News - 05.04.2011

Caïd Essebsi a-t-il réussi son audition devant l'Instance Ben Achour au Bardo : Un avant goût d'un vrai parlementarisme

 « Monsieur le Premier Ministre, qui s’oppose réellement à la restauration de l’ordre et de la sécurité, bloquant les forces de l’ordre ? Quelle est la vérité sur la vérité sur les snipers ? Pourquoi tarde-t-on à arrêter et juger les symboles de l’ancien régime et les assassins des martyrs ? L’assassin de mon frère, filmé en direct et identifié court encore dans les rues. L’actuel ministre de l’Intérieur a servi sous Ben Ali et Abdallah Kallel. Le nouveau directeur de la Fondation Beit Al Hikma a flatté le président déchu et magnifié le respect des droits de l’Homme sous son règne… »

Plus encore : « Il y a un grand vide institutionnel, la date du 24 juillet est impérative. Les mosquées sont détournées de leur vocation. L’amnistie générale n’est pas encore effective et nous attendons l’indemnisation et la réhabilitation des victimes,  notamment celles qui ne font pas partie de la fonction publique  ainsi que la poursuite des tortionnaires ? »

Mais aussi : « Le déséquilibre régional est flagrant, qu’avez-vous fait pour le réduire ? Pourquoi ne pas ouvrir aux médias les délibérations de notre conseil ? Les médias sont encore sous-tutelle, censure et manipulation. Il y a un grand dérapage. La place des femmes dans les nominations est très réduite, il faudrait garantir la parité. Comment Berlusconi ose-t-il venir demander le rapatriement des émigrés clandestins ? On doit suspendre le règlement de la dette publique… » La salve des questions et commentaires ne s’arrête pas.

Dans la grande salle de la Chambre des Conseillers au Bardo, convertie en siège du conseil de l’Instance Ben Achour, le débat, ce mardi matin, avec le Premier Ministre, M. Béji Caïd Essebsi, est historique. On se croirait déjà après le 24 juillet. « Voilà ce qui peut préfigurer un vrai débat parlementaire pluriel, ouvert et transparent », affirme d’emblée, le président de l’Instance, le Pr Yadh Ben Achour, en ouvrant la séance. Tôt le matin, les membres du conseil se réunissaient par petits groupes dans les salles de commissions pour se répartir les rôles et peaufiner les interventions. Toutes les composantes, partis, personnalités, régions et représentants de la société civile, prendront parole. Le Pr Ben Achour a bien organisé le déroulement de la séance, en séquences successives, comportant chacune quatre à cinq interventions et invitant le Premier Ministre à y répondre, avant de redonner la parole à la salle. Par trois fois, M. Essebsi, montera à la tribune. « Avocat à l’origine, le plus ancien inscrit au Tableau de l’Ordre, depuis 1952, je suis habitué à plaider debout, même dans cette enceinte que je découvre pour la première fois» commencera-t-il par dire.

La première réponse sera réservée à la situation économique :
« inquiétante, alarmante. Nous devons créer au moins 60 000 emplois, dont 20 000 dans le secteur public, autant dans le privé et 20 000 autres  pour lesquels nous cherchons une issue. Mais comment voulez-vous que les entreprises recrutent alors que nombre d’entre-elles sont à genoux et d’autres bloquées par des grèves. Regardez ce qui s’est passé à Sfax et ailleurs. Les investisseurs étrangers risquent de plier bagages. Pas de reprise de travail, pas de relance. Mais, pas de sécurité et de paix sociale, pas de reprise.

Déséquilibre régional :
« C’est là où le bât blesse. Nous avons non pas des zones d’ombre, mais des zones d’oppression et d’injustice. Le nouveau budget de l’Etat qui sera restructuré d’ici fin mai, mettra fin à cette situation inique et inacceptable, en donnant la priorité et l’importance à ces régions. »

Sécurité : « Nous ne pouvons pas accepter que l’Etat soit pris au dépourvu et l’ordre déstabilisé. Il est vrai que 23 ans d’oppression suscitent une explosion générale compréhensible, mais cela ne saurait perdurer. La situation s’améliore, surtout ces derniers jours. Je suis profondément choqué d’entendre ce matin sur une radio, un habitant de Bab Jedid qui dit regretter l’ancien régime. J’en suis outré. Il y a des calculs, certains laissant faire, voire pousser, se plaisant à voir s’installer le chaos. Je vous regarde droit dans les yeux et vous dit que  nous ne l’accepterons pas et ferons tout pour faire régner la sécurité et restaurer l’autorité de l’Etat. »

Les symboles de l’ancien régime : « D’abord, nous devons nous mettre d’accord sur la définition. Tous ceux qui avaient servi l’Etat ne sauraient être confondus avec les caciques du pouvoir déchu. Les vrais symboles seront bien identifiés et jugés. Nul n’échappera à la justice. Je n’ai à ce sujet aucune entente, aucun engagement, avec quiconque. La justice devra s’exercer pour tous, en toute sérénité, loin des passions et des pressions. Les jours prochains vous le démontreront. Déjà, nous avons engagé l’expropriation des biens, mis en place une commission présidée par le Gouverneur de la Banque Centrale pour la restitution des avoirs et biens à l’étrangers et initié les démarches légales et officielles y afférentes. C’est notre devoir. Quant aux nominations décidées, je suis prêt à les reconsidérer au cas les faits reprochés étaient avérés. Vous savez, quand on exerce les charges de la Nation, vous et moi, nous devons faire preuve de discernement et nous élever au dessus des passions pour ne considérer que l’intérêt général et ne servir que l’intérêt suprême : la réussite de la révolution. Le collectif des 25 avocats qui ont déposé plaintes est le bienvenu. Mon bureau est ouvert et je suis disposé à les recevoir.»

