Opinions - 30.09.2012

Abdelwahab Meddeb: Viol à Tunis

A Aïn Zaghwân, à une dizaine de km du centre-ville, sur la route qui conduit à La Marsa, banlieue balnéaire et résidentielle, entre Rawâd et Carthage, une femme a été violée par deux agents de police en service, pendant que leur collègue neutralisait le compagnon de la femme et le rançonnait. Et qui penserait que la femme violée se trouverait accusée par le juge d’atteinte à la pudeur et aux bonnes mœurs ?  

Le couple aurait été surpris en flirt et la femme agressée aurait été en tenue indécente, selon le dire de ces agents de police d’un genre nouveau, formatés par la morale islamiste, celle-là même déjà invoquée pour harceler les femmes mises à l’occidentale, ignorant l’archaïque respect de la ‘awra. Cette notion  assimile le dévêtement partiel du corps féminin à une  nudité provocatrice qui crée le trouble dans la cité. La conformité à la ‘awra exige dans le meilleur des cas de ne voir de la femme  que la face et les mains, dans le pire, rien sinon les yeux qui brillent de leurs mobiles pupilles derrière la trame ajourée d’une burqa couvrant de noir l’intégralité du corps. 
 
Selon cette logique de la ‘awra que rejette bien des femmes et des hommes en Tunisie, la victime devient coupable. C’est la loi du patriarcat que les islamistes veulent imposer à une Tunisie qu’on croyait acquise à une modernité construite sur l’égalité des sexes. Le pays est menacé par le gouvernement islamiste d’Ennahda qui, malgré un discours qui se veut allié de la modernité et de la démocratie, ne cherche pas à se débarrasser du tropisme islamiste, lequel se concentre sur la restauration des archaïsmes instaurés par le patriarcat et la phallocratie au nom de l’islam.
 
D’après cette vision patriarcale, la femme est toujours à l’origine du désir, elle le provoque, l’allume ; par son dévêtement partiel assimilé à une mise à nu,  elle suscite la séduction productrice de sédition : elle seule est à l’origine de la fitna  (mot qui veut dire à la fois séduction et sédition). Cette fitna fait naître chez l’homme l’idée du viol. Si une femme est violée, c’est qu’elle s’était mise en situation de l’être.
 
Ce raisonnement odieux semble avoir cheminé dans l’esprit des agents de l’autorité policière et judiciaire, justifiés par les ministres de tutelle. Plus odieux encore, les défenseurs et partisans de l’ordre islamiste sur Internet menacent de viol les femmes qui se sont saisies de cette affaire et qui ont résolument pris la défense de la victime. C’est ce qui est arrivé à Raja Benslama, l’universitaire et intellectuelle très active au sein de la société civile, vigilante en son combat contre l’hégémonie islamiste. Ainsi, après l’appel au meurtre lancé dans la blogosphère contre les militants de la modernité par les suppôts des islamistes, nous en venons aujourd’hui à l’incitation au viol.
 
Cette inversion des rôles qui donne à la victime statut de coupable est inacceptable. Il convient d’abord de rappeler que le désir n’a pas pour origine exclusive le féminin. L’énergie qui défie la loi peut provenir tout autant du pôle masculin. La haute et basse intensité du désir excède l’identité sexuelle. Elle traverse des sujets appartenant indistinctement à l’un et à l’autre sexe. L’exemple de DSK est une parfaite illustration de la participation masculine au désordre qu’introduit le désir. Telle est la première leçon qui ruine le dispositif patriarcal faisant de la femme le vecteur exclusif de la fitna.
 
La deuxième leçon appartient à l’économie des droits humains qui stipulent que chaque personne dispose de son corps comme elle l’entend, qu’elle soit femme ou homme. Le don du corps à l’autre ne se fait que par la médiation du libre-arbitre qui engage et le consentement et le libre-choix. Le viol a lieu dès que s’absentent ces deux préalables. L’égalité entre les deux sexes en ce domaine ne se discute pas ainsi que l’engagement de leur responsabilité. Nous ne retrouvons la distinction entre les deux sexes que dans la différence biologique qui accorde plus de force physique à l’homme qui, dans le contexte du viol, en use.
 
