News - 18.04.2020

Le 18 avril : une pensée pour nos monuments et nos sites habitués au confinement bien avant la pandémie du Covid-19

Le 18 avril : une pensée pour nos monuments et nos sites habitués au confinement  bien avant la pandémie du Covid-19

Par Professeur Houcine Jaïdi - D’abord, pourquoi le 18 avril ? Rappelons qu’il s’agit de la date choisie par l’UNESCO pour la célébration de la Journée internationale des Monuments et des Sites (JIMS) et qu’il s’agit aussi de la journée d’ouverture du ‘’Mois du Patrimoine’’ en Tunisie.

Parler du patrimoine culturel, dans ses composantes monumentale et archéologique, par temps de pandémie gravissime, pourrait paraître malvenu alors que les  activités tournent au ralenti ou sont complétement  suspendues  et que les individus comme les nations ne pensent qu’à survivre et à assurer leur salut. Mais les défenseurs de l’inopportunité actuelle  de cet intérêt pour le patrimoine oublient que la crise sanitaire planétaire revêt d’autres dimensions notamment économique, sociale et, quelque part, politique. De ce point de vue, le débat autour du patrimoine culturel et de son impact dans la vie économique, sociale et éducative n’est nullement un luxe. Il s’agit même d’une nécessité impérieuse. N’est-il pas prouvé, sous d’autres cieux, que d’innombrables activités, tournant autour  des sites et des monuments, peuvent être entreprises en période de confinement et contribuer, intelligemment, à réduire le poids de  l’isolement et de la fermeture des monuments, des sites et des musées imposée par des raisons de force majeure ?

La marginalisation, en Tunisie, de la JIMS et la triste invention  du ‘’Mois du Patrimoine’’

La JIMS existe depuis 1982. Son institution a eu lieu 17 ans après la création du Conseil international des Monuments et des Sites (ICOMOS), organe spécialisé de l’UNESCO, mis en place en 1965. C’est lors d’un colloque organisé à Hammamet par le Comité tunisien de l’ICOMOS, parallèlement à la réunion du Bureau du Conseil, que l’idée d’une Journée internationale dédiée aux monuments et aux sites a germé. Approuvé par le Comité exécutif de l’ICOMOS puis par la Conférence Générale de l’UNESCO, le projet est devenu une réalité au cours de cette même année 1982. Depuis, la communauté internationale n’a pas cessé de célébrer la JIMS avec, pour chaque année, un thème particulier qui se veut mobilisateur à l’échelle planétaire.

Dix ans après avoir eu l’honneur d’avoir été pour ainsi dire l’antichambre du berceau de la JIMS, la Tunisie a connu l’institution du ‘’Mois du Patrimoine’’ qui s’ouvre le 18 avril (JIMS) et se termine le 18 mai qui correspond à la Journée internationale des Musées (JIM). Cette manifestation a démarré en 1992,  avec la propagande propre à l’époque, pour célébrer l’heureuse ‘’invention tunisienne’’. Il faut dire aussi que l’initiative a bénéficié d’un certain enthousiasme de la part de plusieurs intervenants. On a donc assisté, à partir de l’année inaugurale de l’évènement, à de nombreuses manifestations dont certaines, de très bonne facture, étaient  destinées au grand public (expositions, conférences, visites guidées par des spécialistes...). A cela s’ajoutaient  plusieurs inaugurations d’institutions patrimoniales, notamment une belle série de musées régionaux. La société civile, représentée particulièrement par les associations de sauvegarde des médinas, a été encouragée et impliquée dans la programmation du ‘’Mois’’ dont les deux fers de lance étaient l’Institut national du Patrimoine (INP, appelé Institut National d’Archéologie et d’Art – INAA - jusqu’en 1993) et l’Agence de Mise en Valeur du Patrimoine et de Promotion Culturelle (AMVPPC, appelée Agence Nationale de Mise en Valeur et d’Exploitation du Patrimoine Archéologique et Historique – ANEP - jusqu’en 1997).

