News - 09.10.2018

Ghanem Marrakchi - La Démocratie en Tunisie : Faut-il la pendre ou la suspendre ?

Ghanem Marrakchi - La Démocratie en Tunisie : Faut-il la pendre ou la suspendre ?

Il m’arrive de discuter de temps en temps avec des médecins et écouter leur conversation, pas toujours compréhensible d’ailleurs, mais suffisamment intéressante pour prêter une oreille attentive.

J’ai compris que lorsqu’un médicament n’est pas toléré par le malade, le médecin suspend le traitement et le remplace par un autre médicament. Si cela s’avère impossible on arrête le traitement pour un certain temps pour le reprendre par la suite progressivement et avec des petites doses. Tel est la technique savante et intelligente des médecins qui permet de guérir sans périr.

L’avant Janvier 2011 la grande majorité des tunisiens avaient conscience que le pays était malade. Emprisonné dans un espace de confinement politique et intellectuel, sans beaucoup de libertés et regardant la rive méditerranée d’en face baigner dans le boum d’internet et des nouveaux outils de communication, il y a incontestablement une carence démocratique à tous les niveaux qui ne peut qu’engendrer la frustration et le désarroi.

Il fallait donc trouver le remède à cette maladie  et de manière urgente car la tension était palpable et l’argument d’une stabilité sociale et économique ne peut plus être utilisé par le pouvoir de l’époque pour justifier sa politique sourcilleuses et sécuritaire.

La prise de conscience par le despote était tardive et son discours à la veille de son départ ne pouvait rien changer !

La machine libératoire s’est lancéeà vive allure dans l’inconnue et les tunisiens se retrouvent du jour au lendemain projeter d’une situation de soif accrue de démocratie à unstadede désaltération intense face à une inépuisable fontaine démocratique qui a finit par nous conduire à la satiété voire à l’overdose.

Tel était la situation de la Tunisie à l’aube de Janvier 2011 mais personne ne pouvait imaginer, sept ans après, le pays sombrer dans une crise économique et politique aussi grave que celle que nous vivons actuellement.

Identifier le mal et apporter le remède ne suffit pas pour un malade aux multiples pathologies, il faut savoir doser le médicament et l’adapter. Tel est la faute que nous commettons tous. Notre pays n’était manifestement pas prêt à recevoir une telle dose de liberté après une si longue période de carême démocratique.

Tout se libère et dans tout les sens. On revendique tout et on critique tout, on empêche un chef de service d’accéder à son bureau en installant des setting improvisés, on prend en otage des élèves en bloquant les lycées et les empêcher ainsi  d’acquérir la science et le savoir, tout est permis pour faire plier l’administration et l’obliger à céder aux multiples revendications de toutes ces personnes fraichement libérés dans leur tête et leur esprit. Le maitre mot dans tout ceci est « accepte ou  dégage ».

La situation politique est devenue de plus en plus hasardeuse et incontrôlable. Il fallait une gigantesque organisation et une gouvernance politique de transition particulièrement expérimenté et aguerri pour calmer cette effervescence.

Tel n’était malheureusement pas le cas après Janvier 2011 et il n’y a pas pire que de vouloir faire du neuf avec du vieux.

Entre les règlements de compte avec les hommes du pouvoir déchu et l’appel des anciens opposants à obtenir réparation pour des années de frustration passées à l’étranger ou dans les prisons, le pouvoir en place se fragilise et s’affaibli de jour en jour.

Ajoutons à ceci l’impératif essentiel qui demeure, malgré tout, l’exercice concret de la démocratie et la nécessitéd’envoyer tous les tunisiens, et le plus rapidement possible aux urnes. Il faut bien le reconnaître, ni le pouvoir ni la société était suffisamment préparéepour subir une telle cadence démocratique en si peu de temps.

Le champ était alors grand ouvert à l’improvisation. C’est la pire des situations en politique où les décisions se prennent sans laisser le temps à la réflexion et on s’oblige à faire et à défaire continûment transformant ainsi l’exécutif en fantoche piloté par des ficelles où on trouve à chaque bout un parti politique.

La société civile est devenu le siège d’un big bang libératoire de grande ampleur. On atteint des degrés frisant la folie. Des dizaines de nouveaux partis politiques, des milliers de nouvelles associations, peu importe la doctrine ou l’idéologie, tout est permis pour occuper l’espace vide et assouvir la soif d’exercice de cette démocratie tant convoitée. 

Les plateaux télé s’enguirlandent de jour en jour de nouveaux analystes politiques et de maîtres penseurs. On explique, on synthétise, on affirme et on infirme, on prévoit et on conçoit. Décidément, on n’exerce plus la démocratie on est entrain de l’inventer de nouveau et l’enseigner.

Aux cotés de ces nouveaux politiciens autoproclamés surgit, dans ce paysage volcanique,la représentation syndicale dans toute sa splendeur. Nous sommes là et nous comptons nous aussi exercer la démocratie avec magnificence et prestige. « Si dans le passé nous existions par la pensée, maintenant nous voulons exister voire régner par l’action et la revendication »

L’UGTT appelle, réclame, conjure, exige, partout dans le pays, pas une administration, un lycée, un hôpital, une société, une entreprise n’a pu échapper à cette araignée loup qui en tissant sa toile à travers l’ensemble du territoire est devenue en mesure de paralyser tout ce qui rentre dans son univers.

L’activité d’une compagnie nationale d’envergure internationale s’est trouvé figée du jour au lendemain privant le pays de plusieurs milliards laissant des employés désemparés et ballotés entre les promesses déraisonnables d’une organisation syndicale prometteuse de belles et merveilles et une dure réalité économique qui invite les employés à modérer leur légitimes requêtes et attendre le redressement du pays.

