Opinions - 17.01.2015

Nouveau gouvernement: La Tunisie face à ses 100 jours ou l’équation difficile

  Ecrit par
Abdelmajid Fredj
Tunisie -

  La deuxième République est née après une dure gestation. Son premier président, Béji Caïd Essebsi, sera confrontée à une longue et pénible série de défis. Il faudra seulement posséder l’art et l’expertise de les mettre en ordre de priorités et de leur conférer un planning de mise en oeuvre. Cet art revient surtout au premier responsable de l’équipe gouvernementale qui vient d’être désigné. Cette équipe doit se mettre rapidement à l’oeuvre.  Elle a certes, la latitude de mener cette armada de mesures ; Aura-t-elle cependant l’audace

Qui de nous n’a pas rêvé, ne serait-ce qu’un instant, au cours de ces quatre longues années, d’un pays recouvrant sa pleine santé, stabilisé, loin des tiraillements et des luttes intestines de tout ordre. Personne n’envie Habib Essid tant sa mission est jalonnée d’obstacles de natures différenciées. Les tunisiens sont plus proches de la déprime que de l’optimisme. Leurs ambitions démesurées et la pression qu’ils exercent sont grandes et les moyens disponibles limités.
 
Que peut faire l’équipe de H. Essid. Personne ne voudrait être à sa place  tant la mission qu’elle entame s’avère dure et longue, tant l’équation apparaît difficile à résoudre, tant les facteurs de relance paraissent peu ou difficilement maitrisables. Et pourtant, il va falloir passer vite à l‘action pour ne pas constater, assez tôt, que le temps fût court alors que le pays n’a pu éviter la dérive. 
 
La situation économique de cette année 2015 se présente sous de bons auspices qui relèvent de la forte baisse du prix du pétrole et d’un meilleur comportement du secteur agricole  dont l’impact sur la caisse de compensation et les comptes extérieurs ne peut être que très bénéfique. En revanche, et contrairement aux attentes, le paysage social s’annonce assez sombre. Le temps est à la patience mais aussi à l’économie ou mieux à l’austérité. Mr. Essid  peut annoncer la couleur en présentant un cabinet ministériel restreint, soudé et resserré ce qui le confortera amplement dans sa bataille contre les dérapages vécus et pour la consécration de la bonne gouvernance.
 
Hormis cette recommandation, l’action salvatrice me paraît devoir tourner autour de quelques grands axes. Elle doit rapidement définir la feuille de route qui déterminera la sortie du tunnel dans lequel nous nous sommes retrouvés. Ce programme choc doit couvrir les cent premiers jours. Je n’évoquerai pas les préalables à toute action positive qui sont la restauration de la sécurité, l’éradication du commerce parallèle, la mise en place d’un plan énergique de l’hygiène des villes et des campagnes et le soin qu’il faudra apporter à la protection du pouvoir d’achat du citoyen. J’aborderai, plutôt, quelques mesures phares qui me semblent pouvoir marquer le départ et assurer une arrivée honorable au bout des cent premiers jours du mandat de M. Essid. 
 
Le pays constitue, en effet, un véritable chantier ouvert. Les réponses à mener sont nombreuses. Il va falloir sélectionner celles qui auront le plus d’impact sur les hommes, sur leur psychologie, celles qui auront le plus d’effet sur les régions en vue d’en atténuer les inégalités, sur l’éthique pour restaurer plus de justice, sur l’économique pour engranger une croissance soutenue pour plus d’emploi et moins de chômage. Ces actions s’articuleront autour des axes suivants :
 
- la politique financière et les institutions de crédit,
- la politique monétaire et de change,
- l’entreprise et l’entrepreneur
- le commerce et la régulation des comptes extérieurs,
Tout d’abord le système financier et notamment le système bancaire. Les premiers jours d’exercice du nouveau gouvernement doivent consacrer le changement de la politique financière pour l’extraire de sa léthargie et la bousculer pour amorcer une relance vigoureuse de l’investissement. Nous nous devons de créer une nouvelle fibre de banquiers dont la devise ne sera plus et uniquement la protection et la défense des seuls intérêts de l’actionnaire mais plutôt concernés et engagés pour la croissance de l’économie avec moins de conditions prohibitives et plus de modération. Un regard sur le paysage bancaire révèle deux groupes de banques : les banques publiques en pleine dérive car souvent sollicitées pour des engagements fragiles que la qualité de gouvernance n’a pas souvent ménagée. Ensuite les banques privées, converties, en partie, en des institutions hypothécaires, accumulant des profits toujours accrus alors que le pays croule sous le poids de la récession. Il n’est pas dans mon éthique de condamner le gain mais celui-ci devient répréhensible s’il s’érige en priorité absolue au détriment de l’intérêt suprême du pays et de la croissance réelle de son économie. 
Il est fort regrettable que la Banque centrale, face à cette dérive, se soit cloitrée dans une attitude passive refusant de jouer son rôle moteur consacrant les objectifs majeurs de la révolution qui sont l’emploi, la dignité  l’honneur et la fierté du citoyen car l ‘arrêt de la croissance ne peut que nourrir les troubles et les pressions sociales qui conduiront souvent à l’éclosion de l’extrémisme. Il est temps, me semble-t-il, qu’elle largue son arsenal de lutte contre l’inflation car il est prouvé que celle-ci puise son origine dans des facteurs autres, que la politique monétaire ne pourrait juguler. La banque centrale doit quitter sa politique dite accommodante et mettre en place une palette de mesures pour relancer l’investissement en instituant le financement obligatoire à moyen terme visant à réactiver la PME et les régions. Pour ce faire, il faudrait penser à réinstituer les ratios obligatoires de crédit à moyen terme à connotation régionale, repenser d’une manière sérieuse et profonde la procédure du FOPRODI pour l’extraire du monopole des banques et des SICARS ; Ces dernières ont prouvé leur penchant exagéré pour le profit au détriment du risque calculé, recherchant souvent les garanties réelles au détriment des paramètres intrinsèques aux projets. L’Etat, dans un autre registre, ne doit plus intervenir par des fonds budgétaires alloués au FOPRODI mais plutôt par le biais des garanties négociables qui lui permettront de développer son enveloppe allouée d’intervention d’une part et éviter un endettement qui lui est coûteux  d’autre part. Une autre réflexion s’impose. Faudrait-il ré-instituer les banques de développement dans un paysage financier entièrement consacré au financement de l’exploitation.
 