Le début des années 2000 a vu un essoufflement de la dynamique qui prévalait jusqu’alors dans la Programmation du ‘’Mois du Patrimoine’’ : les manifestations consistantes ont commencé à se faire rares et les inaugurations de projet patrimoniaux  importants sont devenues sporadiques. Dans ce marasme persistant, les deux seules réalisations notables, entreprises grâce à un prêt de la Banque mondiale, sont l’inauguration des ‘’nouveaux’’ Musée national du Bardo et Musée archéologique Sousse, au cours de l’été 2012. Depuis plus de 10 ans, le ‘’Mois du Patrimoine’’ est porté, au niveau de la programmation, surtout  par la société civile, appuyée financièrement par les délégations  régionales de la culture, en manque d’idées et intéressées seulement par le patrimoine immatériel, dans la mesure où elles sont complètement écartées de la gestion du patrimoine culturel matériel.

Le bilan d’une trentaine d’années fait ressortir surtout la difficulté de gérer un ‘’Mois du Patrimoine’’,  qui a fini par être largement foklorisé malgré quelques exceptions qui confirment la règle : les rares initiatives sérieuses de quelques associations méritantes qui ont émergé de la grise culturelle ambiante malgré la faible médiatisation de leurs réalisations et le caractère aléatoire des maigres subsides qui leur étaient alloués. Ainsi donc, les Tunisiens ont lourdement perdu au change : le ‘’Mois du Patrimoine’’ a occulté la Journée internationales des Monuments et des Sites et celle des Musées sans apporter une réelle plus-value.

D’autres choix étaient-ils possibles ? Certainement ! On aurait dû garder la visibilité de la JIMS et de La JIM en programmant, à l’occasion de leur célébration,  des activités conformes aux thèmes de l’ICOMOS et de l’ICOM (Conseil international des Musées). Parallèlement à cela, on aurait pu organiser des Journées nationales du Patrimoine n’excédant pas un week-end ou dont la durée aurait été étendue, au plus, à une semaine d’activités intenses basées surtout sur la découverte du patrimoine culturel  par le grand public. Cette programmation, impulsée par le ministère des Affaires culturelles, avec des ramifications régionales et locales,  aurait  pour objectif essentiel  de faire découvrir, par des guides compétents et des supports adéquats, des monuments et des sites non accessibles, en temps normal : Palais présidentiel, siège de l’Assemblée des représentants du peuple, sièges de ministères et de municipalités occupant des monuments historiques …. .

Avec une telle programmation, peu étalée dans le temps mais bien conçue et médiatisée, on peut parier que les citoyens se présenteront en grand nombre pour assouvir une soif de culture qu’ils ont du mal à étancher. Ne l’ont-il pas montré, superbement, il y peu, quand une grande exposition patrimoniale a été organisée par une jeune association au Palais Ksar Saïd ?

En période de confinement, le ministère des Affaires culturelles est-il réellement attentif au Patrimoine ?

Le confinement général décrété, il y a plus d’un mois, a naturellement entraîné la fermeture des sites archéologiques et des musées. Par ailleurs, un communiqué du ministère en charge de la Culture, daté du 1er avril, a annoncé l’annulation de toutes les activités du ‘’Mois du Patrimoine’’, tout en appelant « les différentes structures à remplacer les manifestations présentielles par la diffusion de contenus numériques qui valorisent la patrimoine national, le font connaître et consolident la conscience de sa préservation». Il faut espérer que l’appel sera entendu par les établissements en charge du patrimoine et que, du 18 avril au 18 mai, les Tunisiens, confinés puis en déconfinement partiel, auront le plaisir de découvrir, sur la toile, les sites et monuments de leur richissime patrimoine culturel. Il reste que le petit nombre de vidéos disponibles sur la page Facebook de l’AMVPPC et accompagnées d’un beau slogan qui vise à contribuer à meubler le confinement,  est loin de faire  le compte, sans parler du contenu très discutable de ces supports, à plus d’un point de vue.

