News - 12.06.2014

Faut-il supprimer les 25% au Baccalauréat?

La question des 25%, qui a donné lieu à un grand débat sur les divers médias, est considérée presqu’unanimement par les observateurs comme une des raisons de la dégradation du niveau de l’enseignement supérieur en Tunisie(1)

Le Diagnostic

Tous les bacheliers ne réussissent pas grâce aux 25%. Mieux, plus de 12400 sur les 82748  bacheliers de l’année 2010 ont une moyenne au baccalauréat supérieure à la moyenne au lycée, la moyenne au bac est parfois de plus de six points supérieure à la moyenne au lycée et l’écart est pour plus de deux cent bacheliers supérieur à trois points. A l’autre bout, c'est-à-dire pour les bacheliers pour lesquels la moyenne au baccalauréat est très inférieure à celle du lycée, l’écart atteint parfois des sommets. Pour 24 bacheliers l’écart est supérieur à 10 points et pour plus de sept cent il est supérieur à 7 points.

Le tableau et le graphique ci-dessous donnent la distribution des bacheliers selon l’écart entre la moyenne du Lysée et celle du Baccalauréat.

Bacheliers 2010 selon l'écart entre la Moyenne au lycée et la moyenne à l'examen du Baccalauréat

 ECART

% DE CANDIDATS

NEGATIF

15

INFERIEUR A 1 POINT

19

ENTRE 1 ET 1,5 POINTS

14

ENTRE 1,5 et 2,5 POINTS

26

ENTRE 2,5 ET 3,5 POINTS

15

ENTRE 3,5 ET 5 POINTS

7

PLUS DE 5 POINTS

4

TOTAL

100%

Le calcul montre que l’écart moyen est de 1,6 points, ce qui veut dire que la moyenne du lycée est en moyenne supérieure de 1,6 points à la moyenne de l’examen du baccalauréat. Mais cet écart est très variable d’un type de Baccalauréat à un autre et surtout selon le niveau de l’élève, comme il ressort des deux tableaux ci-dessous.

Ecart moyen selon le type de Baccalauréat

Nature du Baccalauréat

Ecart Moyen

Nombre de candidats

MATHEMATIQUES

1,0

14738

SC.EXPERIMENTALES

1,1

9225

INFORMATIQUE

1,4

22910

TECHNIQUES

1,5

11029

ECONOMIE ET GESTION

1,8

17782

LETTRES

2,4

7064

Ensemble

1,6

82748

Ecart Moyen selon la moyenne de l'élève à l'examen du Baccalauréat

Moyenne au Baccalauréat

Ecart Moyen

Nombre

Inférieur à 9 points

3,4

15614

9 à 10

2,1

21995

10 à 12

1,2

26163

12 points et plus

0,3

18976

Ensemble

1,6

82748


 Il en ressort que l’écart touche de manière plus grande les bacheliers «Lettres» et surtout, qu’il est d’autant plus grand que la moyenne est faible. Il en ressort aussi que plus de 15600 candidats (au moins), soit environ le cinquième, n’auraient pas obtenu leur baccalauréat sans les 25%.

Un examen plus détaillé montre qu’il y a beaucoup de différences d’un lycée à un autre et surtout que cette différence est très grande entre lycées privés et lycées publics: alors que l’écart moyen est de 1,4 points pour un candidat d’un lycée public, cet écart monte en moyenne à 5,1 points pour un candidat provenant d’un lycée privé. Tout ceci laisse présumer que les moyennes sont «gonflées» afin de permettre de repêcher les candidats ayant le niveau le plus faible.

Les «Solutions»

L’étude à laquelle nous nous référons, qui ne préconisait pas la suppression des 25%, proposait quelques scénarios pour  aménager le système  afin d’en préserver les avantages tout en réduisant l’effet de la perversion dont il a fait l’objet. Je n’en citerai que les deux principales.

La première consisterait à homogénéiser les écarts entre les lycées en ramenant l’écart moyen à l’écart moyen «national». Les moyennes ainsi rectifiées, seraient utilisées dans le calcul des 25%.

La deuxième consisterait à plafonner pour tous les candidats à deux points l’écart entre la moyenne au lycée et celle du baccalauréat. A titre d’exemple, supposons un élève qui aurait une moyenne au lycée égale à 13,30 et une moyenne à l’examen du baccalauréat égale à 9,20. L’écart égal à 4,1 points (13,30-9,20) étant supérieur de 2,1 points au plafond (2 points) serait réduit à deux points, de manière que la moyenne  du lycée ainsi plafonnée à 12,20 (=13,30-2,1) serait utilisée pour le calcul de la moyenne finale au Bac. Cette moyenne serait alors égale à 9,95 (= ¾ 9,20 + ¼ 12,20) au lieu de 10,22 (= ¾ 9,20 + ¼ 13,30) actuellement.