Le troisième enseignement nous resitue au cœur de la bataille des mœurs. Avec l’ordre islamiste, la liberté est en péril. Les islamistes agissent en vue de réislamiser la société. Ils rêvent de réintroduire la norme islamique dans une société qui s’en est éloignée. Ils travaillent à rétablir l’institution médiévale de la hisba. Il s’agit d’une police des mœurs dont le slogan est l’expression coranique qu’on peut traduire ainsi : « Le pourchas du mal et la commanderie du bien ». Théorisée à la fin du XIIIe siècle par Ibn Taymiyya, reprise au XVIIIe par Ibn ‘Abd al-Wahhâb, fondateur du wahhabisme, appliquée encore aujourd’hui en Arabie Saoudite, Ennahda laisse agir les wahhabites locaux (qui se donnent le nom de salafistes) pour créer les conditions de refondation de la hisba. Or cette institution n’a pas toujours existé dans la cité traditionnelle. Hafez, le poète d’esprit libre du XIVe siècle, chante dans nombre de ses ghazels la fin de la hisba et la destitution de son directeur le muhtasib à l’avènement à Chirâz d’un prince libéral. Et dans la tradition malékite andalou-maghrébine le rôle du muhtasib a été réduit au seul contrôle du marché, détectant les produits frelatés, veillant à la conformité des poids et mesures et à la régularité des transactions commerciales.
 
Par ce recours insidieux à la hisba, les islamistes veulent mettre fin à la relative liberté des mœurs. Pour concrétiser leur projet, ils utilisent les salafistes afin d’intimider les femmes, les artistes, les intellectuels, les universitaires. Ils sèment la terreur dans le milieu libéral et moderniste. En tolérant les salafistes, les islamistes au pouvoir déshonorent à dessein le principe qui donne à l’Etat la charge de la sécurité consistant à protéger le citoyen des violences. Pour faire éclore la liberté, il faut libérer le sujet de la peur. Or, délibérément, les islamistes réintroduisent la peur. Non seulement ils encouragent les exactions criminelles des salafistes mais encore ils entendent faire des policiers et des juges les agents de la hisba qui transforment les victimes en coupables. Le sentiment d’insécurité grandit et la terreur gagne lorsque les représentants de l’autorité se confondent avec les délinquants et les criminels.       
 
A.M.
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20 Commentaires
Les Commentaires
SUR - 01-10-2012 04:45

Comme toujours, Meddeb fait une analyse impeccable d'un phénomène qui frappe la Tunisie. Il dit les choses avec des mots justes appuyés sur sa grande science de l'Islam. Il est inquiétant de voir que les quelques manifestations de rue sur cette affaire n'aient été essentiellement le fait que de femmes, ce qui voudrait dire que peu d'hommes désapprouvent totalement l'ignominie(une femme un peu dévétue est une "pute").C'est là le plus inquiétant et ce qui laisse présager la confirmation d'Ennahdha, soutenus par ses affidés Salafistes(wahabistes),aux prochaines élections quand elles auront lieu, si elles ont lieu un jour....

EMDE - 01-10-2012 08:31

Il est décevant de lire sur leaders que des violeurs ont été formatés selon la morale islamique!!.Honte à vous Mr Meddeb,l'islam est innocent de ces actes et de ce que vous écrivez.C'est avec des articles pareils que vous aidez Ennahdha. j'espère ne pas être censuré.

Rachid BARNAT - 01-10-2012 10:55

Le laxisme de Ghannouchi et de son gouvernement a permis l'incendie de l'ambassade des EU, et a crée toutes les conditions pour que des fonctionnaires violent une jeune tunisienne ! De ce fait ils ont perdu toute légitimité ! J’espère que ces faits graves vont ouvrir les yeux aux responsables américains et européens et leur faire comprendre que l'islamisme "modéré" dont ils cherchent ou on cherche de les en convaincre, n'est qu'une illusion ! Le salafisme fonde tout mouvement et partis islamistes. Le plus grave, est que le salafisme qui anime les hommes politiques de nos jours est influencé par le wahhabisme s'il n'épouse pas totalement le wahhabisme lui même tel qu'en Arabie ! C'est dire s'ils ont choisi la voie de l'obscurantisme ! Ceux qui tentent de disculper Ghannouchi fait semblant de ne pas comprendre les intentions politiques derrière toutes ces manifestations de violence envers les femmes : d'abord par ses "enfants" salafistes" et maintenant par la police qui a enrôlé les milices de son parti. Pourquoi ? Uniquement pour imposer aux tunisiens le modèle social et sociétal wahhabite de ses amis saoudiens et qatari : dont le port du hijab, de la burqa .... constitue le premier signe visible de la transformation d'une société tunisienne en société saoudienne bis !!! Mais mal lui a pris à Ghannouchi : l'incendie de l'ambassade américaine et le viol de cette tunisienne, ne lui seront jamais pardonné, parce qu'il a franchi le rubicon !