Hormis ces actions urgentes ainsi que d’autres auxquelles ce papier ne peut s’étendre, la Banque centrale se doit de revoir sa politique des taux d’intérêt et de change dont les dégâts sont visibles à l’œil nu. Elle doit, par ailleurs, instaurer une éthique agressive, suffisamment présente pour moraliser les gains bancaires dont les niveaux imposés, proches des pratiques usurières, sont devenus pénalisants car non négociables du fait du monopole dont jouissent les banques et de l’état d’endettement global de nos entreprises. Enfin, et sur le plan du change, à qui bénéficierait un dinar porté  à la baisse d’une manière continue et obstinée. Cela mérite un réexamen sérieux et urgent de cette politique.
 
Le second axe tourne autour de l’entreprise et de l’homme   d’affaires. Ce dernier doit reprendre du poil de la bête et défendre la survie de l’institution en déployant tous les moyens pour contribuer à l’action salvatrice tant régionale que sectorielle de notre Tunisie. Les défis, là encore, sont nombreux. Le chef du gouvernement doit convoquer une réunion, suffisamment engagée et solennelle regroupant les grands ténors de la vie économiques pour leur redonner confiance, leur insuffler une nouvelle force et impulser leur action pour le sursaut national. Des comités ad hoc dédiés au pilotage de dossiers brûlants doivent être rapidement mis sur pied pour leur trouver la solution opportune, sous la double optique de la croissance et de l’emploi, tels l’IDE, l’attractivité et la compétitivité, les énergies renouvelables, les PPP, le parrainage des PME, PMI,  la gestion des fonds provenant de la conversion de la dette publique sans omettre l’esquisse d’une stratégie pour instaurer un sentier fort pour la recherche et le développement (R&D) et une relance de l’agriculture et de la pêche. Certains universitaires s’adjoindront à ces ateliers pour leur insuffler une autre âme d’une vision différente qui ne fera qu’enrichir le débat. En quelques jours, nous serons sûrement agréablement surpris par l’efficience de leurs travaux et l’éloquence et l’éclat de leurs résultats.
 
Le troisième volet d’actions porte sur les paiements extérieurs. Certes, notre économie a toujours souffert d’un déséquilibre béant de notre commerce extérieur. Cette situation ne peut, désormais perdurer, ni devenir une fatalité. L’année 2015 se présente d’un meilleur profil en raison du desserrement constaté au niveau du prix de l’énergie et de la meilleure tenue du secteur agricole. Il demeure que des mesures correctrices urgentes, souvent évoquées, n’ont jamais eu l’écho voulu. Aussi rien ne fût-il décidé. Il devient, en conséquence, impérieux d’édicter de nouvelles règles régissant notre échange international. L’institution des dépôts obligatoires non rémunérés pour l’importation des biens de seconde nécessité, l’interdiction de leur financement à crédit, l’emploi de ces fonds par le budget pour la période de dépôt, pourraient constituer des chemins de réflexion pour mieux ajuster nos comptes extérieurs (cf. article de M. Mohamed Bousbia publié sur les colonnes de Leaders).
 
Ces actions raisonnées et mises en œuvre ne tarderont pas à générer un impact très positif si elles sont expliquées et communiquées. Dans cet ordre d’idées, un plan de communication judicieusement élaboré renflouera l’effort du gouvernement  et permettra une belle évolution de notre rating international qui nous assurera une meilleure entrée aux marchés des fonds prêtable joint à un assouplissement des conditions d’emprunt. 
 
Au total, les élites doivent prendre conscience de la forte sensibilité de cette étape de transition, de sa dimension sociale, culturelle, économique et politique. Elles doivent prendre conscience du risque de dérive du pays. Les élites, hommes et femmes, mais aussi les humbles citoyens doivent tous réagir vite, sans délai mais avec audace, car le monde qui est en plein bouleversement risque de tout  balayer si l’on continue à se retrancher souvent derrière une prudence excessive, derrière l’inaction. Que le Premier Ministre désigné s’attelle à sa tâche, qu’il définisse ses marques et prenne son  départ, et que les tunisiens, de tout leur cœur, prient pour sa réussite tant l’exercice s’annonce difficile.
Abdelmajid Fredj
 
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