Opinions - 17.05.2010

Compétence quand tu nous tiens !

Compétence ! Rarement un mot aura autant attiré l’attention et l’intérêt des initiés et du grand public. En effet, depuis que l’on a découvert, au milieu des années 1970(1), que la réussite scolaire et les bons scores obtenus aux tests d’intelligence et d’aptitude ne peuvent prédire, à eux seuls, une performance professionnelle, on s’est intéressés à la manière dont les connaissances acquises, les aptitudes et l’intelligence individuelle sont mis en œuvre dans le contexte du travail.

Ces découvertes ont fortement ébranlé la gestion traditionnelle des ressources humaines en favorisant une nouvelle logique basée non plus sur les postes de travail et les qualifications qu’ils exigent mais sur les individus et les compétences qu’ils détiennent.

Le secteur privé a ainsi, dès le milieu des années 1990, saisi les opportunités offertes par les modèles de gestion par les compétences en faisant appel à des chercheurs et des consultants qui ont contribué à l’essor des connaissances dans ce domaine aussi bien sur le plan théorique que sur le plan empirique. Le succès de ces modèles allié au développement du management public a permis à la gestion par les compétences d’investir également le champ des organisations publiques et ce dès le début des années 2000.

Mais si les pays du Nord ont intégré le concept compétence dans leur gestion des ressources humaines, aussi bien au niveau des organisations publiques que privées, les pays du Sud conservent encore une GRH assez traditionnelle où le personnel demeure géré à travers un classement dans des systèmes de hiérarchisation qui définissent les niveaux de salaires associés à chaque position ainsi que les conditions de passage d’un poste à un poste supérieur.

Néanmoins, là aussi de nombreux signes indiquent une demande pressante des organisations de ces pays à quitter la logique des postes et à intégrer celle des compétences. Si nous prenons le cas de la Tunisie, nous pouvons constater, depuis le milieu des années 2000, un intérêt croissant des responsables, publics et privés, pour le concept compétence.

Au niveau du discours d’abord : le mot travailleur se substitue de plus en plus à celui de compétence. Ainsi, dans leurs annonces de recrutement, les entreprises tunisiennes ne sont plus à la recherche de candidats mais de compétences, ce vocable étant surtout diffusé dans les entreprises liées aux TIC, telles que les centres d’appel. Le terme compétence s’est aussi particulièrement répandu avec l’augmentation du nombre d’entreprises occidentales présentes sur le sol tunisien (2744(2) en 2008).

En fait, le mot même compétence a une connotation internationale en Tunisie. Ainsi on ne parle plus de nos travailleurs à l’étranger mais des compétences tunisiennes à l’étranger, les Tunisiens travaillant en Amérique du Nord intitulent leur forum "Compétences tunisiennes en Amérique du Nord(3)". De même, l’A.T.C.T (Agence Tunisienne de la Coopération Technique), qui gère les candidats tunisiens à l’expatriation institutionnalisée, regroupe l’essentiel de ses activités sur un site web qu’elle a appelé "Tunisie Compétences". En parlant des Tunisiens qui parviennent à s’illustrer, particulièrement au niveau international, on parle là aussi de compétences(5). La carte Compétences et talents instituée par la France a également renforcé la signification internationale du terme compétence. Ce dernier est donc souvent rattaché à une distinction au niveau international qui est liée à la performance exceptionnelle de certains individus mais également à la collectivité, à la Nation toute entière. Ainsi, à l’occasion d’une consécration mondiale, un chef d’entreprise tunisien parle de sa fierté « que le monde reconnaisse la compétence tunisienne dans le domaine des TIC (6)», on parle également d’exporter la compétence tunisienne vers des pays moins développés(7). La Tunisie se définit aussi comme un centre de compétence régionale dans divers domaines techniques (la santé, l’électricité, les télécommunications, le contrôle non destructif, etc.).

Après le discours, la mise en œuvre. A ce niveau, c’est le secteur de l’éducation tunisien qui s’est le plus approprié le concept de la compétence à travers la mise en place de l’approche par compétence aussi bien au niveau de l’enseignement de base que de l’enseignement professionnel(8). Là encore, l’influence internationale est prégnante puisque le projet de mise en place et généralisation de l’approche par compétence dans le système de formation professionnelle a été appuyé en 2001 par l’ACDI (Agence Canadienne de Développement International).