Ayant même entendu qu’un représentant syndicala réussit à devenir le souverain d’uncentre hospitalo-universitaire d’une grande ville semant la pluie et le beau temps à tous les étages et paralysant par ses actions un des services les plus cruciaux pour le citoyen à savoir l’accès aux soins et à la santé.

Mais ce n’est pas grave, rien ne doit nous faire reculer devant l’exercice entier et absolu de la démocratie et de la liberté.

La seine politique quant ‘à elle est chaotique, les partis, exemptsd’expérience et de maturité, s’apostrophent, se déchirent, puis se confédèrent et se prêtent au jeu d’alliance. Le spectre est large mais la vision est floue, l’accession au pouvoir reste la seule finalitéet les moyens pour y arriver n’obéissent à aucun scrupule.

La fonction présidentielle n’a pas été épargnée par le souffle démocratique. On n’a jamais vu autant d’hôtes du palais de Carthage en si peu de temps.

Même scénario à la Casbah où les Premiers Ministres se succèdent et ne se ressemblent pas.

Mais  les résultats d’une réelle stabilité politique, sociale et économique n’est toujours pas au rendez vous.

Alors après sept années qu’avons nous acquis par cette démocratie depuis qu’elle est venue taper à nos portes sans prévenir. Une nouvelle constitution, certes, le chemin était fastidieux, mais le résultat est là et il est palpable. On a pu tester le degré de solidité de la société bâtit depuis les années soixante. Rien ne peut en effet ébranler les bases de cette société tunisienne plurielle, laïque et respectueuse de sa moitié à savoir la femme qui a tant apporté pour l’édification de la Tunisie moderne.

Les courants les plus farouches de l’ANC n’ont rien pu faire contre une volonté unanime de préserver les acquis de la libération féminine initié contre vents et marrés par le leader Habib Bourguiba à l’aube de l’indépendance.

Mais avons nous choisit finalement le meilleur mode de gouvernance pour notre pays ? A vouloir éviter de tomber de nouveau dans le phénomène de séparation stricte entre l’exécutif et le législatifconduisant au contrôle absolu de la gouvernance par unsuper Président, on a opté pour un mode de séparation souple où ces deux pouvoirsont la possibilité de se révoquer mutuellement. Or on vient de s’apercevoir que ce régime hybridetourne au jeu du chat et la souris et l’action du gouvernement se trouve pénalisée à chaque fois où des réformes s’imposent. Le premier ministre est tributaire dans son action d’une majorité boiteuse qui se fait et se défait au gré des intérêts des partis et d’individus plus au moins influents.

Le parlement est devenu une institution fantôme. Quelle démocratie au monde conduit à des sièges de parlementaires aussi vides que celle de la Tunisie ?

Quelle case avons nous oublié de cocher pour que notre démocratie soit aussi boudée et délaissée par ceux qui ont la charge de la construire et l’exercer ?

Lorsque j’apprends que les séances de questions au gouvernement se tiennent avec la présence d’une poignée de députés alors que le palais du bardo affiche complet lors du vote pour l’augmentation del’indemnité des parlementaires ! on est en droit de se poser la question sur le degré de scrupulosité de nos représentants.

Est ce de la démocratie d’écouter une député entrain de supplicier un membre du gouvernement avec un jargon de rue déballant sur la place publique des dossiers et des affaires malicieusement choisis pour le seul but de discréditer l’action du ministre et celle du gouvernement qu’il représente ?

Quelle démocratie est celle qui conduit à une pénurie sans précèdent de médicaments autrefois disponibles partout et pour tous ?

Quelle démocratie a transformé nos jolies villes en un véritable dépotoir où le simple fait de circuler en toute sécurité relève de l’impossible ?

Quelle est cette démocratie qui a conduit le pays à un endettement record qui va nous plonger dans une dépendance éternelle vis à vis de nos créanciers ?

Est-il intelligent d’être libre dans la tête et dans l’esprit alors qu’en même temps nous restons soumis dans nos actes et décisions au bon vouloir de la banque mondiale et le FMI ?

Quelle démocratie est celle qui conduit à une chute sans précèdent de la valeur de notre monnaie nationale générant l’inflation et l’instabilité économique ?

Nous serions bien fiers de cette démocratie lorsqu’un jour l’état sera en faillite et le pays ne pourra plus payer les salaires.

Il nous faut bien analyser l’ensemble des ces événements et articuler notre pensée et la focaliser sur l’urgence de trouver les moyens pour remettre le pays au travail et relancer la machine économique.

Abandonnons pour un court temps cet égocentrisme qui naît en nous et qui est le fruit de nos frustrations provoqués par ce que nous vivons tous les jours de négatif et de désespérant et renvoyons ces politiques qui ont montré leur échec dans l’exercice du pouvoir qui leur a été offert par le peuple à leur case départ.

Il ne s’agit ni de pendre la démocratie, ni de la suspendre. Il nous faut la doser à la meilleure posologie tel un médicament pour qu’il ne devienne pas toxique. Trop de démocratie c’est comme pas assez. Cette démocratie qui vit en nous est un acquis du peuple et elle doit être exercé par lui et pour lui de manière souveraine et en dehors de toute hégémonie des partis politiques ou des organisations sociales.

Les prochaines échéances électorales sont cruciales et le Tunisien n’a plus le droit à l’erreur. L’expérience des ces sept années doivent être pour lui le principal guide dans le choix qu’il va opérer seul dans l’isoloir.

Vive La Tunisie, Vive la Démocratie

Ghanem Marrakchi
Professeur, Université de Lyon
Secrétaire Général de l’Institut Français de Civilisation Musulmane à Lyon




 

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