m,fathallah - 01-10-2012 14:05

il est de notre devoir comme il est le tien d'appeler a une justice exemplaire envers tout ceux qui ont commis ce crime abominable ainsi que sur ceux qui ont cherche a rrondir les angles comme on dit ou ceux qui ont cherche a cacher l'affaire a l'importe quel niveau que ce soit et ce pour nettoyer a ;la fois la securite nationale ainsi que la justice que de commencer a prononcer des phrases irresponsables envers l'islam. l'islam n'a jamais pardonne ces actes, ces pratiques sont ceux de l'ancien regime

fathi - 01-10-2012 14:20

Je ne trouve pas les bons mots pour decrire cette situation. Mais les 2 ministres de l'interieur et celui de la justice doivent demissionner. En plus de leur incapacite professionnelle flagrante, ils viennent d'une autre planette avec une autre vue qui n'a rien a voir avec la Tunisie. Dans leurs interventions, les 2 ministres encouragent cet acte sauvage et ils sont parsuite responsables tout comme les 2 cauchons qui osent violer nos filles.

Ben amor sadok - 01-10-2012 15:35

Pour emde'. ' Formatage selon la morale islamiste et non islamique qui est notre heritage commun.La lecture islamiste défigure l'islam.

Mohamed Mondher Abdelkafi - 01-10-2012 19:40

Merci Abdelwaheb de cette analyse réaliste et qui nous permet de mieux comprendre l'influence culturelle de certains islamistes (salafistes)de Tunisie. La situation décrite est effectivement un double scandale. Le premier est le viol réalisé par des fonctionnaires qui sont censés proteger les citoyens, pendant l'exercise de leur fonction et le second est l'attitude du ministère public qui a le culot de tranformer la victime en accusée. Décidement on aura tout vu avec ses soit disant religieux. amitié. DrMMABDELKAFI

ayed - 01-10-2012 20:08

a diffuser

andre jouffe - 01-10-2012 21:14

Affreux

ayaketf - 02-10-2012 07:02

Que cela ne déplaise à EMDE, les types de ce genre utilisent effectivement l'islam pour se justifier et perpétrer des actes de violences et de viols même envers leurs épouses, concubines et autres apparentées...

Sayari 26 - 02-10-2012 09:46

Tous nos maux viennent d'Arabie.Leur citoyens nantis se permettent les pires interdits moraux et religieux, en dehors de leurs frontières.On utilises des exités avides pour imposer leurs desseine.

Tahar KENZARI - 02-10-2012 11:59

Il est très curieux que le Parquet de Tunis ne procède toujors pas à une ouverture d'information et donc à une enquête de Police à l'encontre des violeurs présumés de la jeune fille poursuivie pour Atteinte à la PUDEUR.Une réquisition adréssée à un Laboratoire Tunisien ou autre peut apporter la Preuve de l'existence de l'ADN des violeurs présumés sur la victime. Qu'attend donc M. le Procureur Général de Tunis pour le faire.? Tahar KENZARI

gaha chiha - 02-10-2012 14:00

Bravo si Meddeb... Merci pour vos lumières. La tunisie a besoin de votre lucidité... Continue à écrire, ca nous fait du bien.

Tunisienne - 02-10-2012 14:51

tres bon article mais qui fait mal au coeur d'une part en tant que femme je suis rabaissee de voir le monde discuter encore une fois si je suis humaine ou juste une espece de seconde classe que dieu a finalement creer pour le bonheur de l'homme de deux en tant que tunisienne qui voit son pays cheri evolue, tolérante et ouverte sur l'avenir et les voisins, se renfermer et regresser ou plutot de voir mon pays attaque par des vautours certains disent du khaliij et d'autres disent des puissances economiques qui se disputent une nouvelle reorganisation de la carte geopolitique, et que ce qui nous arrive c'est les consequence de cette dispute, des forces obscurantistes et des force du mal qui aiment la mort, les tombes, les verres de terre qui devoreront un jour les "femmes" veulent devorer ce pays j'exagere on va me dire j'espere mais je pense bien qu'il faudra reste tres eveillee

