News - 09.04.2013

9 Avril: Le devoir de mémoire

Les dirigeants actuels de la Tunisie ont des rapports difficiles avec l’histoire de notre pays. Il est manifeste qu’ils ne retiennent de cette histoire  que les petites références qui servent à étayer un discours sinon négationniste du moins diviseur. Qu’on en juge par les faits. Les Tunisiens se souviennent-ils  de quelle manière on a commémoré l’année dernière  les évènements du 9 avril 1938 ? De cette commémoration on retient la célébration  sommaire, et combien significative d’une fête nationale - sous l’égide de Hamadi Jebali-   sur un lieu  de mémoire de triste mémoire pour certains : l’ancien emplacement de la prison civile de Tunis à Bab  Sâadoun. Pourquoi ?  Pour rappeler, semble-t-il, aux Nahdaouis et à eux seuls, qu’ils sont les uniques militants  à ne pas avoir démérité de la partie pour les peines de prison endurées. Quant aux «martyrs»  tombés  pour l’émancipation de la Tunisie, et à qui  on ne daigne même pas conférer le statut de martyrs, que Dieu ait leur âme et  qu’ils reposent en paix au Mausolée de Sijoumi.
 
Certes le subterfuge  n’a pas convaincu, mais qu’importe !  On a fixé un événement pour en occulter un autre. Résultat: ce  détournement  aboutit  à la négation  d’une évidence historique. Par omission ou  par ignorance ? On ne peut être affirmatif, mais  s’agissant d’un  précédent unique dans les annales du pays, on est en droit de se poser  la question  de savoir  si nos dirigeants  vont continuer à  ignorer  les  vrais  hauts lieux de mémoire, rien que pour rompre avec une   tradition  instaurée  par le pays depuis  l’indépendance à la mémoire des martyrs .
 
La gestion médiatique  de l’évènement est-elle plus heureuse ? Rien n’est moins sûr, du moins  pour les canaux contrôlés  par l’Etat. C’est tout juste si  on a  « toléré », que les média officiels  parlent  de cette date capitale , mais sans trop insister sur le rôle joué par les figures de proue du nationalisme : Bourguiba , Salah Ben Youssef , Mongi  Slim , Slimen Ben Slimen,  Ali Belhouane  et bien d’autres dans le processus  d’émancipation .
 
Dans la rue , les représentants de la société civile ou de simples citoyens , venus en nombre , célébrer  au centre de Tunis et  dans l’avenue Bourguiba  la fête des martyrs  ,ont eu droit,  à leur corps défendant , le  9 avril 2012 , à un traitement « qualitatif » . On leur demande  tout bonnement de circuler,  et de quelle manière ? A coup de gourdins, de bombes lacrymogènes et autres tabassages. Ceux qui, parmi eux, croient à la force du droit, attendent toujours le rapport d’une commission d’enquête  dont la rédaction est remise aux calendes grecques !
 
Cette bourde passée, on  «programme» la suivante : le 15 octobre dernier, on célèbre la fête de l’évacuation , mais certains esprits  bien inspirés ne peuvent pas ne pas troubler la fête . Une déclaration tonitruante émanant du chef du plus grand parti du pays nous apprend que ceux qui sont morts  en 1961, pour libérer Bizerte   de l’occupation étrangère, sont  « victimes du narcissisme de Bourguiba » (sic). Par delà l’indifférence  à l’endroit des centaines  de compatriotes civils et militaires qui ont consenti le sacrifice suprême pour la cause nationale, nous  voilà, encore une fois, devant une explication  inédite !  Cette version partisane d’un épisode, certes sanglant, mais combien déterminant de l’histoire nationale interpelle tout un chacun sur la lecture tendancieuse de l’histoire, voire sa manipulation  à  des fins politiques ! Allez deviner les raisons ?
 
Le 20 mars dernier, on récidive : la fête de l’indépendance est reléguée  au rang  d’une fête de village. La veille, la TV nationale  organise un débat de circonstance auquel sont conviés de hauts responsables qui, parlant sur un ton docte, se surpassent pour banaliser cette référence essentielle de l’histoire nationale, allant jusqu’à justifier l’oubli très volontaire des autorités municipales et régionales de ne pas hisser les couleurs nationales pour la circonstance.
 
