News - 31.03.2016

La Tunisie ce malade qui s’obstine à refuser les soins

La Tunisie ce malade qui s’obstine à refuser les soins

Après une période d’euphorie dans les jours et les semaines qui ont suivi le 14 janvier 2011, la Tunisie n’a pas cessé de souffrir, de verser des larmes, de déplorer des martyrs surtout parmi ses forces de l‘ordre et ses soldats. Les indicateurs économiques sont au rouge, le pouvoir d’achat des couches moyennes et des couches pauvres s’est détérioré et le chômage a augmenté.
Quelles sont les raisons de cette descente aux enfers. Est-ce une crise d’autorité ? Une crise de confiance ? Un interventionnisme étranger ? L’absence d’une élite politique capable de prendre le flambeau ? Ou bien c’est la réunion de tous ces facteurs ?
La Tunisie est devenu un grand malade eton a l’impression que tout le monde agit en spectateur aussi bien les autorités que la population, pourtant les compétences ne manquent pas.

La descente aux enfers

La maladie est complexe, plusieurs facteurs ont contribué à aggraver la situation:

1) Les partis politiques et d’une manière générale les hommes politiques tunisiens sont la cause essentielle de cette situation. L’ancien régime a tout fait pour éliminer toute opposition valable, seule l’opposition islamiste a pu échapper à cette purge puisqu’elle a pu continuer, dans la clandestinité, son implantation dans tout le pays malgré la répression. Seul parti bien structuré et largement présent aussi bien en ville que dans les zones rurales, il a profité du vent de liberté apporté par la révolution pour gagner les premières élections libres, celle de 2011. Une fois au pouvoir son premier souci a été d’essayer de transformer la société tunisienne en une société moyenâgeuse qui rétablie la charia tout en reniantcertains acquis de l’indépendance particulièrement ceux de la femme tunisienne qui lui ont été accordé par le code du statut personnel. L’opposition qu’elle a suscitée, venue des intellectuels, de toute la société civile et des partis laïques représentés au parlement a empêché les islamistes d’arriver à leur fin.
Leur deuxième souci a été d’inonder l’administration tunisienne déjà pléthorique par des recrutements sans aucune compétence qui ont alourdi et affaibli cette administration, ils ont aussi accordé des indemnisations à leurs militants malgré une situation économique et financière difficile. Ces deux mesures ont eu un impact négatif sur l’économie et les équilibres financiers du pays. Mais ces apprentis dirigeants ne se sont pas contenté de ces mesures qui ont contribué à détruire l’économie tunisienne, ils ont eu une politique laxiste vis-à-vis des extrémistes religieux qu’ils considéraient comme faisant partie de leur base électorale. Ils ont ainsi favorisé la multiplication des cellules terroristes dans le pays qui ont eu le champ libre pour introduire des armes de guerre , ils ont  encouragé et facilité le recrutement de djihadistes partis en Syrie et en Libye constituant une vraie menace pour la sécurité du pays .Ils ne se sont rendus compte que tardivement que ces terroristes pouvaient les déborder et constituer une menace pour eux aussi. Les assassinats politiques de l’année 2013, l’attaque de l’ambassade des états unis et la tournure des événements en Egypte ont constitué des éléments qui ont fait comprendre aux tunisiens le danger qui les guettait et qui a provoqué le mouvement de l’été 2013 dont la principale conséquence a été la chute du gouvernement islamiste.
Mais l’ancienne opposition à Ben Ali n’a pas su profiter des erreurs des islamistes, ils étaient en ordre dispersé, le combat des chefs a empêché toutes les tentatives de regroupement des partis dits sociaux-démocrates. cet aveuglement a fini par les balayer aux élections de 2014 au profit d’un nouveau parti qui a très rapidement conquis le cœur des tunisiens grâce à deux messages clairs, pas d’exclusion des anciens adhérents et dirigeants du parti de Ben Ali et une opposition à l’islam politique. Ces deux messages lui ont permis de gagner les élections parlementaires et présidentielles, malheureusement il a très rapidement oublié ses promesses électorales, il a aussi perdu son chef devenu président de la république ce qui a aiguisé les appétits de plusieurs dirigeants. Ainsi ce parti qui manque de cohésion, qui n’a pas de chef naturel ou désigné mais légitime et qui a trahi sa base a fini par se disloquer.
Les anciens destouriens n’ont pas été plus intelligents, ils ont créé plusieurs mouvements qui se réclament tous du mouvement de l’indépendance et de l’héritage de Bourguiba. Ils ont malheureusement oublié que le peuple est encore traumatisé par l’expérience de 23 ans de gouvernement de Ben Ali et que ce peuple refuse pour le moment ces partis dits destouriens même si pris individuellement plusieurs dirigeants de ces partis ont encore un rôle à jouer dans la Tunisie actuelle. Leur association à des indépendants ou à des anciens opposants à Ben Ali aurait été, sans doute, un choix plus judicieux.
Le front populaire de gauche qui regroupe des partis différents, allant des Trotskistes Léninistes aux nationalistes arabes, Baathistes et autres a décidé de rester durant toute cette période dans l’opposition et attendre son heure qui risque de ne jamais arriver. Cette attitude est préjudiciable au pays et au front. Le ni Nida ni les islamistes risque de nuire durablement à une démocratie fragile qui ne supporte pas pour le moment la notion d’opposition et de majorité. Mettre la main à la pâte est sans aucun doute plus difficile mais beaucoup plus utile que jouer à l’éternel opposant. Il aurait fallu suivre l’exemple de plusieurs partis de gauche ou de partis communistes qui ont participé à des gouvernements de salut public lorsque la situation de leurs pays l’exigeait.

