le pouvoir faire - le législatif, trop opportuniste pour légiférer - le judiciaire, trop pourri pour assainir et poursuivre les malfaiteurs - les partis de l’opposition, trop idéologiques pour être pragmatiques - les médias, trop déficitaires pour préserver leur impartialité et leur indépendance financière Seule une société civile polyvalente puissante et persévérante, serait capable de renverser la vapeur.

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