News - 06.11.2016

Histoire de La Mecque . De la naissance d’Abraham au XXIème siècle

Histoire de La Mecque

Histoire de La Mecque. De la naissance d’Abraham au XXIème siècle (Payot, Paris, 2015) est un livre exceptionnel à plus d’un titre : par sa rigueur scientifique adossée à un imposant appareil bibliographique,  une chronologie et un index,  par la fiabilité de ses sources,  par l’originalité de ses apports et de ses révélations ainsi que par la fraîcheur de style qui captive le lecteur…que l’on gratifie en outre d’une belle et bonne dose de drôlerie, d’humour grinçant et décapant….very british, assez étonnant avec un tel sujet!.

 

L’auteur est le Pakistanais Ziauddin Sardar que le quotidien britannique The Guardian considère comme «l’un des intellectuels musulmans les mieux connus aujourd’hui dans le monde». Il dirige le Centre de politique et de prospective de l’Université de Chicago, corédacteur en chef de la revue Critical Muslim et président de l’Institut musulman de Londres. Evoquant son enfance, Sardar affirme que La Mecque a été «le point fixe de son existence, une boussole morale qui fonctionne partout, au Pakistan comme à Londres». Elle est «aimant, but et idéal».

 

Sardar travailla durant cinq ans comme chercheur au Centre de recherche sur le hadj à Jeddah à l’université du roi Abdulaziz. Il étudia les problèmes logistiques que posait le pèlerinage afin d’y apporter des solutions mais s’intéressa aussi à l’histoire passée, présente et future de la Ville Sainte.  

Il révèle que les recommandations du Centre n’ont pas été suivies d’effet. Durant son séjour, il accomplit cinq fois les rites du hadj et, s’inspirant d’Ibn Battouta, en fit un à pied car «la vision du monde» du grand voyageur marocain «était un effet typique du hadj».  Au terme de son pèlerinage pédestre en décembre 1975, Sardar note que «les cars et les voitures de Mina dégagent chaque jour 80 tonnes de gaz d’échappement en période de pointe. La plupart des pèlerins passent plus de temps à tousser qu’à prier». Il dresse un tableau apocalyptique des difficultés du hadj : lenteur inouïe de la circulation, gaz d’échappement, bruit des sirènes, klaxons…

Tout au long de son histoire, La Mecque a eu de gros problèmes avec l’eau. Il y avait d’abord la question récurrente des inondations —à laquelle même le calife Omar essaya d’apporter une solution— puis celle de l’alimentation en eau de la ville. Des femmes, Zubayda, cousine de Haroun Errachid en 810, et la sœur du sultan Soliman Le Magnifique en 1557, dépensèrent beaucoup d’argent pour y remédier et étancher la soif des pèlerins.

Mais l’eau demeura le talon d’Achille de la ville et, en 1803, Ibn Saoud n’arrivera à y entrer qu’après avoir coupé deux mois d’affilée l’approvisionnement en eau douce depuis Arafat et quand l’eau saumâtre de Zemzem se révéla insuffisante pour couvrir les besoins des Mecquois assiégés.

Sacré et profane, le livre décrit sous ses deux angles La Mecque. Sardar est particulièrement clair sur le premier aspect: «Qui veut connaître l’histoire de la Ville sainte doit accepter tout ce qui s’y est réellement produit. Et il s’avère qu’une partie considérable de ce qui fait le passé de ce coin de planète est très éloigné de notre idéal ; car celle-ci n’a été épargnée par aucun des maux qui ont gangrené la civilisation musulmane à travers les siècles».

Il offre néanmoins un aperçu unique de la ville dans son aspect spirituel — passion, extase, attirance—, mais aussi il relate les innombrables drames, les sanglantes batailles, les assassinats et les guets-apens ignobles qui ont émaillé, tout au long de son histoire, la course pour la contrôler et pour y prendre le pouvoir. Il souligne la ligne de faille entre tradition et modernité qui la caractérise et s’étonne : «Comment expliquer que les visions du paradis introduisent toujours l’enfer dans les esprits ?» Il montre que la Kaaba des origines, au temps du paganisme et de Quraïch, vivait essentiellement des pèlerins.

La religion monothéiste prêchée par Mohammed était alors perçue par  sa tribu comme un danger mortel risquant d’assécher les retombées du pèlerinage, d’où les batailles de Badr, d’Uhud…. Le livre raconte la vie de Mohammed, l’autorité religieuse de ses descendants, les caravanes de chameaux et leurs précieux présents (kiswa d’Egypte, minbar en marbre de Turquie, sculpture en or de Chine et du Tibet) souvent pillés par les brigands, la riche cité commerçante, ses étudiants, ses visiteurs occidentaux fascinés, ses femmes fardées, ses esclaves.

Enfin, il nous rappelle que suite à la rébellion des Mecquois en 683, le calife Yazid Ier, fils de Mouawiya, n’hésita pas à incendier le toit de la Kaaba et brisa même la Pierre noire en trois morceaux. Sardar souligne que La Mecque n’a jamais été «un élément central de l’histoire de la civilisation musulmane» contrairement à ce que croient la plupart des musulmans. Elle a été supplantée par Médine puis Damas, Bagdad….

Il donne des renseignements précis sur l’émergence du wahhabisme, il décrit minutieusement — en sa qualité de témoin oculaire — les tenants et les aboutissants de l’attaque de la Grande Mosquée de 1979 occupée deux semaines entières par les insurgés et finalement libérée par le capitaine Paul Barril. Il n’est pas tendre pour le pouvoir en place et ses responsables religieux.  La ville, écrit-il, subit aujourd’hui «une vaste mutation, prise dans les rapides de l’Histoire». On veut en faire un «Houston» ou un «Las Vegas» au plan architectural, écrit l’auteur, qui regrette la démolition des sites historiques (maison de Khédija, du Prophète…) ainsi que celle de pans entiers de la ville traditionnelle. Sardar relève que «le Clock Tower» (Tour de l’Horloge) éclipse la Kaaba, à peine visible dans son ombre» et affirme que les deux qualités propres de la Ville sainte, «la beauté» et «l’intemporalité» disparaissent sous l’effet de «la planification moderne.

De grands bâtiments laids devaient fleurir dans une jungle de béton nourrie au fertilisant de l’avidité.» Il fustige «une modernité laide et omniprésente» d’une ville que révèrent tous les musulmans. Déçu, Ziauddin Sardar a quitté les Lieux Saints en 1979 mais il demeure attaché à «cette paix intemporelle propre à La Mecque…

qui est plus qu’un lieu géographique: c’est un état de conscience». Il nous aura cependant fourni un ouvrage essentiel qui se lit d’une traite et ouvre et les yeux et le cœur. A lire toute affaire cessante!

Mohamed Larbi Bouguerra

 

Vous aimez cet article ? partagez-le avec vos amis ! Abonnez-vous
commenter cet article
0 Commentaires
X

Fly-out sidebar

This is an optional, fully widgetized sidebar. Show your latest posts, comments, etc. As is the rest of the menu, the sidebar too is fully color customizable.