Le Ministre avait à juste titre exprimé une préférence pour la deuxième solution. Il avait fait observer que la première solution pouvait induire une discrimination entre les élèves à l’intérieur d’un même lycée. Le lycée étant «ajusté» en fonction de sa moyenne comparée à la moyenne nationale, pourrait «pousser» certains élèves et en «freiner» d’autres afin de ne pas trop gonfler sa propre moyenne.

Les vrais problèmes?

1. Il est vrai qu’au fond de nous, nous avons gardé une vision très uniforme, très élitiste et très mythique du Baccalauréat. Cet examen est comparable à un mur d’une hauteur donnée et uniforme. Tous les candidats doivent –faute d’être éliminés- pouvoir sauter ce mur. Beaucoup de pays, dont les Etats Unis d’Amérique et la majorité des pays du Commonwealth, ont un système d’accès à l’enseignement supérieur très différent. Je dirai deux mots de celui que je connais assez bien, celui de la Namibie, commun à presque tous les pays de l’Afrique Australe et inspiré du système prévalant au Royaume Uni et dans les pays du Commonwealth.

A la fin du secondaire l’élève passe un examen national (Grade12 Exam).

Première originalité: il n’y a pas de dichotomie Succès-échec. L’élève choisit les matières qu’il veut passer, et il choisit même le «Niveau», auquel il veut passer («High» ou «Ordinary») selon ses capacités. Bien sûr, il est plus «rémunérateur» de choisir le niveau «High». En guise de résultats, chacun reçoit son relevé de notes et un total de points attaché, et n’a pas le droit de redoubler, ce qui a l’avantage de soulager les lycées d’effectifs supplémentaires. Ces résultats conditionnent bien sûr l’accès à tout l’enseignement post-secondaire puisque chaque université et chaque filière a ses exigences tant en niveau général (nombre de points) qu’au niveau den notes obtenues pour certaines matières comme l’anglais ou les mathématiques.

Deuxième originalité, et non des moindres: l’échec n’est jamais définitif. Si le candidat n’a pas le droit de redoubler, il a par contre le droit de repasser –en «candidat libre»- les matières de son choix autant de fois qu’il le veut et améliorer ses résultats. Et si l’élève n’a pas le droit de redoubler dans un lycée, le Gouvernement a mis en place une institution d’enseignement à distance destinée à encadrer et former ceux qui veulent recommencer: NAMCOL est le Namibia College of Open Learning. Le Grade 12 Exam (leur baccalauréat) n’est plus un couperet qui tombe une seule fois et conditionne de manière irréversible l’avenir. Si vous rêvez d’accéder à une formation, chance vous est toujours donnée –à force de travail et de conviction- de vous «accrocher» jusqu’au jour où vous serez capable de décrocher des résultats vous permettant d’y accéder. Bien sûr, peu de candidats passeront leur vie à essayer, mais c’est très important de ne jamais tuer l’espoir.

L’un des vrais problèmes réside dans l’uniformité et la rigidité de notre système éducatif. On prête à Albert Einstein la phrase suivante: «Tout le monde est un génie. Mais si on juge un poisson sur sa capacité à grimper à un arbre, il passera sa vie à croire qu’il est stupide.». Il est en chacun des qualités qu’il faut savoir exploiter. On avait inventé pour les besoins des «Programmes électoraux» de Ben Ali un slogan intéressant: «Une école pour tous, une voie pour chacun». La lettre de ce slogan tout en reconnaissant le droit de tous à l’éducation, soulignait la diversité des apprenants et la  nécessité d’adapter le système à cette diversité. Il ne peut y avoir d’école pour tous sans la reconnaissance de cette diversité. Les autorités de l’éducation avaient sans doute commencé à réfléchir une réforme importante du secondaire et du baccalauréat dans le sens de la diversification et l’octroi d’une grande flexibilité dans les mécanismes d’accès à, et de progression dans, le système éducatif. Mais l’un des grands problèmes de tout pouvoir politiquement usé  et devenu illégitime est sans doute son incapacité de réformer. La révolution pourra-t-elle enfanter un pouvoir capable de le faire?

2. L’introduction par les autorités de l’éducation des 25% était sans doute dictée en partie par des considérations purement «politiciennes». Pour l’illustrer, je reprendrai la phrase d’un de mes amis: «Le pouvoir en place n’ayant plus rien à offrir aux jeunes, leur distribue des baccalauréats». Le choix permettait de transférer à « plus tard», le problème de chômage des jeunes.

