Opinions - 15.11.2012

Le FMI et les enjeux d'une économie en transition

Je vous souhaite la bienvenue à cette conférence sur les Perspectives économiques de la Tunisie, placée sous les auspices conjoints du Gouvernement tunisien et du FMI. Je tiens à exprimer toute ma reconnaissance à M. le Gouverneur Ayari et au gouvernement tunisien pour avoir contribué à l’organisation de cette réunion. J’ai le plus grand plaisir à me trouver ici à Tunis, berceau du réveil arabe.   

Avant que mes collègues n’exposent plus en détail les perspectives économiques de la région et de la Tunisie, permettez-moi d’évoquer les perspectives difficiles de la région et la manière dont, à mon sens, le FMI a pu et peut venir en aide à la Tunisie et aux autres pays arabes en transition pendant cette période de transition historique. 
 
Tout d’abord, je souhaiterais évoquer brièvement la situation de l’économie mondiale pour situer les changements à l’œuvre dans la région. 
 
Lors de leur Assemblée annuelle à Tokyo le mois dernier, le FMI et la Banque mondiale ont dressé un tableau de l’économie mondiale un peu plus sombre que quelques mois auparavant. Les perspectives se sont dégradées et les risques se sont accrus. D’après nos prévisions, la croissance mondiale progressera modérément cette année, à un taux de 3,3 %, et restera timide en 2013, à 3,6 %. 
 
La faiblesse de la croissance et l’incertitude régnant dans les pays avancés se répercutent sur les pays émergents et en développement par le biais des circuits commerciaux et financiers. Les deux principales sources d’incertitude sont, selon nous, le précipice budgétaire aux États-Unis et la crise de la zone euro. Dans les deux cas, les gouvernements s’emploient véritablement à surmonter ces difficultés. Ils doivent cependant agir sans tarder car si rien n’est fait les perspectives de croissance risquent de se dégrader considérablement. 
 
Pour ce qui est des perspectives de la région, il semble que la situation tourne au désavantage des pays arabes en transition : outre le ralentissement économique mondial et les incertitudes qui continuent de peser sur l’Europe, la hausse des prix des produits alimentaires et énergétiques et le conflit en Syrie risquent de miner les fragiles avancées de stabilisation économique enregistrées par la région ces dix-huit derniers mois. Des progrès ont été réalisés sur le plan des transitions politiques, mais de graves incertitudes subsistent, ce qui empêche le retour de la confiance et freine le redressement économique.
 
Le FMI s’attend pour 2013 à une reprise modérée de l’ensemble de la région – ce qui est encourageant, mais insuffisant pour faire baisser de manière décisive les taux de chômage élevés. Qui plus est, les marges de manœuvre budgétaire et extérieure sont réduites en raison des tensions survenues ces deux dernières années. Même en supposant que la région réussisse jusqu’à un certain point à ajuster sa politique économique, ses besoins de financement extérieur devraient se chiffrer, d’après nos projections, à 33 milliards de dollars EU l’an prochain, et ne pourront pas être entièrement comblés par le secteur privé. Il faudra donc un vaste soutien des partenaires bilatéraux, de la région et d’ailleurs, ainsi que des prêts des institutions financières internationales, dont le FMI. 
 
Mais nous nous trouvons, vous et nous, à un tournant historique. Ni les médiocres perspectives mondiales ni les enjeux internes complexes ne doivent entamer notre volonté de nous acquitter de cette mission historique afin de construire un avenir meilleur pour les peuples du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Les événements qui ont découlé d’un acte de protestation en décembre 2010 ont marqué en Tunisie le début d’une ère nouvelle, qui a eu des retentissements dans l’ensemble de la région. La volonté de changement n’est pas seulement d’ordre politique, elle a de profondes ramifications sur le plan économique. Le moment est venu d’engager les réformes propres à promouvoir une croissance plus forte et plus solidaire et à créer des emplois pour des millions de personnes. Pour ce faire, il faut que le secteur privé retrouve son dynamisme, investisse davantage et rehausse sa productivité. C’est là que se situe à notre avis l’enjeu fondamental pour la Tunisie, mais aussi pour les autres pays arabes en transition.
 
Pour qu’un secteur privé dynamique puisse alimenter une croissance énergique, durable et génératrice d’emplois, la région doit renforcer l’intégration commerciale, améliorer le fonctionnement des marchés du travail, adapter les systèmes éducatifs pour répondre aux besoins du secteur privé, créer des conditions équitables pour tous les investisseurs et un climat propice aux investissements et faciliter l’accès à la finance.
 
Il importe en outre de mettre en place un système efficace de protection sociale à l’intention des plus démunis, comme corollaire d’un secteur privé énergique et créateur d’emplois. S’écartant des subventions universelles dont tout le monde profite, mais qui privent l’État des fonds nécessaires pour investir dans sa population, les pays doivent mettre en place des systèmes de protection sociale sous forme de transferts monétaires et de subventions ciblées des prix pour venir en aide aux ménages dans le besoin. 
 
