News - 26.08.2023

Pour une réforme de la justice fiscale, rendre le contentieux fiscal au juge administratif

Pour une réforme de la justice fiscale, rendre le contentieux fiscal au juge administratif

Par Dr. Anis Bettaieb

1. De toute évidence l’Etat a besoin de ressources. Sans prétendre explorer ci-dessous toutes les pistes d’une possible réforme fiscale, qui d’ailleurs sont bien connues des décideurs et des pouvoirs publics, nous mettrons le point sur un autre axe possible de réforme qui est celui de la justice fiscale et plus précisément du contentieux fiscal.

2. Rappelons tout d’abord qu’il existe en Tunisie deux ordres juridictionnels différents. L’ordre judiciaire qui est compétent pour juger des litiges opposants deux personnes privées et l’ordre administratif qui est compétent pour juger les litiges opposant une personne privée à l’État, à une collectivité territoriale, à un établissement public. 

3. Le système fiscal tunisien est caractérisé par une autre dualité, à savoir celle du contentieux fiscal qui relève en même temps du ressort de l’ordre judiciaire et de l’ordre administratif.
Le législateur tunisien n’a pas opté pour une dualité selon la matière, comme cela est le cas notamment en France, mais a opté pour une compétence exclusive au juge judiciaire pour les juridictions du fonds, rendant au juge administratif le contrôle suprême en le chargeant du recours en cassation.

4. Selon le code des droits et des procédures fiscales, ce sont les tribunaux de l’ordre judiciaire qui sont compétents pour les litiges en matière fiscale et cela en premier ressort(1) et en appel(2). Le recours en cassation demeure toutefois du seul ressort du Tribunal administratif(3).

5. Cette dualité de juridictions constitue une particularité du système tunisien. D’autres législateurs et notamment le législateur français ont opté pour une dualité selon les matières. Certains contentieux fiscaux sont du seul ressort des tribunaux de l’ordre judiciaire alors que d’autres sont de la compétence exclusive du juge administratif.

6. Ce choix du législateur tunisien était probablement motivé par la nécessité de permettre un contrôle juridictionnel de l’administration mais et au vu des moyens dont disposaient le Tribunal administratif et son manque de présence à l’intérieur du pays, il semble que le choix de permettre aux seuls tribunaux de l’ordre judiciaire de juger le contentieux fiscal, n’en était pas vraiment un.

Ni l’Etat ni le contribuable ne pouvaient faire face aux très longs délais que pouvaient permettre le recours au juge administratif.
C’est donc et quasiment par «obligation» que le juge judiciaire a eu la charge de tout le contentieux fiscal, avec cela dit un contrôle du juge administratif lors de la cassation.

7. Or, le juge judiciaire n’est pas outillé pour les litiges fiscaux puisque ni la formation (de l’époque, ni celle d’aujourd’hui) des juges de l’ordre judiciaire n’est en adaptation avec les exigences du droit administratif, qui rappelons le, est une discipline de droit public.

8. Avec les réformes qu’a connues la justice tunisienne, il nous semble que le moment est venu de renvoyer le contentieux fiscal à son juge naturel. En effet, et depuis 2017 le tribunal administratif est désormais présent dans les régions puisque et en application de l’article 15 de la loi du tribunal administratif(4), des chambres administratives ont été créées dans les régions(5). Au total 12 chambres régionales ont été créés(6).

9. il n’y a donc pas d’obstacles à ce que le juge administratif ait la charge du contentieux fiscal.  
Octroyer la compétence au juge administratif dès la phase du fonds du procès fiscal nous semble bénéfique pour les deux parties.

10. L’administration fiscale retrouverait son juge puisque c’est le juge administratif qui est le juge de l’administration dans le système dualiste comme nous l’avons rappelé plus haut.

11. Le contribuable tunisien sortira de cette complexité que représente cette double compétence entre ordre judiciaire et ordre administratif.

12. En outre, les pouvoirs et les connaissances du juge judiciaire ne sont souvent pas adaptés aux différends avec l’administration et aux litiges fiscaux plus précisément. Le juge judiciaire n’a pas les pouvoirs dévolus au juge administratif. Il est légalement tenu à une stricte distance entre les parties(7).

