Opinions - 17.12.2016

Taoufik Habaieb: Deux Tunisie qui se regardent de travers

Taoufik Habaieb: Deux Tunisie qui se regardent de travers

Pièce par pièce, morceau par morceau, un monde essoufflé, désuet, s’effondre. Brexit en Grande-Bretagne, Brexit puissance dix aux États-Unis où Trump gagne la course à la Maison- Blanche. La poussée alarmante du populisme et la montée de la droite ultraconservatrice s’y ajoutent. Le séisme, interminable, frappe partout, intensément. Le ressentiment des laissés-pour-compte s’exprime violemment, condamne sans appel.

La planète tremble sur de multiples épicentres. Intoxiquée de carbone, craquelée sous le réchauffement et la désertification, noyée dans les larmes et le sang, et embrasée de feux nourris, elle n’arrive pas à s’en prémunir pour s’atteler à sa recomposition et à l’émergence d’un nouveau monde.

• Sur nos frontières immédiates, la Libye, menacée par une partition annoncée, est en dérive. Mossoul est confrontée à des lendemains incertains, après l’écrasement de Daech. Les combats de Raqqa sont loin de signifier la pacification de la Syrie...

• En face de nous, l’Europe a peur. Pour ses valeurs, sa démocratie, son identité, son économie et sa sécurité. En Italie, Matteo Renzi joue, en référendum, le tout pour le tout. En France, les deux François, Hollande et Fillon, affronteront Marine Le Pen. En Allemagne, Angela Merkel, usée par ses onze ans de pouvoir, sollicite un quatrième mandat. Bassin électoral non négligeable, le vote musulman est courtisé alors que le rapport aux musulmans, confus et problématique, n’est ni apaisé, ni résolu.

La Tunisie n’est pas à l’abri de ce qui se passe autour d’elle. En lien commun, le sentiment d’injustice, le désenchantement général et l’exacerbation des passions. Le plus grave est l’insouciance de la classe politique. La géopolitique environnante ne fait qu’attiser les antagonismes internes qui secouent fortement le pays.

A quoi carburent ceux qui détournent et manipulent d’innocents collégiens pour les faire monter à Tunis invectiver leur ministre?

A quoi phosphorent ceux qui parmi les plus nantis, entre avocats, médecins et autres professions libérales, se rebellent contre leur devoir fiscal?

De quelles valeurs sont nourris ceux qui brandissent, à la moindre négociation, la menace de la grève, voire de la grève générale?

Sous quel serment certains élus de la Nation inscrivent les propos vindicatifs, destructeurs et diffamatoires qu’ils osent tenir sous la coupole du Bardo et distiller pernicieusement ailleurs?

Qui gagne dans cet acharnement à compromettre une presse à peine affranchie dans une «médiagogie» haineuse et clivante?

Le corporatisme ne peut jamais faire bon ménage avec la démocratie. La rancune n’a jamais pansé les plaies du passé, ni ouvert les voies de l’avenir. Le pays ne sera plus conduit par les plus forts, les plus violents, les plus rusés. Mais les plus sages, ceux qui auront le mieux compris les défis qui se posent et apporté les solutions qui s’imposent.

Deux Tunisie s’affrontent aujourd’hui dans un bras de fer pathétique, déterminant. Les forces actives contre les forces réactives. La démocratie contre les démons de la dictature. La lueur de lendemains meilleurs contre les ténèbres d’un présent lugubre et incertain.

Celle où tout doit pourrir, se bloquer, se radicaliser, se fragmenter, et tomber en lambeaux pour se faire ramasser par les charognards à l’affût du butin.

Et celle où tout doit se rassembler, s’unir, se remettre sur pied rebondir, et  libérer les énergies.

Dans ce «cycle de l’absurde», le « Sisyphe heureux » imaginé par Camus serait tunisien. Les signaux positifs se multiplient. Tunis, la capitale, s’engage dans la bataille contre l’anarchie et les déchets. Les forces sécuritaires retrouvent leurs ressorts : leur palmarès, depuis un an, est rassurant. La conférence sur l’investissement, rattrapée de justesse, remet la Tunisie sur la carte de l’investissement dans la région.

Entre ces deux Tunisie qui s’affrontent, le grand impératif est de recréer des liens cruciaux. Des liens d’acceptation de l’autre, de compréhension, de solidarité, de répartition équitable des richesses et de concentration sur l’édification de l’avenir. C’est la lourde mission de la classe politique.

Mais, en est-elle consciente ? En est-elle capable?

Taoufik Habaieb



 

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