2) Les syndicats aussi bien des ouvriers que des patrons qui ont peut être joué un rôle pour éviter à la Tunisie une guerre civile en 2013, rôle qui a justifié le prix Nobel de la paix, ont fait rater à la Tunisie une transition démocratique mieux réussie. Les patrons n’ont jamais adhéré à la révolution. Eux qui ont largement profité des faveurs de l’ancien régime auraient dû tourner cette page, écouter et répondre aux attentes des couches et des régions défavorisées en continuant à investir même si ces investissements seraient probablement moins rentables mais auraient eu le mérite de donner plus d’optimisme et de diminuer les grandes tensions sociales. Ils ont malheureusement arrêté toute nouvelle initiative aggravant ainsi la situation économique du pays.
Le syndicat ouvrier, lui aussi, a fait une lecture totalement fausse des raisons qui ont été à l’origine de la révolte des jeunes. Le chômage était en réalité la grande plaie du pays, au lieu d’aider à résoudre ce problème ils ont profité de la faiblesse de l’Etat pour assoir une dictature ouvrière qui a détruit un grand nombre de postes d’emploi, a entrainé le départ de plusieurs entreprises étrangères et la fermeture d’entreprises locales. Ils ont aussi été à l’origine d’une surenchère dans le secteur public qui a aggravé les déficits des comptes publics, réduit le budget d’investissement de l’état à des niveaux très bas et obligé les gouvernements successifs à recourir à l’emprunt extérieur augmentant ainsi la dette publique. Cette attitude a justifié en partie l’absence d’investissement privé et a privé l’état de son rôle de locomotive à l’investissement.

3) les gouvernements successifs n’ont pas été à la hauteur des attentes des citoyens. Les gouvernements de 2011 souffraient d’un problème de légitimité en particulier électorale n’ont pas pu rétablir le prestige de l’état, ils ont aussi manqué de temps, même si le gouvernement de BCS peut se targuer d’avoir accompli son principal défi à savoir l’organisation des premières élections libres en Tunisie, mais a raté plusieurs occasions pour limiter les dégâts de la période de transition. Les erreurs des gouvernements de la Troïka ont déjà été soulignées. Le gouvernement de transition qui a dirigé le pays en 2014 a manqué de courage, il n’a fait qu’assurer la continuité de l’état , il a organisé avec succès les élections de 2014 mais n’a pas osé s’attaquer aux méfaits des gouvernements précédentsen particulier revoir les nominations surtout dans les domaines de la sécurité même si on peut lui accorder quelques réussites dans le domaine de la lutte contre le terrorisme. Le gouvernement issu des élections de 2014, qui aurait pu utiliser sa légitimité électorale pour s’attaquer aux vraies réformes de l’état a déçu ses électeurs, il n’avait pas de programme électoral, a souffert du manque d’homogénéité de l’équipe gouvernementale, n’a pas su s’adresser à la population, a eu peur de dire la vérité sur la situation réelle du pays et n’a pas pu apporter les réponses que tous les tunisiens attendaient sur les assassinats politiques. L’alliance avec Ennahdha fait planer sur ce gouvernement beaucoup de suspicion de vouloir enterrer plusieurs dossiers qui pouvaient gêner des leaders islamistes. Plusieurs ministres de ce gouvernement ne sont pas à la hauteur des défis du moment et ont été incapables d’apporter le plus escompté.

