Opinions - 14.09.2011

Vers une recomposition du paysage politique : Assurément !

L’engouement d’une large fraction du peuple tunisien s’est indubitablement manifesté pour « la chose politique ». En dépit de fortes tensions sociales, de frustrations liées aux atermoiements de la Justice et du gouvernement de transition, d’un air ambiant surchargé en « explications complotistes ou conspirationnistes », d’une offre pléthorique de partis et d’indépendants, les élections du 23 Octobre pourraient connaître un franc succès.
A lire les informations fournies par l’ISIE, ces élections historiques, s’il en est, pour une nouvelle république, pourraient toutefois réserver bien des surprises.

L’objet et le mode de scrutin retenus portent déjà en eux-mêmes, tout à la fois, espoirs et craintes, avancées comme possibles dévoiements.

Le choix d’une Constituante et le mode de scrutin à la proportionnelle au meilleur reste, alimentent toutes les sources d’incertitudes : Quid de la composition de cette nouvelle assemblée ? Quid de ses prérogatives ? Quid de la conduite des affaires publiques ?

Les sondages, et singulièrement le dernier a manifestement fait le « buzz » cette semaine.
Comme chacun sait, le buzz est le bourdonnement en anglais, le bourdonnement précède généralement l’arrivée et la vue de l’abeille… Pour un coup médiatique, il est réussi.

Ce sondage, confirmation du précédent à quelques variations près, répond en quelque sorte à cette recherche effrénée, - partagée par tous- de dissipation des doutes, de refus quasi obsessionnel de l’incertitude propre et pourtant inévitable à toute phase et processus révolutionnaire.

L’ensemble de la presse et des médias s’est empressée de relayer cette « information », sans autre forme de procès. Cela nous semble-t-il est tout à fait dommageable pour un exercice serein, jeune et balbutiant de l’apprentissage de la démocratie.

Ce qui en cause n’est pas tant l’exercice lui-même, ni la liberté de la presse, mais bien l’absence d’énoncé des limites intrinsèques de cette fabrication d’une information dite et perçue, les deux, c’est bien là sa force, comme  « neutre et objective ».

Nous ne dirons pas qu’il y a tentative de manipulation de l’opinion, encore que le doute soit permis, ni que cette « confection du buzz » procède des techniques de « marketing » savamment construites. Le coup est réussi.
Tout un chacun s’est mis à le commenter, pour ne pas dire à la disséquer, voire au final  à se l’approprier et le faire sien…pour aboutir et finir, -si l’on n’y prend pas garde-, dans ce que l’on appelle  « la prédiction auto-réalisatrice ». Les familiers des salles de bourse auront décodé.

En d’autres mots et pour faire simple « martelez, martelez, il en restera quelque chose », jusqu’à atteindre l’auto-persuasion. Agit-prop vous avez dit, non loin s’en faut !

Pas la moindre précaution n’a été apportée sur la « scientificité » de cette  production. Pas un mot de ses éditeurs sur la formulation des questions, sur les biais statistiques comme celui de l’usage de CSP (catégories socioprofessionnelles) qui n’en sont pas, issues d’un organisme (à ne pas confondre avec les compétences qui s’y trouvent) qui n’a jamais cessé de déformer la réalité, en un mot de « mentir ».

Ses éditeurs auraient été bien inspirés de faire état, eux-mêmes, des limites de cette photo de l’électorat qui restitue moins les « intentions de vote » que le reflet de la notoriété de quelques partis. Voilà bien également une profession qui devra à coup sûr être réglementée notamment dans les périodes d’élections.
Nonobstant ce buzz, la campagne a pris son envol. Vieux briscards de la politique, comme jeunes nouveaux venus se lancent dans cette bataille que l’on espère être celle de simples joutes oratoires et d’exposés argumentés. La encore, prudence, rien n’est moins sûr.