Ces prérogatives et quoique tempérés par le code de procédure fiscale restent dans l’ADN du juge judiciaire qui ne peut facilement y renoncer et oublier son rôle passif. Or en matière fiscale, le juge joue un rôle actif dans la procédure. C’est dans ce sens que la Cour de cassation administrative a à maintes fois rappelées ce rôle du juge fiscal.

Au contraire, le juge administratif jouit de pouvoirs d’enquêtes et d’instruction beaucoup plus importantes. Il n’a pas ce rôle passif que doit avoir le juge judiciaire. Il a donc l’obligation mais aussi et surtout l’habitude de penser et d’agir comme tel.

13. Autre argument est celui de la connaissance des développements jurisprudentiels puisque le juge judiciaire n’est pas forcément à jour de la jurisprudence administrative. Cela se répercute par un fort taux de recours en cassation et un fort degré d’annulation des jugements.

Conclusion

14. Le juge fiscal pourrait, et dans le cas ou une réforme dans ce sens est adoptée, devenir le juge de l’impôt. Sa compétence englobera le contentieux fiscal proprement dit, c’est-à-dire le litige de l’assiette et de la liquidation de l’impôt, mais portera aussi sur les recours en annulation formés contre des textes ou des décisions à caractère fiscal, et des actions mettant en jeu la responsabilité de l'État à raison du fonctionnement des services fiscaux.

15. Certes, en l’état actuel la justice administrative ne semble pas bien outillée en nombre et en moyens pour traiter de tout le contentieux fiscal. Une autre réforme non moins importante devrait être entamée qui est celle du contrôle fiscal.

16. Simplifier la procédure, encourager le contribuable à déclarer correctement et surtout proposer des taxations qui collent à la réalité et qui ne revêtent pas un caractère fantaisiste et non fondé pourrait multiplier les cas de transactions avec ‘administration fiscale et par conséquent accéléré l’entrée des ressources fiscales au trésor public.

En France à titre d’exemple le filtre de la réclamation contentieuse préalable permet de régler les litiges dans plus de 99% des cas(8).

En agissant de la sorte et en menant ces réformes peut être que nous arriverons à transformer le slogan de la réconciliation de l’administration fiscal avec le contribuable pour une réalité. Ce n’est que la justice qui pourrait réconcilier. Et «si l'on demandait plus à l'impôt et moins au contribuable...»(9).

Dr. Anis Bettaieb
Avocat

1) Article 55 « Le recours, formé contre les services de l’administration fiscale, est porté devant le tribunal de première instance dans la circonscription de laquelle se trouve le service de l’administration fiscale en charge du dossier… »

2) Article 67 « Les jugements du tribunal de première instance rendus dans les recours prévus par l'article 54 du présent code, sont susceptibles d’appel devant la cour d'appel territorialement compétente, dans un délai de trente jours à compter de la date de la signification du jugement… »

3) Article 69 « Le recours en cassation contre les arrêts des cours d’appel, rendus dans les recours prévus par l'article 54 du présent code, s’effectue conformément aux procédures prévues par la loi organique relative au Tribunal administratif et par les lois qui l’ont modifiées ou complétées… »

4) « Des chambres de première instance relevant du tribunal administratif peuvent être créées au niveau des régions. Le cadre territorial de l’exercice de la compétence de chacune d’elles est fixé par décret. Elles statuent, dans les limites de leur compétence d’attribution, prévue par l’article 17 de ladite loi, sur les actions intentées contre les autorités administratives régionales et locales et les établissements publics dont le siège principal se trouve dans le cadre territorial de la chambre, ainsi que sur les litiges pour lesquels compétence pourrait leur être attribuée par une loi spéciale. »

5) Décret gouvernemental n° 2017-620 du 25 mai 2017, portant création de chambres de première instance subsidiaires du tribunal administratif aux régions et fixation de leur compétence territoriale.    .

6) Décret gouvernemental n° 2017-621 du 25 mai 2017, portant fixation du nombre des chambres contentieuses et des chambres et sections consultatives du tribunal administratif.

7) Article 12 du code de procédure civile et commerciale « Le tribunal n’a pas l’obligation de constituer, compléter, ou produire les moyens de preuve à l’appui des prétentions des parties »

8) Selon les chiffres de la DGFIP.

9) Alphonse Allais

 

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