4) L’administration tunisienne qui a refusé toute idée de réforme ou de modernisation, qui a tenu à garder privilèges et ses réflexes de tout bloquer et de tout contrôler. Consciente de son rôle au lendemain de la révolution qui a permis la continuité de l’état et a permis au pays de rester debout et arguant le fait que certains de ses cadres supérieurs sont menacés par la justice à cause de leur zèle excessif à collaborer avec l’ancien régime , l’administration tunisienne constitue aujourd’hui un frein à toute modernisation ou réforme. Elle a profité du manque d’expérience de certains ministres arrivés au pouvoir après 2011 pour devenir encore plus présente et plus influente pour continuer la politique suivie avant la révolution. Touchée par une corruption de plus en plus présente, elle n’a pas su faire le ménage et pointer du doigt ces éléments corrompus, au contraire c’est l’esprit corporatiste qui a prévalu 

5) La nouvelle constitution considérée comme l’un des acquis de la révolution, voulant éviter les dérives du régime présidentiel source de la dictature, elle a choisi le régime semi parlementaire avec un exécutif à deux têtes qui a dilué les responsabilités et bloqué les réformes nécessaires à la modernisation du pays. Plus de deux ans après son adoption la majorité des institutions prévues par la constitution ne sont pas encore mises en place et aucune réforme n’est adoptée. Le régime parlementaire ne peut réussir que dans un pays qui a de longues traditions démocratiques et une certaine stabilité politique ce qui est loin de la situation qui prévaut actuellement en Tunisie.

6) La presse qui a profité du seul acquis de la révolution à savoir la liberté d’expression n’a pas encore trouvé l’équilibre entre la recherche de la vérité et la recherche du sensationnel parfois au détriment de l’intérêt national. Les plateaux de télévision devenues des arènes de combat entre politiciens a jeté un discrédit sur les partis et les hommes politiques. L’argent de provenance indéterminée devient un élément essentiel de la vie politique et détermine le choix des intervenants et des sujets à débattre allant jusqu’à faire l’apologie de l’ancien régime. Ce sujet était tabou dans les moisqui ont suivi la révolution il trouve aujourd’hui des journalistes qui le défendent sur certains plateaux de télévision, ce qui constitue une insulte aux vrais martyrs de la révolution que certains ne sont même pas prêts à reconnaitre. Certaines chaines ne sont pas loin d’être en connivence avec le terrorisme et certains invités refusent même de condamner les terroristes.

7) Les jeunes contraints au chômage par un système éducatif et un modèle de développement inadaptés et qui ont été désabusés par les promesses non tenues des politiciens , certains sont pas utilisés par les barons de la contrebande ou du terrorisme, d’autres sont tentés par le blocage des usines et des entreprises avec l’espoir de se faire embaucher dans la fonction publique ou dans des entreprises en sureffectif. Ils savent que devant la faiblesse de l’état et la complicité de certains politiciens et de certains syndicalistes ils pourraient obtenir gain de cause. Ces actions se répercutent négativement sur une économie déjà fragilisée.

Que faut-il faire

Il est important de faire comprendre à tous que l’unité nationale et la constitution d’un très large front pour lutter contre le terrorisme, l’insécurité la pauvreté et la précarité sont les seuls capables de sauver ce pays.
Malheureusement il ne semble pas que les protagonistes soient prêts à cette union.

Le parti qui a gagné les élections est parti en lambeaux du fait d’un combat de leadership et même l’initiative de certains pour essayer de recoller les morceaux est arrivée tardivement et a très peu de chances d’aboutir, chacun croit détenir la clé et pense que l’autre clan finira par lâcher prise et perdre un héritage qui n’a plus de toute manière la même valeur ni la même signification.

Les islamistes ne sont pas prêts à reconnaitre leurs erreurs , tiennent un double langage soufflant le chaud et le froid , les déclarations de ses leaders sont contradictoires , il  y a très peu de chances que ce parti abandonne ce qui lui a souri jusqu’ici à savoir un parti religieux faisant partie de la confrérie des frères musulmans avec ses relations internationales qui le lient aux pays du moyen orient. Ce manque de vision ou de courage fera qu’il restera toujours aux yeux d’une grande partie de la population une menace pour une Tunisie qui veut s’inscrire dans la modernité et l’indépendance vis-à-vis de l’étranger.

