Opinions - 11.03.2021

Tunisie: Abir Moussi à l’assaut du ciel

Tunisie: Abir Moussi à l’assaut du ciel

Par Abdelhamid Largueche - Avec le dénouement tragique de la bataille engagée par le PDL contre la branche   tunisienne de l’organisation fondamentaliste de Qaradhaoui, c’est une nouvelle étape de la confrontation politique ouverte dans le pays qui est franchie.

Désormais, Abir Moussi place de nouveau la ligne de démarcation et le clivage sur le terrain sociétal après avoir mis à nu les carences du système politique établi depuis 2011 par la volonté des islamistes et de leurs alliés.

Beaucoup ont cru que la hâche de guerre idéologique fut enterrée entre Tunisiens depuis que la Constitution de 2014 a défini les fondamentaux de ce que veut dire être tunisien à notre époque. Mais apparemment, rien n’est jamais définitivement résolu par les textes, quelle que soit la teneur des principes énoncés.

Cette nouvelle donne ne fait qu’aggraver les choses : crise politique, doublée d’une crise économique ouverte sur toutes les dérives, montée des populismes contreproductifs jusqu’au plus haut sommet politique de l’Etat, affaissement de l’autorité publique, crise sanitaire « banalisée » par l’impuissance manifeste des institutions…etc.

Sommes-nous revenus à la case départ ? Celle où tout reste à refaire ? C’est ce que laissent entendre du moins les discours qui s’affrontent, et dans les situations de crise généralisée tout laisse à croire que le malaise social et les angoisses des gens se transforment inéluctablement en question existentielles sur l’avenir incertain des communautés.

Le pôle de la colère a désormais un chef

Un pôle de la colère devient inévitablement un pôle de contestation et tend à se présenter en pôle d’alternative lorsqu’il trouve son expression politique et ce pôle existe bien aujourd’hui et il est représentée par le PDL et son leader de plus en plus charismatique. Ce pôle voit sa base sociale s’élargir pour regrouper des franges des classes moyennes fortement touchées par la crise, mais aussi nostalgique de l’État fort, redistributeur et sécurisant que l’on semble avoir perdu depuis plus d’une décennie.

Le projet de société ouverte grossièrement défini autour du pôle électoral formé par Nida Tounis et BCB en 2014 s’est effrité et n’a pu survivre à ses propres luttes intestines et à l’essoufflement de son vieux chef. Ceux qui ont tenté de le reconstruire, victimes de leur propre narcissisme et des illusions perdues, risquent de finir par constater à leurs dépens que la politique a horreur du vide. Le vide politique laissé par le départ de BCB est amplement occupé aujourd’hui par un autre chef, aussi charismatique, moins expérimenté certes, mais plus déterminée à aller jusqu’au bout de son combat : Abir Moussi est la figure féminine des espoirs nouveaux. Une figure jeune, combattante, éloquente et en plus femme de terrain qui sillonne le pays multipliant les appels à une nouvelle libération du pays, fortement inspirée par les épopées du nationalisme tunisien et ses symboles emblématiques.

Aura-t-elle suffisamment d’intelligence pour réussir à rallier tous les hésitants ? l’avenir proche nous le dira, mais elle a montré jusque-là suffisamment de force et de détermination pour mettre les bons mots sur les maux dont souffre toute une société.

Une bataille de trop ? rien n’est si sûr…

Beaucoup parmi les hésitants considèrent à tort ou à raison que Abir Moussi nous fait revenir par son agenda particulier aux moments obscurs des luttes révolues sur l’identité et aux menaces sur la paix et la cohésion d’une société. Malheureusement, en politique c’est le plus fort qui dicte les priorités et les formes de l’action à engager. Béji en son temps n’a-t-il pas imposé son tempo et sa manière de voir et d’agir, ce qui l’a hissé en un temps record au rang de chef incontesté de toute l’opposition. Tout le monde se rappelle du lendemain de l’assassinat de ChokriBelaid, le 6 février 2013, lorsque BCB a surpris tout le monde y compris parmi ses partisans, annonçant le caractère désormais illégitime de l’Assemblée Constituante, ainsi que de la fin annoncée du régime de la Troika. Le terrain politique se conquiert aussi à coup de batailles risquées.

Oser une bataille, vue comme marginale ou secondaire, sur un terrain aussi incertain et glissant comme celui des fondamentaux de la république, c’est aussi marquer les imaginaires, montrer que les vieux démons sont toujours là et que les tentations du fanatisme et des régressions menaçant les femmes n’ont jamais été dissoutes dans le creuset des valeurs républicaines. Du coup la bataille acquiert sa dimension symbolique hautement libératrice. Tout comme le choc violent du 9 avril 2012 sur l’Avenue Bourguiba a redonné toute sa vigueur à la valeur commémorative des fêtes nationales, la fin tragique du Sit-in du PDL sur l’Avenue Kheireddine Pacha marquera de son sceau les mémoires dans le contexte de désenchantement national régnant.

Tout comme ChokriBelaid est devenu, par son martyre précoce, le symbole tragique d’une révolution ratée, Abir Moussi est en passe de devenir l’icône de l’espoir renaissant de l’enchantement national.

En politique, on ne peut pas mathématiser le futur, tellement la part de l’imprévisible est grande ; l’unique fatalité est celle du moment qui peut condenser toute une histoire. L’Histoire qui se joue en ce moment est bien celle de l’émergence d’une nouvelle direction politique face au vieillissement des anciennes élites et à la maladie incurable du personnel politique occupant la scène toutes tendances confondues.

Reste que la politique reprendra surement ses droits et sa rationalité avec son jeu interminable d’alliances, de mésalliances et de tactiques d’équilibrisme. Dans ce jeu, les acquis du moment pour les uns peuvent ne pas se décliner en victoires finales. En matière de politique rien n’est définitif, tout est réversible. De sa capacité à tisser de nouveau les trames d’une convergence possible entre divers acteurs, à traduire les angoisses en espoirs, à faire revivre un rêve de bien-être collectif, dépend l’avenir politique de Abir Moussi et du pôle social et politique qu’elle inspire et façonne.

Il n’y a de crise que celle de l’alternative. Face à l’impasse politique d’un système essoufflé et rattrapé par ses propres limites, une alternative se construit difficilement par une double remise en cause, une remise en cause radicale du système politique hybride et boiteux mis en place le lendemain d’une révolution incertaine, et une remise en cause plus profonde, celle de toute une classe politique, devenue une néo-bureaucratie qui s’est décrétée dépositaire de ses idéaux et de son devenir.

En attendant, Abir Moussi s’envole à l’assaut du ciel.

Abdelhamid Largueche



 

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