Force est de constater que le ministère des Affaires culturelles s’est contenté, s'agissant du ‘’Mois du Patrimoine’’ d’un service minimum. En la matière, son communiqué (qui est en fait une circulaire ) est à la fois laconique et évasif.  N’aurait-il pas gagné à  préciser quelles sont les structures destinataires du communiqué ? Car, les organismes concernés par le patrimoine culturel sont bien nombreux et dépassent même le champ de la tutelle du ministère. Il y a bien entendu l’AMVPPC mais aussi l’INP dont le site officiel affiche une cinquantaine de vidéos plus ou moins attractives ; il faut également citer la Bibliothèque nationale qui a déjà une riche collection de documents patrimoniaux numérisées, la Cinémathèque tunisienne qui dispose de très nombreux films et documentaires à contenu historique et patrimonial, la Télévision nationale qui, il y a des décennies déjà, s’est beaucoup intéressée au patrimoine et s’est distinguée par la réalisation de reportages et de séries remarquables comme par exemple la très belle série consacrée aux ‘’Villages tunisiens’’. A cette liste on peut ajouter les enregistrements musicaux de la Phonothèque nationale si peu visible et audible et dont le richissime fonds est un véritable trésor patrimonial. Si toutes ces institutions dont la plupart sont sous la tutelle du ministère des Affaires culturelles se mobilisaient, sur la base de directives précises, pour faire découvrir le patrimoine tunisien dans toutes ses composantes, il y  aurait de quoi meubler amplement le temps libre des millions de Tunisiennes et de Tunisiens qui se morfondent dans un confinement pesant. Outre les multiples moyens qu’offre la toile, un nouveau support serait la toute nouvelle chaine de Télévision éducative qui vient d’être inaugurée pour soutenir l’enseignement à distance, décidé par le ministère de l‘Education pour assurer la continuité pédagogique en période de confinement.

Si le ministère des Affaires culturelles a une vraie considération pour le patrimoine culturel dans son acception la plus large, Il a encore du temps pour agir, alors qu’on est encore au tout début du ‘’Mois du Patrimoine’’, en diffusant une circulaire aux établissements intéressés et un communiqué pour annoncer la bonne nouvelle aux Tunisiennes et aux Tunisiens. Ce faisant, il aura profité du confinement général pour présenter une nouvelle version du ‘’Mois du Patrimoine’’ qui, en attendant sa refonte complète, aurait été sauvé du monopole peu productif des deux établissements de tutelle officielle. A court d’idées, le ministère pourra toujours s’inspirer des initiatives des associations et de certains collectifs qui ont réagi de manière responsable en période de confinement. Il suffit de rappeler l’exemple de la deuxième édition du Festival du film de Gabès et le programme de films documentaires conçu par des cinéastes de l’Institut des Arts Multimédia de la Manouba (ISAMM), mis, tous deux, en ligne, gratuitement, au grand bonheur des cinéphiles. 

Le ministère des Affaires culturelles gagnerait à rassurer les Tunisiennes et les Tunisiens par des mesures concrètes concernant le ‘’Mois du  Patrimoine’’ dont la 29e édition est décrétée officiellement ‘’mort-née’’, dans un contexte où le besoin de culture se fait ressentir plus que jamais. Ces mesures prouveront, si elles voient le jour, que les ‘’Affaires culturelles’’ ne se réduisent pas aux nominations qui se succèdent comme s’il s’agissait d’urgences absolues, aux prévisions trop lointaines pour les sacrosaints festivals d’été et aux mesures calamiteuses concernant la poursuite du tournage des feuilletons télévisées, fortement contestées par l’opinion publique et heureusement suspendues par le Tribunal administratif. 

Pendant la durée,  désormais théorique,  du ‘’Mois du Patrimoine’’, le ministère de tutelle serait bien inspiré de faire profiter ses experts de la période de confinement et de celle du certainement long déconfinement partiel pour boucler deux dossiers, mis en veilleuse depuis bien longtemps alors qu’ils sont vitaux et qu’ils sont devenus handicapants pour la gestion et la promotion des sites et des monuments : l’élaboration  des décrets d’application du Code du Patrimoine Archéologique, Historique et des Arts Traditionnels, en vigueur depuis 1994, et le parchèvement du Plan de Protection et de Mise en Valeur (PPMV) du site de Carthage, entamé depuis les années 1990 et objet de tensions récurrentes avec l’UNESCO. Nul doute qu’il s’agit là de tâches qui peuvent être accomplies, sans difficulté aucune, dans le cadre du télétravail, mis en route, efficacement, il y a près d’un mois, par de nombreux départements ministériels. 

Ne nous y trompons pas. Seule une réelle volonté politique doublée d’une imagination féconde et d’une méthodologie saine, transparente et participative sortiront nos monuments et nos sites du délaissement  qui équivaut à un confinement avant la lettre.

Professeur Houcine Jaïdi

 

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