News - 24.02.2018

Djerba: Les mosquées ibadites

Djerba: Les mosquées ibadites

On n’épuise guère l’exploration émerveillée du patrimoine tunisien, comme nous le confirme cet excellent ouvrage qui vient juste de paraître chez Cérès Editions.

Avec passion et rigueur, ce Djerba, Les mosquées ibadites d’Axel Derriks et Virginie Prévost associe à la démarche subtile du photographe, l’érudition de l’historienne. Les deux nous entraînent à la découverte captivante de l’ibadisme, un rite singulier et des monuments insolites, témoins d’une histoire méconnue. De Ben Hammûda à Tâjdît, en passant par Al-Gallâl, Lûta, Abû Miswar, Al-Bâsî, Sîdî Yâtî, Talâkîn, les auteurs nous invitent à partager leur exploration minutieuse des joyaux de l’architecture ibadite: les mosquées de campagne, disséminées sur toute la surface de l’île, les mosquées souterraines, jalouses de leurs secrets, les mosquées madrasas, gardiennes du savoir et de sa transmission, et enfin les mosquées fortifiées et de guet côtières qui assuraient la défense de l’île. Entre originalité des formes, poésie des lieux et bonheurs chromatiques, la forte identité visuelle de l’architecture djerbienne s’impose dès les premiers pas. On assiste alors à la naissance d’une alliance unique de la figure et de la lumière, de l’intelligible et du sensible. Sous nos yeux, se révèle une autre vision de l’art, à la fois puissante et retenue, sans ors, sans apparats, ni arabesques.

Axel Derriks, né à Hasselt, Belgique, vit et travaille à Tunis. Entre l’essai documentaire et l’art, ses photographies cherchent à saisir des tranches de vie dans un style authentique. Depuis un coup de cœur en 2009 dans la vallée du Mzab (Algérie) pour l’architecture ibadite, il s’est donné pour mission de couvrir tous les sites ibadites reculés de Libye, d’Algérie, d’Oman et de Tunisie et spécialement de l’île de Djerba.

Virginie Prévost, après des études en histoire de l’art, en islamologie et en histoire des religions, a défendu en 2002 à l’ULB (Belgique) une thèse de doctorat consacrée aux ibadites du Sud tunisien entre le VIIIe et le XIIIe siècle. Ses recherches visent à apporter une nouvelle interprétation de l’histoire du Maghreb médiéval, en opposant à la version communément admise le témoignage essentiel et souvent négligé des historiens ibadites d’origine berbère. Elle s’intéresse à tous les aspects de la civilisation ibadite, ancienne et contemporaine, et tout spécialement à l’architecture qu’ils ont créée ou influencée au Maghreb et notamment à Djerba. Elle a écrit L’aventure ibadite dans le Sud tunisien, VIIIe-XIIIe siècle. Effervescence d’une région méconnue (Helsinki, Academia Scien¬tiarum Fennica, 2008), Les Ibadites. De Djerba à Oman, la troisième voie de l’Islam (Turnhout, Brepols, 2010) et Les mosquées ibadites du djebel Nafûsa. Architecture, histoire et religions du nord-ouest de la Libye, VIIIe-XIIIe siècles (Londres, The Society for Libyan Studies, 2016).

L’architecture religieuse à Djerba

L’architecture ibadite du Maghreb est généralement connue grâce aux cités du Mzab algérien: ses mosquées, ses aires de prières et ses tombeaux particulièrement originaux ont suscité dès la fin du XIXe siècle l’engouement du public, au point que le Mzab symbolise désormais à lui seul l’architecture des ibadites nord-africains. Il existe pourtant sur l’île de Djerba un autre témoignage de l’architecture ibadite médiévale. Ce riche patrimoine, injustement méconnu, est d’autant plus intéressant qu’il est extrêmement ancien.

La population de Djerba, conquise par les Arabes vers 668, s’est convertie à l’ibadisme dès le VIIIe siècle, en adoptant tout d’abord les dissidences khalafite et nukkarite. L’ibadisme wahbite, la doctrine orthodoxe fidèle aux imams de Tahert, s’y est imposé au Xe siècle sous l’autorité du savant Abû Miswar, qui a totalement éradiqué le khalafisme. Ces ibadites wahbites, dont le nom provient sans doute de celui du second imam rustumide ‘Abd al-Wahhâb, n’ont strictement aucun lien avec les wahhabites, adeptes d’un courant religieux né au XVIIIe siècle dans la péninsule arabique. Les nukkarites, repoussés dans la partie orientale de l’île, ont côtoyé les wahbites pendant de longs siècles. Ce n’est qu’à partir du XVIIIe siècle qu’une partie de la population, désormais majoritairement wahbite, a été progressivement conquise par le sunnisme malikite venu du continent. De nombreuses mosquées manifestement très anciennes témoignent encore de l’époque où Djerba était entièrement peuplée d’ibadites.

La date précise de leur construction est rarement connue. On peut parfois les rattacher à un siècle grâce à tel ou tel prestigieux savant qui y a enseigné, mais souvent l’époque de fondation du lieu de culte s’est complètement effacée de la mémoire des gens et aucun document ne peut la leur rappeler. Les écrits des savants ibadites font très rarement allusion aux mosquées. Nous conservons cependant une liste des vingt principales madrasas de Djerba, dressée à la fin du XVIIe siècle pour l’imam ibadite d’Oman; à la même époque, l’ouvrage du chroniqueur djerbien Sulaymân al-Hîlâtî donne plusieurs indications sur les lieux de culte. Certains sont très anciens, comme la jâmi‘ al-kabîr (ou grande mosquée d’Abû Miswar) et la mosquée côtière de Sîdî Yâtî, qui datent assurément du Xe siècle. La comparaison, entre les édifices religieux les plus anciens et d’autres bien plus récents montre que leur style a très peu varié au cours des siècles. Si l’étude stylistique ne peut en aucune façon contribuer à dater l’un ou l’autre édifice, cette façon de bâtir inchangée permet de supposer que les bâtiments médiévaux encore visibles à Djerba sont certainement très proches des premières constructions entreprises par les ibadites.

Les mosquées djerbiennes sont recouvertes, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, d’une épaisse couche de chaux. Elles se caractérisent par leur taille réduite, leur simplicité et leur sobriété. La plupart du temps, la salle de prière au plan carré se trouve au centre d’une cour impluvium dans laquelle une ou plusieurs citernes collectent l’eau de pluie. Plusieurs dépendances peuvent la compléter, selon l’importance et le rôle de la mosquée. L’annexe la plus fréquente est le local réservé aux ablutions, parfois alimenté par un puits d’eau saumâtre.

On trouve souvent un petit portique formé la plupart du temps de trois arcs, le riwâq, qui accueille la prière des fidèles en été. De petites pièces peuvent abriter les leçons des enseignants ou héberger les pèlerins, les voyageurs et les savants.

En effet, jadis, les personnalités religieuses de l’île avaient l’habitude de se déplacer de mosquée en mosquée afin de rencontrer le plus grand nombre possible de fidèles et de pouvoir leur dispenser leur savoir.

Nous avons choisi de présenter les mosquées en cinq catégories: les mosquées de campagne, disséminées sur toute la surface de l’île, les mosquées souterraines, les mosquées madrasas, et enfin les mosquées de guet côtières et les mosquées fortifiées qui sont utilisées dans le système défensif de l’île.

Virginie Prévost

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