News - 12.02.2020

L’affaire de la succession du Général Husayn: quand M’hamed Oualdi nous raconte une autre histoire du Maghreb ottoman et colonial

L’affaire de la succession du Général Husayn : quand M’hamed Oualdi nous raconte une autre histoire du Maghreb ottoman et colonial

A Slave Between Empires. A Trans-Imperial History of North Africa est le titre du livre publié, tout récemment, par l’historien franco-tunisien M’hamed Oualdi chez Columbia University Press. Enseignant à l’INALCO (Paris) puis à Princeton, au département d’histoire et au Near Eastern Studies Department et actuellement professeur des universités en histoire à Sciences Po (Paris) M’hamed Oualdi est un grand spécialiste de l’histoire de l’esclavage en Méditerranée(1). Il est l’auteur d’une thèse de doctorat sur l’histoire des mamelouks des beys de Tunis, publié en 2011 aux éditions de la Sorbonne sous le titre «Esclaves et maîtres. Les Mamelouks des bey de Tunis du XVIIe siècle aux années 1880» et de plusieurs travaux sur cette même thématique, parus dans diverses revues de renommée internationale(2). C’est du Général Husayn et plus particulièrement de ce qu’il est advenu de lui et de ses biens après son décès que traite A Slave Between Empires.

Esclave affranchi né dans le Caucase vers 1820, Husayn acquiert, à Tunis, une solide formation qui lui permet de maîtriser plusieurs langues (il participe à la rédaction de Aqwam al-masalik de Khaireddine), de gérer de hautes fonctions politiques (premier président de la municipalité de Tunis crée en 1858, président du Grand Conseil en 1861-62). Ces hautes responsabilités feront de lui une des figures remarquables de la réforme. Il est chargé à partir 1870 de représenter son payés dans des affaires judiciaires en Italie dont la plus importante fut le procès intenté par le gouvernement beylical contre Nassim Shemama, directeur financier de la province, qui avait fui à l’étranger en détournant des sommes importantes revenant au trésor. Mécontent de sa gestion, Mohamed Sadok Bey, décide en 1882 de l’écarter de cette affaire.

Privé de rentrer dans son pays passé sous la domination française, Husayn vieillissant et malade s’éteint à Florence en 1887. Sentant sa fin approcher, il prend soin d’organiser sa succession dans un testament qui profitera à la famille de Salem Bouhajeb au détriment de son héritier légal, le bey et son lignage. Les conflits ne tarderont pas à se faire jour: en plus des personnes revendiquant leur droit à la succession de Husayn, des conflits diplomatiques éclatent entre la France, l’Empire Ottoman et dans une moindre mesure l’Italie. C’est l’histoire, passionnante, de cette succession et des nombreux litiges qu’elle a générés, qui nous est racontée par M. Oualdi dans A Slave Between Empires.

Le livre permet à M’Hamed Oualdi de mettre l’accent sur l’importance de la circulation des personnes et des idées à travers la Méditerranée - phénomène largement exploré par Jocelyne Dakhlia(3) et Julia Clancy Smith(4) - et de renouveler le champ des études du Maghreb moderne et colonial. Il remet en cause, l’image d’un Empire Ottoman «malade» et impuissant face à ses adversaires européens. La dispute entre la France et l’Empire Ottoman autour des papiers de Husayn, de sa dépouille et de sa nationalité, comme son inhumation dans le mausolée de Mahmud II à Istanbul, contredit, nous dit l’auteur, le «poncif d’un empire ottoman trop faible, trop éloigné du Maghreb, pour que les sultans s’y intéressent à la fin du XIXe siècle».

Selon M. Oualdi, cette étude vise à réinterpréter la colonisation française de la Tunisie en prenant en compte une culture provinciale ottomane développée dès le XVIe siècle au Maghreb et qui était encore très vivace jusque dans les années 1920. En se fondant sur des sources en langue arabe, française, italienne et anglaise, A Slave Between Empires appelle donc à un élargissement de nos interprétations de l’histoire moderne et contemporaine du Maghreb qui ne se limitent pas à l’examen de la colonisation et des sources coloniales européennes mais réinterprète la violence de la domination coloniale en fonction d’autres historicités dont l’appartenance et la fidélité d’une partie des sociétés maghrébines à l’Empire ottoman.

En ce sens, ce livre applique à l’Afrique du Nord un questionnaire sur les legs ottomans déjà fortement en usage pour le Proche-Orient. Il révèle d’autres chronologies et des réseaux financiers, intellectuels et familiaux qui ont été soit sous-estimés, soit tout simplement ignorés tant l’histoire du Maghreb contemporain reste avant tout une histoire des pouvoirs coloniaux au Maghreb et beaucoup moins une histoire des Maghrébins sous domination coloniale.

Fatma Ben Slimane
Professeur d’histoire à l’Université de Tunis

(1) Il fut invité à en parler à Beit Al-Hikma au printemps  2018.

(2) Publiés aussi sur le site Academia.edu. M. Oualdi est  aussi l’auteur d’un excellant  mémoire sur Salah b. Youssef.

(3) Dans par exemple ; Lingua franca . Histoire d’une langue en Méditerranée, Actes Sud  2008 ; ou encore avec W. Kaiser ; Les musulmans dans l’histoire de l’Europe : passages et contacts en Méditerranée,  t. 2, Paris-Albin Michel 2013. 

(4) Mediterraneens : North  Africa and Europe in an Age of Migration  C. 1800-1900 ; University of California Press 2010.

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