Notes & Docs - 24.05.2009

La GBO ou la modernisation de l'administration par le budget

La gestion budgétaire par Objectifs (GBO), jusqu’à présent un projet, arrivera-t-elle à bousculer les anciennes méthodes, les structures administratives, les pratiques et la culture dominante ? Au-delà de la volonté politique, l’esprit de la réforme secouera t-il l’ensemble des parties prenantes ? La GBO est une opportunité de transformer la gestion administrative, mais l’administration tunisienne se saisira-t-elle de l’esprit de la réforme pour détacher la gestion publique du droit et la rattacher au management ? L'avis d'un spécialiste, Sofiane Fakhfakh.

L'administration tunisienne a connu de nombreuses réformes au cours de ces deux dernières décennies. Des expériences ont été menées dans de nombreux domaines, néanmoins l'action de l'administration et son mode de fonctionnement font l'objet de critiques tant de la part de ses usagers que de la part de la société civile. L'organisation, le rôle et les missions de notre administration doivent en effet être régulièrement repensés et adaptés à un contexte politique, économique et social en pleine mutation.

Notre administration est désormais appelée à rendre ses services à une population de plus en plus exigeante et informée de ses droits et obligations. Par ailleurs, les orientations économiques qui s'inscrivent désormais dans le cadre de l'ouverture et du libre échange, impliquent le développement d'autres modes d'intervention de l'Etat dans la vie économique et une approche plus dynamique en matière de soutien aux entreprises et à l'investissement privé. Dans ces nombreux domaines, le rôle et les missions de l'administration restent encore à définir.

Pour ce faire, plusieurs réformes sont décidées dans le nouveau processus de modernisation dont une composante budgétaire baptisée « Gestion Budgétaire par objectifs ». cette réforme dénote d’une volonté de modernisation de l’administration à plusieurs ordres dont notamment la mise en place d’une nouvelle méthodologie de gestion du budget par objectifs qui permet une meilleure efficience et lisibilité des interventions publiques. La gestion budgétaire par objectifs introduit au fait la gestion axée sur les résultats au sein de l’administration, inscrivant ainsi l’action publique dans une logique de résultats. La justification en est simple : l’affirmation de la nécessité de rendre compte et de mesurer les réalisations par rapport aux objectifs qui tient en partie à l’obligation d’expliciter les choix de politiques publiques dans un contexte budgétaire moins favorable et un environnement de plus en plus concurrentiel sur la plan international.

La GBO n’est pas seulement un projet de réforme de nature technique qui se limite aux finances publiques, mais c’est un vrai levier de modernisation de l’administration. La GBO n’est autre que la pierre angulaire d’un nouveau management public piloté par la performance. Les fondements et les implications de ce projet dépassent la stricte sphère financière de l’Etat pour édifier un véritable dialogue social, pour améliorer la transparence budgétaire et pour diffuser la culture et les pratiques de la performance dans l’administration. C’est pour cette raison qu’il est nécessaire de se saisir de la GBO pour continuer le processus de modernisation de l’administration

Si cette réforme permet d’améliorer la transparence du budget ainsi que l’efficacité et l’efficience de l’action publique pour le bénéfice des citoyens, des usagers et des contribuables, elle doit aussi contribuer au renforcement de la compétitivité de l’économie tunisienne pour favoriser son intégration dans la zone de libre échange avec l’union européenne et son intégration dans l’économie mondiale

La « GBO » est, certes, une réforme des finances publiques puisqu’elle permet de placer la gestion budgétaire dans une perspective pluriannuelle et de faire évoluer le rôle des acteurs de la dépense publique et de responsabiliser les futurs responsables de programmes. Mais c’est également une réforme qui a des répercussions sur la gouvernance publique. A ce titre elle permet de procurer aux orientations étatiques une meilleure lisibilité et d’asseoir les fondements d’un nouveau management public.

Placer la gestion budgétaire dans une perspective pluriannuelle

Pour redonner au budget son véritable rôle d’instrument de politique économique, il est nécessaire de le placer dans une perspective pluriannuelle. La démarche consiste à dépasser le cadre annuel restreint en concevant un instrument de cadrage.

Il existe plusieurs instruments de cadrage et de développement d’une perspective budgétaire pluriannuelle parmi lesquels le cadre de dépenses à moyen terme (CDMT), instrument de cadrage adopté par plusieurs pays de l’OCDE dont le Danemark, la Suède, la Grande Bretagne,… et dernièrement la France.
Le CDMT, généralement triennal, ne se substitue ni au plan de développement quinquennal ni au budget annuel. Il vise à établir le lien entre les objectifs stratégiques et le budget annuel en définissant le cheminement pour l’atteinte de ces objectifs et en encadrant les adaptations requises du budget  pour la mise en œuvre des actions retenues.

