Opinions - 20.01.2015

Le Patrimoine archéologique tunisien, honoré à Toulouse

Petite par sa superficie, la Tunisie est, de l’avis des connaisseurs, bien singulière par son histoire qui s’est déroulée, des millénaires durant, dans les régions très diversifiées d’un pays servi par sa position géographique remarquable. De la nuit des temps à nos jours, la vraie fortune de la grande petite nation qui a peuplé ces contrées réside, plutôt que dans les ressources naturelles, dans le savoir-faire de ses femmes et ses hommes en tout domaine. A cette valeur intrinsèque, les Tunisiens ont souvent su ajouter la richesse qu’apporte l’amitié des proches avec lesquels ils partagent tout ce qui universel.

Une brillante conférence accompagne une exposition exceptionnelle

Ces fondamentaux viennent de connaître une illustration éclatante à Toulouse, la très dynamique cité du Sud-ouest français grâce à la très belle conférence intitulée ’’Les peintures romaines de Tunisie’’ qui y a été donnée le 15 courant, dans la prestigieuse salle du Sénéchal, située au cœur du centre médiéval de la ville. L’éloquente oratrice, qui s’est adressé à un auditoire nombreux et intéressé, n’était autre qu’Alix Barbet, Directrice de recherches honoraire du Centre National de Recherches Scientifiques (CNRS) français, spécialiste de renommée mondiale de la peinture murale d’époque romaine, appelée aussi ’’art de la fresque’’. Outre ses innombrables travaux scientifiques et missions d’experte internationale, Alix Barbet est connue pour être la fondatrice, en 1974, du Centre d’Etudes des Peintures Murales Romaines (CEPMR) installé à l’Ecole normale Supérieure de Paris et à Soissons, et de l’Association française pour la peinture murale antique (AFPMA), en 1979, ainsi que d’une base de données sur les décors antiques (Base Décors Antiques), hébergée sur le site du Laboratoire de recherche ’’Archéologie et Philologie d’Orient et d’Occident’’ (AOROC), l’un des plus grands laboratoires d’archéologie et d’études anciennes de France et du monde, qui regroupe des centaines de chercheurs du CNRS et de l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm.

Cette manifestation a été organisée en marge d’une superbe exposition temporaire hébergée, du 15 novembre 2014 au 22 mars 2015 par le musée ’’ Saint Raymond, Musée des Antiques de Toulouse’’ (MSR) et ayant pour titre ’’L’empire de la couleur. De Pompéi au sud des Gaules’’. L’exposition, préparée par une belle équipe dont faisait partie Alix Barbet,   confronte des parois peintes provenant du sud des Gaules (provinces romaines d’Aquitaine et de Narbonnaise) aux créations italiennes considérées comme des modèles du genre et qui font partie des collections du Musée du Louvre et du Musée archéologique de Naples.

Munie d’un savoir immense, Alix Barbet n’a pas seulement présenté, dans sa conférence, les peintures romaines de Tunisie pour elles-mêmes. Elle a aussi fait ressortir les liens existant entre ces peintures et les œuvres présentées dans l’exposition de Toulouse ainsi qu’avec les thèmes figurant dans des pavements de mosaïques exposés dans divers musées tunisiens. 

Soucieux de pédagogie, les organisateurs de l’exposition font commencer la visite par des vitrines consacrées aux produits tinctoriaux utilisés par les peintres anciens, des tableaux qui définissent les différents styles de la peinture murale romaine et une fresque à la romaine, produite par deux fresquistes contemporaines sollicitées à l’occasion de l’exposition. Ce travail, qui a été réalisé selon les techniques antiques de l’enduit, a fait l’objet d’un film documentaire qui passe, en boucle, sur un écran. La ’’Boutique’’ du Musée regorge de documents destinés à différents publics (catalogue de l’exposition, ouvrages généraux sur la peinture romaine, publications destinées au public scolaire…) et de produits dérivés (petites boîtes-souvenirs, magnets en marbre italien, portant une reproduction d’une fresque de Pompéi…).

C’est dans le cadre des activités de l’Université du Temps Libre de la ’’ville rose’’ qu’Alix Barbet a donné sa conférence du 15 janvier. Dédiée à la formation du grand public, cette annexe de l’Université de Toulouse-Jean Jaurès est l’un des multiples lieux toulousains où les acquis de la science sont présentés en dehors du cadre académique des établissements classiques, au grand bonheur d’une assistance motivée et qui ne cesse d’augmenter de jour en jour.

