Questions à ... - 15.11.2011

Questions à Kamel Jendoubi

Pourquoi avoir accepté de présider l’ISIE ?

L’idée d’une instance d’organisation des élections n’est pas nouvelle. En fait, le premier gouvernement de Ghannouchi prévoyait, en plus des trois autres commissions qui ont été mises en place, une instance qui allait s’occuper des élections. C’était à l’époque des élections présidentielles qui devaient avoir lieu dans un délai de 60 jours. Mais cette instance n’a pas vu le jour, puis le gouvernement a été renversé et la donne a changé. Lorsqu’on m’a proposé d’en faire partie, j’avais conscience de l’ampleur de la tâche et de la responsabilité ainsi que du fait que les élections risquaient d’être contestées tant la confiance entre le peuple et les instances qui gèrent le pays est rompue en Tunisie. Mais j’étais animé par la conviction que seules des élections libres et indépendantes pouvaient enclencher le processus de réconciliation entre les Tunisiens et la chose publique.
Le fait que je sois élu par la Haute Instance avec un score très élevé m’a aussi conforté dans ce rôle que je m’apprêtais à jouer. Et puis, l’indépendance de la nouvelle instance me paraissait être un gage important de crédibilité et de sérieux.

Quel a été le moment le plus difficile durant tout votre mandat à la tête de l’ISIE ?

Les débuts ont été les plus difficiles. On a dû ainsi attendre la parution du décret qui a signé la création de l’ISIE le 16 mai pour se réunir et constater l’impossibilité de réaliser ce pour quoi nous étions réunis, c’est-à-dire la tenue d’élections le 24 juillet. L’annonce de ce constat a plongé toutes les parties dans une sorte d’hystérie généralisée. La date du 24 juillet n’était pas négociable. Le report signifiait pour beaucoup le chaos, la fin de tout. Et puis l’indépendance a souvent rimé avec « débrouillez-vous » au cours de notre travail. L’ISIE manquait de tout et il a fallu tout construire en moins de six mois.

Comment avez-vous résisté à cette levée de boucliers concernant le report des élections de la Constituante ?

Quand on a une conviction intime, fondée en plus sur des éléments objectifs, il devient plus facile de convaincre, surtout que les enjeux étaient énormes. Et puis, peut-être que le fait que je venais d’arriver après 17 années d’absence m’a permis de cultiver une certaine distance et de garder davantage de lucidité que tous ceux qui ont vécu au plus près la révolution et qui étaient, à l’époque, dans une sorte de romantisme révolutionnaire, d’état second pour certains pour qui cette date du 24 juillet était devenue sacrée. Il y avait une sorte de terrorisme intellectuel pour ceux qui osaient discuter du report des élections et je trouve que c’est grave que des personnes en arrivent à perdre à ce point-là leur lucidité et à souhaiter, pour certains, la supervision directe des élections par les militaires.

Je peux comprendre que la crise de légitimité était telle en Tunisie que tout le monde était pressé de se retrouver avec des institutions démocratiquement élues mais je demeure convaincu que le risque que les élections tournent mal était bien plus élevé. Il n’y avait rien lorsque nous avons commencé à travailler, ni listes électorales, ni administration électorale ni moyens, ni structures régionales. Alors j’ai avancé les arguments, je me sentais seul mais je savais bien que même les 50 partis qui étaient pour la tenue des élections le 24 juillet seraient soulagés par ce report.

Quel est le meilleur souvenir que vous gardez de ces mois à la tête de l’ISIE ?

Un jour, nous étions en visite dans un bureau d’enregistrement à Hammam-Lif et j’ai vu une femme très âgée, revenant du marché, entrer avec une démarche difficile dans le bureau et demander à s’inscrire pour les élections. Elle dégageait une telle détermination, une telle volonté. Et puis elle avait apporté sa carte d’identité, a signé, a pris son reçu puis est repartie.

Quel est le moteur de vos actions?

Je suis fidèle à mes racines. Je suis né dans un milieu ouvrier et même lorsque je suis parti en France, j’ai toujours été très proche des quartiers pauvres et populaires et je suis toujours impressionné de voir comment des gens simples, qui ont si peu de moyens, se sacrifient pour que leurs enfants accèdent à l’instruction. J’ai beaucoup d’admiration pour ces femmes qui travaillent dur pour élever leurs enfants et dont la seule satisfaction, le seul espoir dans la vie est de voir leurs enfants réussir leur vie. Alors si je peux contribuer à ce que leur rêve soit réalité, je n’hésiterai jamais.

Après le 23 octobre, quel avenir pour vous ?

Je continue de me voir dans tout ce qui est contre-pouvoir. J’observe toujours avec inquiétude comment les gens se transforment sous l’effet du pouvoir, quel qu’il soit, politique, judiciaire, médiatique, etc. C’est pourquoi il est primordial pour un pays qui veut se développer de garantir des contre-pouvoirs, c’est la condition d’éclosion des initiatives et de la créativité.

A.B.H.

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1 Commentaire
Les Commentaires
Citoyen - 16-11-2011 21:45

Je crois que Kaddafi est décédé mais pas ses idées qui ont été adoptées par nos "politiciens de demain" puisqu'on passe au diktat des instances indépendantes autrement dit "allijane echaâbia" citez moi un seul pays au monde où des commissions qui ont une mission bien déterminée dans le temps sont devenues permanentes sauf chez nous, et dire que zaba ne voulait pas céder le pouvoir que dire de ces gens qui ne cèdent pas une commission .... sans parler de l'autre de la malversation et les saints qui la dirigent .... Pauvre Tunisie.

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