Un cadre budgétaire responsabilisant

Le passage d’une logique de moyens à une logique de résultat qui est l’objectif de la GBO conduit à construire un système budgétaire où le budget sera assorti d’indicateurs chiffrés retraçant les effets escomptés des dépenses publiques, et où les responsables de la gestion budgétaire rendront des comptes non seulement sur l’emploi des fonds mais aussi sur les résultats de leurs activités.
La mise en œuvre des programmes repose sur une personne clé, le responsable de programme. Placé sous l’autorité du ministre, le responsable de programme a trois missions principales :

  • L’élaboration de la stratégie et du budget du programme et l’organisation du dialogue de gestion
  • Le pilotage du programme
  • Le compte rendu et la responsabilité.

La mise en place de la GBO conduira à mettre en place toute une série d’outils et instruments qui permettent au responsable de piloter son programme (prévision, suivi, analyse, et contrôle) tels que les projets et rapports annuels de performance,…

L’introduction d’une approche budgétaire orientée vers la performance implique que des objectifs, des résultats attendus, des indicateurs de performance et le coût des ressources nécessaires à l’atteinte des résultats soient déterminés par les gestionnaires de programmes, pour qu’ensuite les gestionnaires suivent les indicateurs de performance et rendent compte aux responsables concernés, justifient les écarts et assurent, si nécessaire, la mise en place de mesures correctrices. A ces fins, deux rapports sont à préparer : 

  • Le projet annuel de performance : qui énonce par programme les objectifs et les résultats attendus, lequel projet fait partie des documents budgétaires soumis à la chambre des députés et à la chambre des conseillers avec le projet de budget.
  • Le rapport annuel de performance : qui montre le niveau de réalisation des résultats en insistant surtout sur la mesure des écarts et sur les justifications correspondantes.

Une analyse des raisons expliquant une mauvaise ou une bonne performance est indispensable pour tirer des enseignements sur le suivi de la performance.

La GBO donne aux responsables de programmes les moyens avec une certaine marge de manœuvre en contre partie d’une responsabilité. Il s’agit d’une démarche managériale centrée sur la formulation des stratégies qui se matérialise par la préparation du projet annuel de performance; l’organisation, le pilotage interne à travers le dialogue de gestion qui doit être engagé entre le responsable du programme et les différents gestionnaires; et la mesure des résultats à travers une série d’indicateurs de suivi de la performance.

Procurer aux orientations étatiques une meilleure lisibilité

La transparence et la responsabilité en matière de gestion publique supposent que le budget et les comptes soient rapportés aux objectifs et aux résultats de l’activité de l’administration et non tout simplement aux postes de dépenses (rémunération, fonctionnement, intervention,…). La GBO vise à identifier dans la mesure du possible, les objectifs des activités de l’administration et à mesurer les produits et les résultats par rapport à ces objectifs. Un élément important entrepris dans ce sens est la classification des dépenses par «missions», «programmes» et «sous-programmes» définis avec une spécificité d’autant plus grande que ces programmes et ces activités sont détaillés au regard d’un ensemble d’objectifs clairement exposés.

La future architecture du budget d’un ministère (d’une mission)

La mission: le budget de l’Etat est réparti en missions (exemple agriculture et ressources hydrauliques) et chaque mission est composée de programmes (production agricole, pêche et aquaculture, forêts, …) la mission correspond généralement au chapitre budgétaire, à savoir le ministère, constitue l’unité de vote des crédits et traduit l’expression des choix politiques.

Le programme: regroupe les crédits destinés à mettre en œuvre une action ou un ensemble d’actions relevant d’une même mission (ministère) et auquel sont associés des objectifs précis, définis en fonction des finalités d’intérêt général, ainsi que de résultats attendus et faisant l’objet d’évaluation. Les programmes sont pilotés par des responsables qui disposent d’enveloppes de crédits limitatives.

Le sous programme: est le niveau le plus fin de la budgétisation, elle constitue la destination de la dépense, précise le contenu et les finalités du programme. Le sous programme permet d’analyser les coûts des politiques publiques, il peut viser un public particulier d’usagers ou de bénéficiaires, ou enfin, un mode particulier d’intervention de l’administration.

Une plus grande lisibilité est aussi favorisée par l’amélioration des documents budgétaires. En effet, en plus du cadre des dépenses à moyen terme (instrument de cadrage gouvernemental), le projet de loi de finances sera accompagné du projet annuel de performance, qui décrit de manière précise les objectifs et l’utilisation des moyens pour les atteindre.
Quant au rapport annuel de performance, qui sera annexé au projet de loi de règlement du budget, il permet de comparer les prévisions et exécutions non seulement en termes budgétaires mais aussi au regard des indicateurs de performance.