Inutile d’avoir fait Sciences-Po, pour postuler, avec une relative assurance, qu’au soir du dépouillement, l’électorat se sera largement dispersé, offrant ainsi un éventail complet des sensibilités du moment, certes, mais où aucun courant ne pourra se prévaloir seul d’une légitimité forte tant pour imprimer ses vues dans la construction de la nouvelle constitution, que pour diriger les affaires du pays.

Il faudra à l’évidence qu’une recomposition du paysage politique ait lieu. Affirmation purement logique qui bien entendu ne préjuge en rien des modalités de cette consolidation : fusions, accords, alliances et…. des éventuels arrangements, loin des feux de rampe, qui ne manqueront pas ici et là de se nouer. La démocratie est un long apprentissage.

A vrai dire, et tout ce que l’on peut à ce stade évoquer, ce sont les lignes de clivage qui vont participer -bien trop tôt pour parler de points durs- à ce réaménagement des forces politiques naissantes. Tactiquement, il est vrai qu’aujourd’hui, nombre de partis ont soigneusement évité de braquer le lectorat par des positions tranchées.  Cependant il y a fort à parier que ces mêmes indépendants et partis devront peu ou prou prendre position sur ces mêmes questions qui semblent faire pour l’instant « consensus ».

Il apparait que la nature arabo-musulmane du pays ou bien encore du code du statut personnel soient des acquis sur lesquels ni les uns et ni les autres ne veuillent revenir.

Il en va, à peu près de même s’agissant des droits fondamentaux, des libertés individuelles et collectives. Fait encore plus notable, peu de formations ne semblent avoir fait de choix (du moins en apparence) ni n’avoir proclamé haut et fort leur vision du devenir de notre système économique et social, socle du futur édifice démocratique.

Stupéfiant mais bien réel, nombre de partis rechignent à indiquer leur inclinaison, se contentant le plus souvent d’un catalogue de  propositions disparates où cohabitent sans aspérités ni contradictions : initiative privée et droits du travail, sans doute « une troisième voie » en gestation, ni capitalisme ni socialisme. Certains vont même jusqu’à dire, il faut oser, que la construction de la constitution est totalement indépendante du nouvel agencement nécessaire des forces productives du pays. Idéalisme quand tu nous tiens !

Souvent mal formulées, pour ne pas dire empêtrées dans de « faux débats », ces questions vont revenir au grand galop lorsqu’il s’agira de les décliner en articles et en alinéas…
Ne pouvant être ici exhaustif, énumérons quelques unes de ces lignes de clivage qui surgiront lors des débats de la constituante.

Deux interprétations du code du statut personnel sont possibles: l’une tendra inévitablement à l’élargir et le renforcer, l’autre à le réduire, pour ne pas dire à tenter de le vider de sa substance.

Autre clivage structurant : le régime politique. Il ne pourra être qu’à dominante présidentielle ou parlementaire du moins au départ ou dans sa formulation. Certains partis et indépendants, tout en proclamant un mix « savant » des deux auront toutefois à se départir et à se prononcer sur le fond. Heureusement, certains ont annoncé la couleur.

D’autres clivages tout aussi forts surgiront comme celui de la déclinaison de la souveraineté populaire entre représentativité et participation directe, (quid du référendum d’initiative populaire), clivage autour du Droit au travail (quid de la refonte du droit du travail), d’un Etat économique simplement régulateur ou acteur-initiateur…
Et  last but not least, comme disent les anglo-saxons, un clivage incontournable, celui de l’indépendance effective et concrète de la Justice : comment s’opérera la réconciliation nationale ? Il faudra bien, sous une forme ou sous une autre, formuler une amnistie!

Faisons, tout de même confiance aux très nombreux juristes et constitutionnalistes qui ne manqueront par leurs apports, de prodiguer des conseils pleins de sagesse, -savants dosages de compromis-, facilitant la rédaction d’une constitution qui sera au final acceptable et durable…

Attendons ou mieux, agissons.

Hédi Sraieb

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