Bien sûr, tout cela est plus facile à dire qu’à faire. Le changement n’est pas exempt de problèmes, de difficultés. Les gouvernants ne savent que trop bien qu’il est difficile de trouver le juste équilibre entre la satisfaction des considérables attentes de leurs citoyens et les mesures nécessaires pour maîtriser les finances publiques et redéployer les ressources en faveur de l’investissement dans l’avenir.
 
Venons-en au rôle du FMI. Comme vous le savez, ni le développement du secteur privé ni les dispositifs de protection sociale ne font partie du champ d’action traditionnel du FMI. Nous considérons cependant qu’il s’agit là d’enjeux fondamentaux pour la transformation à l’œuvre en Tunisie et dans l’ensemble du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. En tout état de cause, ce que nous estimons pouvoir et devoir faire, est bien d’aider les pays de la région à rééquilibrer la politique macroéconomique et à renouer avec la stabilité. Ce sont là nos sphères de compétences primordiales. Les avancées dans ces domaines permettront de jeter solidement les bases de la transformation. Une fois la stabilité acquise, le secteur privé peut investir et produire avec une plus grande certitude et l’État disposer des ressources pour investir dans ses citoyens et protéger les populations pauvres.
 
Tandis que nous approfondissons nos relations avec la Tunisie et la région, nous sommes conscients de la nécessité de mieux expliquer le rôle du FMI et la manière dont nous travaillons de nos jours. Le FMI se transforme à mesure qu’il tire les leçons de l’expérience et s’adapte aux exigences d’une économie mondiale en évolution et aux besoins des populations de la région. L’expérience nous a enseigné que pour réussir, les programmes économiques doivent être conçus et pilotés — internalisés, comme nous avons l’habitude de dire — par les autorités nationales et bénéficier d’un large soutien populaire. Elle nous a aussi montré que les programmes économiques doivent être centrés plus explicitement sur des politiques garantissant que les fruits de la croissance économique sont largement partagés. Nous avons enfin appris à étendre nos consultations aux représentants de la société civile, des syndicats et des partis politiques de tous bords.  
 
Pour soutenir plus efficacement les pays arabes en transition, nous nous efforçons d’assimiler pleinement ces leçons. Nous proposons nos avis sur la manière d’amortir les chocs pour maintenir la stabilité économique, veiller à ce que les ménages vulnérables soient protégés durant la transition, et jeter les fondements d’une croissance génératrice d’emplois. Mais parlons franc : nous n’avons pas de solutions toutes prêtes aux nombreux problèmes auxquels sont confrontés les pays arabes en transition, et nous devons travailler avec beaucoup d’autres partenaires pour y faire face.
 
Dans certains pays de la région, la nature de notre travail a changé, passant d’une fonction principalement de conseil à un concours financier. Au cours de l’année écoulée, nous avons mobilisé un total de 8½ milliards de dollars EU en faveur de la Jordanie, du Maroc et du Yémen. Nous entrons par ailleurs dans la phase finale de discussions avec le gouvernement égyptien en vue d’élaborer un dispositif de soutien et nous étudions avec le Yémen la possibilité de mettre en place un accord dans le prolongement de l’aide d’urgence fournie l’an dernier. 
 
En Tunisie, les services du FMI entretiennent des contacts suivis avec les autorités sous la forme de visites périodiques (une mission est d’ailleurs en cours en ce moment), de missions d’assistance technique sur les questions financières et budgétaires et, en collaboration avec la Banque mondiale, de travaux d’actualisation de l’évaluation du secteur financier. Pour l’avenir, si le gouvernement en voit l’utilité, le FMI est prêt à apporter son concours financier pour répondre aux besoins immédiats et reconstituer les marges de manœuvre nécessaires afin de parer aux répercussions d’une dégradation de la conjoncture internationale. 
 
Permettez-moi pour conclure de vous livrer quelques réflexions à propos du rôle de la communauté internationale plus généralement. La tâche est d’une telle immensité que chacun doit faire plus. Il sera très important que l’Union européenne et les États-Unis ouvrent davantage leurs marchés aux produits et aux services des pays de la région souhaitant entreprendre les transformations fondamentales et adhérer pleinement à l’ouverture et à l’intégration. Dans le même ordre d’idées, les partenaires bilatéraux et régionaux, doivent accompagner et renforcer les investissements pouvant contribuer à relancer la croissance et montrer aux investisseurs privés les débouchés qui existent ici. La Banque européenne pour la reconstruction et le développement et d’autres institutions financières officielles disposent d’un précieux savoir-faire et des instruments financiers pour jouer un rôle pionnier et mobiliser l’investissement privé, comme ce fut le cas dans les pays d’Europe centrale et orientale. Ces investissements ne seront pas seulement bénéfiques pour les pays de la région, ils serviront aussi les intérêts économiques et sécuritaires de la communauté internationale.
 
L’avenir de la Tunisie, son cheminement et son destin sont entre vos mains. Mais au FMI nous sommes disposés à faire de notre mieux pour vous aider et pour encourager le reste de la communauté internationale à vous accompagner dans cet effort.
 
David Lipton, Premier Directeur Général Adjoint du FMI
 
Conférence prononcée à Tunis, mercredi 14 novembre 2012, au siege de la Banque Centrale de Tunisie 
 

 

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