L’invitation de la conférencière avait été précédée, à Toulouse, par l’organisation du XXVIIème colloque de l’AFPMA qui s’était tenu le 21 et le 22 novembre 2014. Elle entrait, de ce fait, dans le cadre d’une grande activité spécifique qui accompagnait l’exposition du Musée Saint-Raymond. Ainsi, un musée archéologique municipal, consacré aux vestiges antiques de Toulouse et de sa région, organise une exposition temporaire qui devient un évènement muséal accaparant les couvertures des magazines spécialisées et qui est médiatisé, localement, de plus d’une manière, y compris le grand affichage urbain. L’occasion a été jugée, par une société savante, digne de justifier la tenue de ses assises annuelles dans le chef-lieu du département de la Haute-Garonne. Un relais très bienvenu a été assuré par une vraie Université populaire - et aucunement populiste - en invitant une grande spécialiste à parler de la peinture murale romaine de Tunisie.

Les coulisses de la conférence de Toulouse, consacrée à la Tunisie

En donnant sa conférence à Toulouse, Alix Barbet n’a pas improvisé. Elle a présenté au grand public le contenu de son livre paru,  au mois d’octobre 2013, sous le titre ’’ Peintures romaines de Tunisie’’. L’ouvrage fait état des résultats d’une enquête qui s’est étalée sur 35 ans. Il n’est que science sûre, servie par une très belle illustration. Alix Barbet y étudie, magistralement, des fragments tunisiens de peintures murales d’époque romaine, pour la plupart mal conservés et non moins mal présentés dans les musées de notre pays à commencer par l’illustre Musée national du Bardo. La connaissance de  cet art dont on sait, de plus en plus, notamment grâce aux découvertes faites, ces dernières années, dans les sites de Néapolis et d’Uthina,  qu’il a été pratiqué très largement, en Tunisie, au moins pendant cinq siècles, a été occultée par la fragilité de ses vestiges et la focalisation excessive sur la mosaïque, art décoratif majeur et envahissant de l’époque romaine.

Dans l’introduction de son ouvrage, Alix Barbet rend compte avec beaucoup de retenue, des restrictions qui lui ont été imposées, en Tunisie, pour mener une étude qui lui était particulièrement chère et pour laquelle elle se sentait pleinement qualifiée tout en étant complètement désintéressée. Elle dit aussi toute sa reconnaissance pour les universitaires tunisiens, de plus d’une génération, qui lui ont permis, depuis la fin de l’année 2011, en l’invitant à des rencontres scientifiques, de retrouver un pays et un patrimoine pour lesquels elle a toujours eu un attachement indéfectible.

Entre la publication de son ouvrage, qui date d’il y a près d’un an, et la récente conférence de Toulouse, la grande spécialiste a multiplié, les preuves de sa grande amitié pour la Tunisie. Elle l’a fait en revenant à Tunis, au mois de décembre 2013 pour participer à un colloque international organisé à l’initiative d’universitaires tunisiens et elle l’a refait, quelques mois plus tard, en aidant, de la manière la plus efficace, deux jeunes chercheurs tunisiens a effectuer un stage au CEPMR de Soissons, réputé mondialement, depuis 40 ans, pour les restaurations qu’il entreprend dans ses locaux et dans divers pays.

Par son livre de référence consacré à une composante méconnue du patrimoine archéologique antique de la Tunisie, comme par son soutien à la formation des Tunisiens à un vrai ’’métier du Patrimoine’’ et sa conférence de Toulouse, Alix Barbet fait montre de qualités universitaires insignes : la maîtrise du savoir,  l’opiniâtreté face aux petitesses et le souci de passer la main aux jeunes. En tout cela, la grande experte a bien mérité de la Tunisie. Mais cela étonne- t-il de la part de celle qui, par amour du travail bien fait, jusqu’au bout, a  publié, il y a dix ans, un ouvrage où elle explique les peintures murales d’époque romaine aux … enfants ?
Que de leçons de science, de modestie et d’abnégation pour certains décideurs tunisiens bien pensants!

Houcine Jaïdi
Maître de conférences à l’Université de Tunis

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1 Commentaire
Les Commentaires
Adnène - 24-01-2015 19:58

Je ne sais pas si cet intérêt pour la penture murale romaine se perpétuera en Tunisie. Enfin espérons.

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