Mais cette mesure ne manque pas d’avoir en partie aussi une certaine rationalité.

Sur le plan purement pédagogique, «Compter les 25% de l’année a pour objectif de valoriser le travail continu et éviter les aléas d’un examen qui évaluerait en quelques jours l’effort de l’année. C’est donc une mesure à portée pédagogique puisqu’elle encourage au travail régulier et un souci d’équité qui rectifie l’injustice que peut constituer une évaluation unique en fin d’année. D’ailleurs, c’est pour ces raisons que le comptage des notes de contrôle continu dans les examens finaux s’est de plus en plus répandu dans les établissements universitaires. Le non-dit de cette mesure est que cette note de contrôle continu serait gonflée et constituerait un cadeau que feraient les professeurs du secondaire à leurs poulains. Si cela est vérifié, il faudrait envisager d’autres solutions pour s’attaquer aux racines du problème, et sensibiliser la hiérarchie scolaire à cette dérive et redonner aux 25% de contrôle continu leur fonction pédagogique initiale, et ne pas procéder à une coupe dans la note comme on le ferait dans un budget trop lourd.»

3. L’introduction des 25% a aussi le « mérite » d’ouvrir les portes de l’enseignement postsecondaire à un plus grand nombre de jeunes. Est-elle de là responsable de la dégradation de la qualité de notre formation dans nos établissements d’enseignement supérieur ? Les observateurs avertis vous diront que cela est nécessaire. La Tunisie n’a pas dans l’absolu un enseignement postsecondaire hypertrophié. La Tunisie a sans doute un taux d’inscription dans l’enseignement supérieur devenu respectable, puisque environ 40% des jeunes entre 19 et 24 ans (c'est-à-dire en âge d’être dans l’enseignement supérieur selon les normes d’usage) sont dans les universités. Mais ce taux reste bien en deçà de celui des pays développés dont, pour certains d’entre eux, ce taux dépasse les 80%. Le problème est  que l’introduction des 25% a engendré une croissance brusque des effectifs à laquelle le système n’a pas été préparé. Cela a eu sans aucun doute un impact négatif sur la qualité. Mais la question de la dégradation réelle de la qualité de la formation de notre enseignement supérieur dépasse de loin la question des 25% au baccalauréat, devenue un abcès de fixation et symbole de notre impuissance à affronter les vrais problèmes. Ces problèmes sont multiples et complexes et nous aurons l’occasion d’y revenir. Dans tous les cas, ils trouvent aussi leur origine dans les cycles primaire et secondaire. Ce qui est sûr, c’est que nous ne faisons pas accéder trop de jeunes à l’enseignement supérieur, mais que nous avons un enseignement supérieur non adapté au flux entrant et par là à notre environnement économique et social.

En Conclusion

Ceux qui veulent supprimer les 25% ressemblent à quelqu’un qui veut poser un barrage sur un cours d’eau pour empêcher l’eau de couler parce que l’eau n’est pas de bonne qualité. Mais a-t-on pensé un moment que faire de cette eau stockée, car le barrage finira un jour par céder. A-t-on pensé vers quelles autres directions détourner cette eau qu’on ne pourra jamais empêcher de couler. Ou mieux encore, a-t-on pensé à ce qu’il faut faire pour améliorer la qualité de l’eau et en faire profiter des terres qui en ont fortement besoin.

Les tableaux ci-dessous, qui donnent l’écart moyen entre la moyenne au lycée et la moyenne à l’examen du baccalauréat, doivent enfin en faire réfléchir plus d’un.

Ecart moyen selon le Gouvernorat

Région

Ecart Moyen (points)

Nombre

Gouvernorats du littoral

1,3

52241

Gouvernorats de l'intérieur

2,1

30507

Ensemble

1,6

82748


Ecart moyen selon l'Origine Sociale

Catégorie Socio-professionnelle

Ecart Moyen (points)

Nombre

Catégories modestes

2,1

22221

Catégories moyennes

1,7

27734

Catégories supérieures

1,1

13218

CSP non déclarée

1,4

19575

Total

1,6

82748


Ils montrent que ces 25% «profitent»  surtout aux catégories sociales et aux régions les plus démunies. Au lieu de leur fermer le robinet, on doit s’atteler à promouvoir la qualité de l’éducation dont ils bénéficient. C’est à se demander pourquoi, la «rationalisation» de nos choix qu’ils soient sur le plan économique, social ou éducatif, doivent-ils toujours se faire aux dépens des catégories moyennes et démunies?

