Opinions - 26.03.2013

Feuilleton judiciaire de la gifle imaginaire: quand verrons-nous le bout du tunnel ?

Les autorités judiciaires n’ont-elles pas parié une fois de plus sur une démobilisation souhaitable des universitaires et des militants de la société civile tant en Tunisie qu’à l’étranger quand elles ont choisi de programmer la 5ème audience du procès d’Habib Kazdaghli pendant les vacances scolaires et au beau milieu du Forum social mondial ? C’est sur le même improbable, voire impensable relâchement qu’elles ont compté quand elles ont fait coïncider les dates des audiences précédentes avec le calendrier des congés scolaires ( 5 juillet et 25 octobre 2012) ou avec celui des examens semestriels en Tunisie et des fêtes de fin d’année en Europe ( 3 janvier 2013). Pourtant le fait de jongler avec le calendrier dans l’espoir de diminuer l’ardeur des défenseurs du doyen de la FLAHM ne leur a pas réussi comme en témoigne la magnifique solidarité des universitaires et de  la société civile chaque fois que le doyen a comparu devant le tribunal de première instance de la Manouba.

Une forte mobilisation

Le prochain rassemblement de  soutien à Habib Kazdaghli, auquel ont appelé plus de soixante associations, ne semble pas devoir déroger à cette règle. Il a été précédé d’une très forte mobilisation conduite par l’Association tunisienne de défense des valeurs universitaires (ATDVU), l’Alliance civile contre la violence et pour les libertés, la coalition des ONG parrainée par la Ligue tunisienne des droits de l’homme et la Fédération générale de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique particulièrement représentée par le syndicat de base des enseignants de la FLAHM et par l’Observatoire des libertés académiques, auxquels se sont joints des associations et des syndicats qui ne s’étaient  pas manifestés  lors des audiences précédentes, parmi lesquels, à titre d’exemple, l’Association tunisienne de défense des droits de l’enfant, l’Association vigilance et égalité des chances, l’Union des artistes plasticiens tunisiens, le Syndicat des chercheurs de l’Institut Pasteur, la section de la LTDH Manouba, le Bardo, El Omrane, El Menzah.

A l’étranger, les collectifs de soutien sont revenus à la charge. A côté des associations, des syndicats et des groupes pour lesquels la solidarité avec le doyen Kazdaghli est devenue une seconde nature et qui ont réitéré ce soutien ( le collectif des 2500 signataires du Manifeste international de solidarité avec Habib Kazaghli, l’Université libre de Bruxelles, le centre d’action laïque à Bruxelles, le Collectif de Toulouse, le SNESUP, le Mouvement européen 76 et le Mouvement européen France, le Mouvement pour la paix et contre le terrorisme , etc.), de nouveaux groupes affichent leur solidarité tels le Cercle Vassali société maltaise de France  ou le collectif amiénois pour une Tunisie démocratique.

Fidèle à une habitude maintenant  bien ancrée dans la tradition universitaire belge, une forte délégation composée d’une quinzaine de membres, représentant l’ULB et le centre d’action laïque, fera le déplacement à Tunis pour assister à l’audience. Le collectif des signataires du manifeste international de solidarité avec Habib Kazdaghli, quant à lui, sera représenté par Alain Messaoudi. Les deux groupes exprimeront leur solidarité avec la cause des libertés académiques à l’occasion de la conférence de presse programmée par l’Association tunisienne de défense des valeurs universitaires (ATDVU) le mercredi 27 mars dans le cadre de ses activités au sein du Forum social mondial.

Les raisons d’un regain de vigilance

Cette vigilance impressionnante dès le début du procès s’est accrue non parce que les associations et les syndicats, qui ont appelé à un rassemblement de soutien au doyen de la FLAHM le jeudi 28 mars 2013, remettent en question l’intégrité des juges en charge de l’affaire mais parce qu’ils redoutent les pressions politiques que ces magistrats pourraient subir. Dans un manifeste intitulé  Manifeste de soutien au doyen Habib Kazdaghli  et à l’indépendance de la magistrature, ils réitèrent leur confiance dans la justice tunisienne et saluent « le déroulement jusqu’à présent régulier du procès » mais ils ne se privent pas d’exprimer des craintes ravivées, selon eux, par « l’Association des magistrats tunisiens qui a révélé l’ingérence du pouvoir exécutif dans d’autres affaires » et par le renvoi du procès à plus de deux mois après sa mise en délibéré le 3 janvier 2013. Ils considèrent cet énième ajournement comme inquiétant en raison de son « caractère éminemment politique » et « des risques de voir l’affaire s’éterniser ». De fait avec le jeu des expertises  et des contre-expertises, nombreux sont ceux qui craignent une proclamation du verdict pendant les vacances d’été, période peu propice à la mobilisation, avec à la clé une condamnation du doyen. L’audition de témoins à décharge ou la mise à la disposition de la cour d’un document disculpant le doyen ,en l’occurrence le rapport du conseil de l’ordre des médecins qui casse le certificat médical initial délivré à la plaignante par un médecin -semble-t-il- complaisant , sont certes des motifs  qui peuvent justifier la rupture du délibéré, mais ne sauraient constituer des arguments pertinents pour un report aussi long du procès. La rupture du délibéré pour les raisons évoquées apparaît comme un jugement préparatoire annonciateur d’un dénouement  heureux mais les signataires du manifeste restent perplexes en raison des multiples renvois qui apparaissent «  comme des tentatives d’instrumentalisation de la justice ».

Ces signataires sont d’autant plus inquiets que les ennemis des libertés ne se contentent pas d’utiliser la  violence orchestrée qu’ils érigent en un système de gestion des relations sociales et politiques pour résoudre les divergences idéologiques et politiques, imposer le totalitarisme et faire avorter le processus de transition démocratique. Ces extrémistes politiques et religieux semblent avoir pris goût aux tentatives d’instrumentalisation de la justice pour museler les libertés. De ce point de vue, le Manifeste rappelle, à juste titre d’ailleurs que «   d’autres universitaires comme Raja Ben Slama, elle aussi professeur à la FLAHM, des artistes comme Nadia Jelassi, professeur à l’Ecole des beaux-arts de Tunis, des journalistes comme Khédija Yahaoui sont poursuivis par la justice, sous couvert de charges punissables par la loi, mais en réalité pour avoir tenu à exercer leur droit à la liberté d’opinion, de création ou d’information ».

Ce regain de mobilisation semble aussi une riposte au climat de terreur que les fossoyeurs de la démocratie essaient d’installer dans le pays avec l’assassinat du leader politique Chokri BelaÏd et qui est exacerbé par la publication d’une  liste noire d’intellectuels à assassiner et «  où figure le nom du doyen Kazdaghli,  à côté de ceux de Chokri Belaïd, d’autres universitaires, de leaders politiques et syndicaux, de journalistes connus pour leur défense des libertés » selon les termes du Manifeste. C’est pourquoi le rassemblement du 28 mars n’est pas seulement un rassemblement de solidarité avec le doyen de la FLAHM, de « soutien à l’indépendance de la magistrature tunisienne » mais aussi une occasion pour exprimer « le rejet de la violence ».

Habib Mellakh,
universitaire, syndicaliste, professeur de littérature française à la FLAHM









 

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