Développement de l'approche compétence dans les entreprises tunisiennes

Au niveau des entreprises tunisiennes, l’engouement pour le concept compétence peut s’expliquer par des raisons générationnelles, économiques et commerciales.
Tout d’abord, une nouvelle génération de décideurs vient d’accéder aux commandes de ces entreprises. Une génération formée pour l’essentiel d’ingénieurs et de gestionnaires pétris aux méthodes occidentales de management auxquels ils ont été nourris durant des études souvent effectuées dans des universités européennes ou américaines renommées. Les recherches actuellement menées sur la succession dans les entreprises familiales tunisiennes illustrent les changements qui ont cours dans ces entreprises.

Par ailleurs, l’ouverture de l’économie tunisienne aux capitaux étrangers a drainé un flux de méthodes managériales inédites où le concept compétence a trouvé toute sa place. Cette ouverture s’est faite de plusieurs manières. Ainsi, les entreprises publiques tunisiennes qui ont été rachetées, totalement ou partiellement, par des multinationales ont dû adapter, notamment, leur gestion des ressources humaines, à l’approche par les compétences, largement diffusée au siège et dans les filiales des multinationales(9).

Les partenariats avec des entreprises internationales ont également favorisé le développement de l’approche par compétence dans les entreprises tunisiennes de même que le nomadisme professionnel qui caractérise de plus en plus la carrière des cadres tunisiens et l’accroissement du recours aux consultants externes.

Enfin, les grands groupes industriels tunisiens, créés dans les années 1970, ont atteint des tailles critiques qui ont entraîné un besoin, de la part des directions générales, de formalisation et d’objectivisation des pratiques de GRH avec des outils scientifiques validés aussi bien sur le plan théorique qu’empirique. Là encore, l’approche par les compétences, ayant fait ses preuves, apparaît comme un dispositif idéal pour une professionnalisation des pratiques de gestion des ressources humaines.

Mais la complexité de la mise en œuvre de la démarche compétence dans les entreprises laisse craindre un essoufflement de cet intérêt d’autant que plusieurs voix s’élèvent dans le monde pour se demander Faut-il brûler la gestion des compétences ?
Alors la compétence, une mode qui fera long feu ? L’avenir nous le dira !

Anissa BEN HASSINE

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(1)Voir notamment les travaux pionniers de Mc Clelland (1973).
(2)http://www.investintunisia.tn/
(3)http://www.africanmanager.com/articles/124589.html
(4)http://www.tunisie-competences.nat.tn/
(5)Consulter à ce propos l’article paru dans La Presse de Tunisie du 20 août 2009 intitulé « Inès Chouk, compétence tunisienne à l’étranger, le désir de constamment se surpasser ».
(6)http://www.tunisia-today.com/
(7)http://www.steg.com.tn/dwl/expert_04072008.pdf
(8)www.apc.edunet.tn
(9)Tel a été le cas de Tunisie Telecom dont 35% du capital a été racheté par la compagnie émiratie Tecom/DIG en 2006. L’une des premières décisions de la nouvelle direction générale aura été de débaucher le DRH d’une multinationale installée sur place afin de réformer sa gestion des ressources humaines.

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1 Commentaire
Les Commentaires
sadok driss - 12-07-2010 11:47

Les concepts tels que les compétences ne sont pas identiques dans tous les pays.C'est l'histoire du pays qui permet aux chercheurs de distinguer les spécificités de chaque culture à mettre en relief.On ne peut pas ne pas examiner le système éducatif dans son ensemble.On est censé interpréter les succès et ou échecs de tel ou tel système en spécifiant les objectifs à tracer,pour l'avenir,la politique à adopter en termes de planification,organisation et évaluation des acquis.Les indi- cateurs de performance sont à interpréter selon des critères rationnels, voire l'efficience et l'efficacité.Tirer des leçons du passé vécu des insti- tutions nationales et régionales devrait mieux inspirer les planificateurs en termes de réorientation des activités,en amont et en aval des entreprises impliquées.La comparaison entre les divers pays pourrait se faire avec précaution,alors que toute généralisation risque de fausser les procédures à adopter.On peut transférer des désigns et des matériaux,alors que ce transfer technologique n'est pas applicable pour les institutions,ainsi les anglo-phones parlent en termes d'Institution-buil ding,alors que le terme Mise à Niveau est destiné à traduire le concept de Up-Grading,considéré comme une des cinq catégories d'innovation avancées par Joseph Schumpeter éminent économiste du début du XXème Siècle.

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