Opinions - 13.01.2017

Fadhel Moussa - La Tunisie de l’«AN VII»: Existe t il un «calendrier révolutionnaire tunisien»?

La Tunisie de l’«AN VII»: Existe t il  un «calendrier révolutionnaire tunisien»?

Les Tunisiens se réfèrent désormais à un nouveau calendrier. Ils se situent, évaluent et apprécient la situation de notre pays par référence à la date du 14 janvier 2011. Cette date qui certifie le succès de la Révolution tunisienne et le bien fondé de ses objectifs authentifiés par la nouvelle Constitution. L’«AN I» est ainsi supposé. C’est un nouveau calendrier implicite qui est inconsciemment inauguré. Nous en entamons donc aujourd’hui L’«AN VII».

En réalité, nous réagissons comme d’autres, en comparaison avec certaines révolutions, notamment l’incontournable Révolution française. Il y aurait comme un «instinct révolutionnaire» partagé par les hommes et les femmes où qu’ils soient, qui les amène inconsciemment à remettre en cause l’ordre établi et même le rapport au temps, une fois un régime renversé. Il en a été ainsi pour les révolutionnaires français qui ont adopté un calendrier, qui ne soit plus lié à la monarchie ou au christianisme et qui remplace le calendrier grégorien. Naîtra alors le «calendrier révolutionnaire» dit aussi le «calendrier républicain». Il débutera le 1er vendémiaire «AN I» (22 septembre 1792), jour de la proclamation de la République. Ce jour là sera déclaré premier jour de l'«ère des Français», qui est aussi le jour anniversaire de l'adoption du premier article de la Constitution de 1789. Mais ce «calendrier révolutionnaire» a été délaissé en L’«AN XIV» soit en 1806.

Y aurait-il un «calendrier révolutionnaire tunisien»? Ce qui est certain c’est qu’il existe, bel et bien, dans beaucoup d’esprits et à juste titre. Il est lié aux objectifs d’une révolution qui a été voulue civile, démocratique et qui réclamait «la liberté et la dignité» sans référentiel identitaire. Essayons d’oublier de notre côté  le calendrier de l’hégire et le calendrier grégorien pour un temps. Cela servira à enterrer nos disputes sur les référentiels identitaires.

Il convient en premier lieu de relever que, chez nous, le nouveau calendrier débutera à une date vague ou flottante : le «17 décembre /14 janvier 2011», tel que cela a été authentifié dès les premières phrases du préambule de la Constitution du 27 janvier 2014. Il faut rappeler que c’était un compromis pour satisfaire les  «révolutionnaires» divisés sur la datation. Mais est-ce que cette imprécision est une particularité révolutionnaire tunisienne ? Pas tout à fait. L’invention du «calendrier révolutionnaire français» et sa nomenclature se sont faites sur la base d’un système, assez déroutant, dit décimal. En revanche, le fait d’avoir, chez nous, et de la sorte, fixé sa fin continuera à poser un problème. En effet, plusieurs sont ceux qui considèrent que la révolution est permanente, tant que les objectifs ne sont pas réalisés. C’est là où se situent  le cœur et la clé des défis que nous avons à relever. L’expérience montre que le prix est très élevé et les moyens sont limités. Mais nous nous attachons encore à croire que cette Révolution a ouvert une «nouvelle ère pour les tunisiens» comme cela est attesté par  la liberté qui a été en grande partie consacrée et garantie la dignité suivra nous y veillerons.

Nous allons entamer l’«An VII». Six ans sont passés. Malheureusement il y a aujourd’hui une atmosphère dominante  de défiance d’anxiété et d’appréhension. Une incertitude dans l’avenir. Pourtant beaucoup de choses positives ont été réalisées. La Tunisie est restée debout dans cette région arabe agitée et meurtrie par des guerres fratricides diligentées de l’extérieur. Elle a été gratifiée d’un prix Nobel de la paix. Elle a relevé le défi de sauver sa révolution mais doit s’atteler à  faire échouer toute tentative de contre- révolution. D’abord, celle des pseudos «fous de Dieu» et ceux qui n’ont pas encore compris ou admis le particularisme de ce pays par rapport à tous les autres de la région, dans ses rapports à l’identité et à la religion.

Ensuite, celle des revenants qui ne se sont pas recyclés et ceux qui ont été chassés pour avoir participé à la déliquescence de notre pays et dont le passé est peu glorieux. Et qu’on cesse de dire que la situation était meilleure avant la Révolution. En fait,  la réalité du pays était toute autre et la révolution a permis de faire jaillir la vraie Tunisie que plusieurs ne connaissent pas. La liberté d’expression, de la presse et toutes les autres ont permis de découvrir cette Tunisie profonde qui nous était cachée et nous apprendre tous les jours davantage.

Ce qui me semble nécessaire pour l’«AN VII», c’est tout simplement prouver que la réalisation des objectifs de la Révolution, transcrits dans la nouvelle Constitution, avec un plan méthodique est bien réelle. Ces objectifs sont nombreux j’en sélectionne quelques uns. Il s’agit de mon point de vue de:

  • la finalisation de la mise en place honnête des institutions judiciaires, aujourd’hui bloquée par des erreurs de jugement et un manque de clairvoyance  politique manifeste du pouvoir exécutif ;
  • le rétablissement de la démocratie représentative qui veut dire régler le problème du parti arrivé premier aux dernières élections législatives et rétablir sous une forme ou une autre la représentation que la majorité des électeurs a voulu pour que le régime politique prévu dans la Constitution soit respecté. C’est ce parti qui doit changer et non la Constitution;
  • l’activation de la démocratie participative en organisant les élections régionales et municipales d’une part,  et la mise en place de toutes les instances constitutionnelles indépendantes d’autre part;
  • l’internationalisation institutionnelle du dossier du terrorisme afin de desserrer l’étau sur la Tunisie, qui n’a jamais été à l’origine de cette «troisième guerre mondiale» où quatre grandes puissances s’activent contre un nébuleux pétendu état islamique de leur création dans une région qui n’est plus ni le Levant ni la Cyrénaïque. Il faut même penser à préparer un nouveau procès Nuremberg pour la fin de cette guerre contre les responsables de ces crimes contre l'Humanité; la Cour Pénale Internationale doit voir ses compétences réajustées et renforcées dans cette perspective.

Il reste un problème essentiel à régler: l’activation significative des droits économiques et sociaux, particulièrement aux  plus démunis, et le développement des régions défavorisées par des actions concrètes et visibles. Cette activation est de nature à éviter que l’«AN VII» ne devienne la dernière année du calendrier révolutionnaire tunisien, puisse Dieu nous en préserver. 

Fadhel Moussa
 

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