Le Palais de Carthage, lui, célèbre l’évènement  à sa façon , c'est-à-dire  à huit clos: discours solennel devant un parterre d’officiels et de chefs politiques , chants patriotiques et décorations de militants nationalistes  « ayant pris part au combat national », et  supposés  avoir été exclus par les régimes précédents. L’initiative est louable, sauf qu’on semble avoir été mal conseillé sur le profil des personnes décorées. Non seulement on a vu défiler les noms d’illustres inconnus, mais on a bien noté qu’on a délibérément choisi de décorer, à titre posthume, certains auteurs de la tentative du coup d’Etat de décembre 1962. Notons au passage que ces « résistants » ont été    dûment sélectionnés pour les besoins de la démonstration. On aurait peut être compris l’esprit de réconciliation présidentiel si on avait réhabilité tous ceux qui ont été impliqué dans cette  « affaire». Mais l’objectif est tout autre :
il s’agit, encore une fois, d’envoyer  un message politique : donner une légitimité aux opposants les plus résolus de Bourguiba et  dénoncer, dans la foulée, ses « pratiques despotiques ».  Voila  comment on peut concourir à l’éveil de la conscience civique des citoyens et notamment des plus jeunes d’entre  eux !  Les traumas du passé ont, semble-t-il , aux yeux de certains,  des vertus thérapeutiques ! Mais une chose est sûre : l’image que nous renvoie ces pratiques  commémoratives  ne peuvent pas ne pas  influer la perception que se font les citoyens de leur passé. 
 
A nos responsables politiques férus d’histoire,  rappelons  des faits de bon sens : l’histoire ne doit pas être confondue avec  la mémoire. La construction de la mémoire est un droit reconnu à tout un chacun, y compris aux instances politiques et  à l’Etat qui  est, par vocation,  le dépositaire de la mémoire nationale. Un point devrait, cependant  retenir l’attention : la mémoire  convoque des faits controversés tel que les coups de force, la diffusion d’idéologies,  les guerres fratricides et  autre faits  tragiques. Il importe , donc, d’être vigilants, car  si les témoins  , les communautés, peuvent se permettre de polémiquer  et de donner des versions plurielles et  contradictoires  d’un même fait  , l’Etat ne peut , quelque soit le mobile , être partie prenante dans   ces controverses . Sa mission n’est pas de semer la discorde, mais   de  rassembler les citoyens  autour  des actes historiques  fondateurs  de la Nation. 
 
La connaissance du passé est aujourd’hui une exigence impérieuse pour  tous les Tunisiens. Dans cette quête, il est impératif de souligner que l’histoire ne peut être un instrument de manipulation idéologique ou de promotion de valeurs sectaires  Il  est donc urgent  de lancer un appel aux dirigeants politiques : arrêtez  d’imposer votre propre vision de l’histoire et laissez  les historiens faire leur travail. 
 
Noureddine Dougui,
universitaire
 
 
Tags : bourguiba   carthage   comm   Tunisie   tunisiens  
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1 Commentaire
Les Commentaires
ourwa - 10-04-2013 03:17

" arrêtez d’imposer votre propre vision de l’histoire et laissez les historiens faire leur travail." sic Est-ce que l'Histoire appartient exclusivement aux "historiens"? Quid de l'Histoire vécue et perçue par ses meilleurs porteurs, le peuple? Quid de l'inconscient collectif qui façonne l'Histoire et détermine l'avenir des peuples? Quid des manipulations éhontées de l'Histoire par des "historiens" officiels qui ont maquillé l'Histoire, l'ont pervertie, salie, au service d'un Etat liberticide, d'un parti manipulateur et escroc, d'une frange minoritaire et privilégiée qui fait de tout, y compris de l'Histoire du pays, une marchandise abjecte, enjolivée aux couleurs de ses propres intérêts, au détriment de la majorité? Ce fut le cas sous la 1ère République, bourguibienne, sous la IIème, benaliste, c'est le cas sous la pseudo république nahdaouie... Le Peuple aurait-il perdu la mémoire, sa propre mémoire, la meilleure et la plus pérenne, pour qu'on ose le mépriser à ce point...et confier Son Histoire aux soins de "spécialistes" de la "spécialité", voués à tous les vents partisans, idéologiques fluctuants, financièrement gratifiants, peut être... Qui êtes-vous, M. Dougui, pour oser le droit de faire main basse sur l'Histoire d'une population de 11 millions d'individus, la "lire", l'"interpêter", l'"analyser" et en délivrer votre "vérité"? Quelle est votre Histoire, au propre comme au figuré, dans les domaines idéologique et éducatif? Ayez l'honnêteté et le courage de répondre à ces interrogations. Cordialement, Ourwa.

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