Bientôt les résultats du baccalauréat; regardez un peu autour de vous et vous aller observer que ceux qui célébreront le plus leur «réussite» sont ceux qui auront réussi à la limite et souvent grâce à ces 25%. Ce «bout de papier» leur donnera, l’espace de quelques jours ou quelques semaines,  l’illusion d’avoir brisé leurs chaines et d’avoir l’opportunité d’accéder au «Monde des autres».  La noble et dure tâche est de faire en sorte que ce ne soit plus une illusion, et que ce «bout de papier» soit un passeport pour l’émancipation et non plus –comme c’est le cas pour beaucoup- le début du calvaire. Et ça nous y reviendrons.

(*) M.H. Zaiem,
Professeur à ‘Université de Carthage,
est actuellement conseiller au Ministère de l’éducation,
chargé de la réforme du financement
de l’enseignement supérieur en Namibie.

(1)Ce papier reprend en partie une étude que nous avions réalisée au cours du dernier trimestre 2010 à la demande du Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique de l’époque.

Tags : ben ali   Tunisie  
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4 Commentaires
Les Commentaires
Abou Walid - 13-06-2014 09:52

Intéressante approche de l'état des lieux qui montre, si besoin est, qu'il ne faut pas prendre de mesures hâtives, au risque de soulever des vagues de contestations dont la Tunisie toute entière souffrira sans nul doute. Durant cinq décennies, la Tunisie a assis, à partir de presque rien, un enseignement qui couvre les trois ordres (primaire, secondaire et supérieur) et qui prend en charge, à la limite du bénévole, le tiers de la population tunisienne sans distinction de sexe, soit la tranche d'âge comprise entre cinq et vingt cinq ans, voire au-delà ; et cela est énorme! Car, construisant à partir de rien et avec les moyens peu reluisants du pays post-indépendance, on ne peut s'occuper valablement de tout à la fois, les infrastrucres appropriées, les équipements pédagogiques et scientifiques, les encadrements pédagogique et administratif, les législations spécifiques, les programmes, et j'en oublie, si bien que je pense qu'il ne faut pas insulter le passé mais le prendre comme une assise nécessaire sur laquelle il faut construire l'avenir en fonction de la nouvelle donne. Ainsi la sage sentence tunisienne qui énonce "Nos ancêtres ont planté, si bien que l'on a pu trouver quoi manger, et nous plantons pour que notre descendance trouve à manger" se trouve concrétisée et l'avenir non insulté!

Béchir Toukabri - 13-06-2014 12:55

Tout ce baratin pour nous prouver qu'il faut garder les 25%, c'est trop. Pourquoi ne pas donner le bac à toute personne qui le demande: les parents. Les jeunes....etc. On aura ainsi une jeunesse totalement ignorante mais qui a le bac? Ca fera plaisir à tout le monde.

el hani abdelhamid - 13-06-2014 22:48

il faut definir les objectifs de notre systeme d'enseignement dans son ensemble.l'objectif, au temps de bourguiba ,etait la formation d'enseigants,cadres et techniciens de toute sorte pour donner a notre pays les moyens humains du developpement.l'objectif fixe est largement atteint.mais notre systeme d'enseignement est reste le meme.resultat un surplus de diplomes qui ne trouvent pas d'emploi.actuellement nous devons reformer notre systeme d'enseignement de facon a ce que la mjorite des jeunes diplomes trouve un emploi.pour cela il nous faut absolument encourager l'enseignement professionnel a tous les niveaux,secondaire et superieur.l'enseignement superieur classique doit etre reserve a ceux qui le meritent rellement,sans aucun prejuge pour les autres.suivre l'enseignement professionnel n'est en aucun cas pejoratif.au contraire il faut encourager les jeunes a suivre un enseignement professionnel.c'est un vaste programme a entreprendre.

nouri Kamoun - 14-06-2014 11:17

J’invite l’auteur à méditer avec un peu plus de profondeur sur la réflexion qu’il cite lui- même et qu’il attribue à Albert Einstein, car à mon avis, sa conclusion est tout à fait à l’opposé de cette réflexion. En effet l’auteur affirme dans sa conclusion que la suppression des 25 % au Bac sera aux dépens des couches sociales les moins favorisées étant donné que ce sont les enfants de ces couches qui profitent principalement de cette mesure et n’a pas vu que, mettre un élève sur les bancs de l’université sans avoir le niveau minimum requis pour assimiler les cours qu’on lui dispose va justement le laisser croire qu’il est stupide , va lui faire perdre des années précieuses de sa vie , va tripler sa chance d’être en chômage et donc de rester dépendant de sa pauvre famille alors qu’avec un système éducatif pragmatique qui cherche l’efficacité et la performance , cet élève aurait été orienté à temps vers une formation professionnelle dans laquelle il aurait pu s’épanouir, réussir , parfois exceller, travailler , et donc aider sa famille modeste.

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