Amertume (fed up!) - 02-10-2012 23:15

Lá encore, Ces nouveaux politiciens venant de la tendence islamistes sont tous ennemis de l'egalité de la femme avec l'homme en droit et en mode de vie social. Chez eux ils pratiquent une hegemonie sur les femmes. C'est le desolement total pour une societé qui aspire á la modernité. Nos femmes ne peuvent plus méme se defondre contre ce fléo imposé par ces barbariens. On a á défondre nos femme et nos filles. Si l'administration actuelle dirigé par Ennahdha Mr La'aridh contenuait á affaiblir la position de la femme et á fermer les yeux vis-á-vis des agresseurs, nous devions nous defondre par nous méme oeuil pour oeuil dent pour dent. Les hommes avec barbes et les femmes voilées seraient á leurs tours attaqués en riposte.

jean Masi - 03-10-2012 12:07

Par delà la justesse et la précision de ce texte, cela confirme que l'attitude des autorités met en évidence que c'est du statut de la femme tunisienne dont il est question. Certaines forces en Tunisie rêvent d'une femme « talibanisée », femelle-esclave de l'homme, sans droits, et dont les devoirs sont définis par son mâle. Cette affaire sert de test aux islamistes pour savoir jusqu'où aller trop loin, tous ceux qui rêvent de lapidations et d'amputations légales. Lorsque je lis que les efforts des avocats « tendent vers l'abandon des poursuites ». C'est déjà l'acceptation que, dans ce contexte, des poursuites à l'encontre de la victime seraient envisageables. Autant dresser une contravention pour stationnement interdit à une personne qui vient d’être assassinée, sans envisager d'enfermer son assassin d'abord. C'est de la révocation de ce juge dont les avocats devraient se préoccuper. (tant de rues manquent de balayeurs), et ce serait de la révocation de tous les juges qui partageraient sa position dont il devrait s'agir. Des policiers ripoux existent dans toutes les sociétés, ils finissent toujours en prison et leur statut d'anciens policiers les rend sodomisables à souhait par leur compagnons de cellule. Mais leur hiérarchie, par sa façon de minimiser la gravité des actes, avalise leur comportement. On peut donc les soupçonner d'avoir donné des instructions pour agir de la sorte, et rien ne prouve qu'ils ne pourraient pas avoir prélevé leur part dans ce racket. Se débarrasser de fonctionnaires félons est une immense tache. La présence aux manifestations donne bonne conscience. Par contre, le chemin vers une perception humaniste de l'Islam reste encore très long et surtout très périlleux.

Maryam Brodowski - 03-10-2012 18:44

Cela ne vaudrait pas la peine de censurer EMDE qui de tout évidence n'a absolument rien compris au merveilleux texte paru... Dommage!

khelil - 04-10-2012 12:05

tout d'abord bravo pour cette analyse, rien a ajouté. voici l'indépendance de la justice et le fruit des derniers remanièment des juges. bien sure la troika et plutôt la rakda et non la nahdha n'ont rien avoir a celà, comme d'habitude la justice est 'indépendante'. mon oeil indépendante!, le M de la justice et de l'interieure jouent avec le feu parcequ'ils igniorent et ne connaissent pas la femme Tunisienne. ce gouvernement sous estime les compétences, l'intélligence, la force et l'ouverture de la femme Tunisienne dont tout le monde arabe est galoux(leur pays hote). en ecrivant cela j'ai vraiment mal de voir notre Tunisie basculé a ce niveau, il ne passe pas une semaine sans histoire pour fragmenter la socièté et la dispercer. ils n'y arriverons pas parceque encore une fois ils ne sont pas des Tunisiens du 20eme ciècle ces gens là, ils manquent d'ouverture de civisme et je pense de rélugion aussi, ils sortent vraiment des décombres des années 70 et 80 et avec le temps ils seront écartés de la vie politique et sociale, ils seront absorbés par la socièté moderne et évolutive qu'ils le veuille ou non.

Moncef Barhoumi - 05-10-2012 00:52

J´ai eu un honneur de connaitre Monsieur Meddeb déja au année 90, invité a Copenhague pour justement communiquer aux intellectuels Danois que l´islam appliqué en afrique du nord est un exemple d´une loi qui a fait entre autre la Tunisie un exemple d´une société modéré qui a réusie a donner une place a la femme au meme niveau que l´homme. vous voila ici Monsieur Meddeb défendre le statut que la femme a atteint et que personne n´a le droit den toucher, encore une fois MERCI Monsieur Meddeb d´un ami qui n´a pas oublié la valeur de votre intervention intellectuelle.

Hélène Nguyen - 15-04-2014 21:47

Bravo à vous M Meddeb pour prendre la peine et avoir le courage de défendre la cause des femmes. La phallocratie n'est pas une fatalité et doit être dénoncée par les hommes. Ils n'en sortiront que grandis.

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