Le front populaire n’acceptera jamais de se mettre avec les islamistes autour d’une même table, il est vrai que tant que toute la lumière sur les assassinats politiques n’a pas été faite, ses dirigeants continueront à juste titre à accuser les islamistes d’avoir une certaine responsabilité au moins morale dans ces assassinats. Ce problème constituera un obstacle à toutes les tentatives d’unir les différentes forces politiques du pays. Il est vrai que certaines propositions du front peuvent apporter des solutions aux problèmes de la Tunisie d’aujourd’hui, d’autres malheureusement font penser que certaines composantes de ce front sont tout simplement en retard d’un siècle.

Les partis dits sociaux-démocrates et les partis destouriens se débattent dans des querelles stériles où ils seront tous perdants. S’ils continuent à se présenter en ordre dispersé et à ne pas privilégier l’union ils feront le bonheur des islamistes car une démocratie stable ne peut fonctionner qu’avec deux ou trois grands partis capables d’assurer l’alternance au pouvoir. Les combats des chefs ne feront que des perdants.
Pourrions-nous espérer une trêve sociale avec un syndicat ouvrier qui accepte de remettre à plus tard les revendications et en particulier les avantages pour les salariés et un patronat qui accepte de se tourner vers la création de nouveaux emplois pour résorber une partie du chômage ou bien c’est le dialogue des sourds va continuer entre ces deux organisations nationales ? Tout, porte à croire que la confiance ne règne plus entre eux et que les conflits ne sont pas prêts à se terminer surtout si on sait que certains partis politiques poussent plutôt vers une radicalisation de la centrale syndicale ou de certains mouvements sociaux.

La grande inconnue est sans aucun doute le gouvernement qui est accusée de lenteur lorsqu’il s’agit de mener les réformes,d’immobilisme pour lutter contre la corruption etde faiblesse vis-à-vis des partis qui la soutiennent particulièrement Ennahdha , qui constitue la seule force homogène et solidaire au parlement et qui suità la lettre les directives de son chef.

Les succès de l’armée et de la police dans la lutte contre le terrorisme et qui n’ont pas été suivis par un appareil judiciaire encore malade, infiltré et auquel très peu de tunisiens font confiance, ne peuvent pas cacher toutes les autres insuffisances de ce gouvernement. La corruption qui a été en partie à l’origine de la révolte est devenue beaucoup plus importante malgré un ministère et une instance de lutte contre la corruption. Les luttes contre l’évasion fiscale, contre la contrebande et contre le commerce parallèle ne progressent pas. De toute manière les lobbies sont beaucoup plus forts que l’état et s’opposeront à tout ce qui risque de freiner leur progression.

L’état qui devrait constituer la locomotive pour relancer les investissements est en grande difficulté et se trouve obligé d’emprunter pour payer les salaires. Seul un gouvernement fort, formé de vrais patriotes prêts, s’il le faut, à sacrifier leur avenir politique pour redresser l’économie et rétablir le prestige de l’état pourrait changer la donne. La Tunisie a besoin d’un Gerhard Schröder ou d’une Margaret Thatcher pour imposer les réformes nécessaires. Aucun gouvernement qui se respecte ne peut tolérer les actions de quelques dizaines voire même centaines de personnes qui peuvent se permettre de bloquer les sites de productions ou les usines privant toute l’économie tunisienne de richesses capables d’apporter une bouffée d’oxygène vitale pour le pays.

Les élites de ce pays ne doivent pas croiser les bras et regarder notre pays sombrer dans l’abîme, ils ont un rôle à jouer. La société civile doit bouger et faire entendre sa voix.

Conclusion

Faut-il attendre que ce grand malade arrive au coma profond pour lui imposer les traitements appropriés mais parfois très durs à supporter ? N’est-il pas préférable de commencer les traitements avant qu’il ne soit trop tard ?
Le malade a en effet besoin d’un traitement de choc où les médicaments à utiliser auront plusieurs effets secondaires qu’il faudra maîtriser. Il ne faut pas attendre les solutions qui seront imposés de l’étranger qui pourraient provoquer des troubles sociaux d’une gravité extrême dans ce climat d’insécurité. Les hommes politiques doivent avoir comme devise « il vaut mieux être simple citoyen dans un pays démocratique prospère où règnent l’égalité et la sécurité plutôt que d’être dirigeant dans un pays ruiné où règnent l’inégalité et le terrorisme ».

Slaheddine Sellami




 

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