Améliorer la performance opérationnelle

La budgétisation axée sur la performance vise à recentrer les méthodes de gestion et de budgétisation sur les résultats plutôt que sur les moyens. Il s’agit, donc, d’inscrire dans le système de gestion des objectifs, des cibles, des indicateurs et des mesures qui portent sur les résultats obtenus, et non seulement sur les modalités des prestations offertes.

Le cycle de gestion, dans le cadre de la budgétisation axée sur la performance, se déclenche par la définition de la stratégie et les objectifs d’un programme; la deuxième étape se matérialise par le pilotage et la mise en œuvre de ce programme; le pilotage et la mise en œuvre donnent des résultats, et compte tenu de ces résultats, un compte rendu et une responsabilité sont à apprécier par rapport aux objectifs fixés.

Cycle de la gestion dans le cadre de la Gestion Budgétaire par Objectifs

Définition de la stratégie et objectifs: la stratégie de la mission et du programme est fixée par des documents tels que les plans de développement, les études stratégiques, ou les programmes électoraux du président de la république. La stratégie est traduite par des objectifs élaborés par le responsable du programme en collaboration avec son ministre. La stratégie et les objectifs d’un programme sont consignés dans le projet annuel de performance, lequel document constitue la base de travail et la référence du responsable de programme.

Pilotage du programme: on entend par pilotage le processus de gestion des moyens, des activités et des produits, le pilotage du programme revient au responsable du programme, ce dernier confectionne les budgets dont il confie la gestion et la mise en œuvre soit à des services centraux, déconcentrés ou décentralisés. Lesquels services contribuent aux objectifs du programme. Le responsable du programme est appelé aussi à animer le dialogue de gestion avec les gestionnaires de budgets et les responsables d’unités opérationnelles. La réussite du processus de pilotage du programme est tributaire de la précision de la chaine de responsabilité, de la mise en œuvre du dispositif de contrôle de gestion, et une forte implication du personnel.
Compte rendu et responsabilité: cette étape se matérialise par l’établissement du rapport annuel de performance qui sera soumis à la chambre des députés et à la cour des comptes.
Ce rapport donnera un compte rendu de la performance, et ceci à travers des indicateurs.

Le GBO doit se traduire par l’amélioration de l’efficacité de l’action administrative

L’essentiel étant de dépasser la simple mise en place de la réforme budgétaire pour promouvoir un management public. Elle permet également de renforcer la capacité de pilotage des services administratifs de l’Etat et de ses opérateurs (établissements publics, collectivités publiques locales, …) et conduit notamment à la mise en place de nouveaux outils de gestion dont le dialogue de gestion, performance et les indicateurs de performance.

La GBO est une démarche rationnelle qui suppose d’établir des priorités d’action, de se doter d’objectifs et de mettre en place des outils de suivi et de mesure permettant le pilotage, elle veut dire aussi entrer dans une logique vertueuse, dans un processus d’amélioration continue où résultats et mesure des résultats viennent infléchir la définition des objectifs. Aux priorités déterminées par le politique doivent correspondre des objectifs stratégiques, qui doivent eux-mêmes se décliner en objectifs opérationnels, en plans d’action et en indicateurs de performance.

La GBO n’est pas seulement une réforme des finances publiques, mais un levier pour la modernisation de l’administration. Elle constitue un champ d’expérimentation pour tester de nouveaux outils: révélation des préférences, liberté et responsabilité, incitations et sanctions, performance, suivi et évaluation, gestion des organisations, etc. La GBO requiert de confier les structures administratives à des véritables managers qui disposent de leurs moyens et qui sont responsables de leurs actions


Sofiène Fakhfakh


 

Vous aimez cet article ? partagez-le avec vos amis ! Abonnez-vous
commenter cet article
2 Commentaires
Les Commentaires
abid - 27-05-2009 10:26

bon article

garou - 27-05-2009 16:23

Une approche prometteuse mais il manque un ingrédient essentiel:la participation dans l'élaboration des stratégies, des objectifs, des critères d'évaluation. Rien ne changera si les chefs de projets continuent à fonctionner dans la logique du top down, du pouvoir sans partage, de la méthode "commande et contrôle". La GBO ne peut être adoptée isolément mais doit s'insérer dans un système global de gestion et particulièrement celle des ressources humaines. Viser la performance et l'imputation des responsabilités ne peut se faire sans un véritable engagement des collaborateurs. Ceux-ci ne s'engagent que s'ils ont un sentiment d'équité par rapport à leur rétribution, qu'ils disposent d'une marge d'autonomie afin de se sentir responsable, qu'il se meuvent dans un environnement décloisonné où l'information circule sans entrave, s'ils disposent d'espaces de communication et de sociabilité etc. L'administration publique est-elle en mesure d'assurer toutes ces conditions? That is the question!

X

Fly-out sidebar

This is an optional, fully widgetized sidebar. Show your latest posts, comments, etc. As is the rest of the menu, the sidebar too is fully color customizable.