Premiers applaudissements timides dans les rangs. Pour la première fois dans les débats de l’Instance, depuis sa création. L’atmosphère commence à se décrisper.

L’assassin qui court encore les rues : « Je m’en occupe ce jour-même. Il n’y a pas de raison, que l’enquête ne soit pas ouverte et que l’auteur ne soit pas déféré devant la justice, ou la justice militaire si celle-ci est l’appropriée. »

Amnistie générale, indemnisation et réhabilitation des victimes :
« Nous nous y employons et comptons y aller jusqu’au bout. Y compris la poursuite de tous les coupables. »

Ultime échéance du 24 juillet :
« C’est une date qui me paraît raisonnable et nous devons tout faire pour la respecter, sauf cas de force majeure. L’essentiel est de réussir des élections libres, indépendantes et transparentes. »

Dérapages médiatiques : « Il n’y a pas plus injustement critiqués et victimes de ces dérapages que le gouvernement et l’appareil de l’Etat. Je le déplore, même si je préfère une presse libre qui me prend personnellement à partie qu’une presse muselée et inféodée. Je ne cesse d’ailleurs à appeler à la responsabilisation des médias.

Parité : « Lorsque j’ai repris mes activités d’avocat, j’ai été agréablement surpris de voir trois femmes présidentes de cours d’appel. L’émancipation de la femme est notre fierté. Et je souhaite que la parité se réalise dans la Constituante qui sera adoptée. »

Mosquées : « Les lieux de culte doivent être réservés à la prière et préservés de l’activisme politique. »

Conservation des archives des ministères de l’Intérieur et du Domaine de l’Etat :
« Les dispositions sont prises. »

Audit des comptes de l’ATCE : « L’opération est engagée et nous voulons tous savoir comment ont été dilapidés les deniers publics et à qui ils ont profité. »

Transformer le siège de l’ex-RCD en Maison des Associations :
« Je n’y ai aucune réserve. Mais, il va falloir étudier la question. »

Suspension du règlement de la dette publique extérieure :
« C’est une question d’honneur et de crédibilité. Le non-paiement est beaucoup plus préjudiciable. La Tunisie a toujours honoré sa signature et nous y tenons. »

La visite de Berlusconi, le remplacement du personnel diplomatique tunisien à l’étranger et la révision de la politique étrangère : « Pour avoir servi aux Affaires Etrangères et en poste à l’étranger (Ambassadeur à Bonn et à Paris), je peux prétendre m’y connaître. La petite Tunisie a toujours occupé une place de choix dans le concert des Nations, sauf sous l’ancien régime. Avec Berlusconi, et nous ne l’avons pas encore annoncé à la presse, nous nous apprêtons à finaliser un bon accord pour une régularisation massive de la situation de plus de 22 000 émigrés clandestins qui avaient afflué, depuis le 14 janvier, sur Lampedusa. Vous savez, la politique étrangère n’est que le reflet de la situation intérieure. Nous devons alors commencer à la consolider chez-nous pour nous doter des leviers efficaces. »

Deux heures et demie d’échanges, de débats francs, d’écoute, dans le respect mutuel.
« Le Premier Ministre, commente pour Leaders un participant, a réussi son exercice en prêtant attention, apportant les réponses qu’il est en mesure de fournir et réitérant sa détermination à respecter la voix de la Nation et servir ses objectifs. Les membres du Conseil, même s’ils peuvent considérer qu’ils n’ont pas trouvé pleine satisfaction, n’en sont pas restés sur le faim. Le dialogue s’instaure, la bonne volonté est bien exprimée, des deux côtés, et nous devons accélérer le processus pour aboutir aux projets de décrets-lois sur l’Instance des élections et la Loi électorale. »

Clôture émouvante :
le Pr Yadh Ben Achour, après avoir sincèrement remercié les intervenants et le Premier Ministre, invite l’assistance à observer une minute de recueillement à la mémoire des martyrs de la révolution.
 

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2 Commentaires
Les Commentaires
CHOKRI BEN SALAH - 06-04-2011 08:45

Quant les tunisiens ne connaissent pas l'article 42 du code pénal, chapitre IV de la responsabilité pénale, section première – absence de criminalité (page 17) qui dit : N’est pas punissable, celui qui a commis un fait en vertu d’une disposition de la loi ou d’un ordre de l’autorité compétente. Voila pourquoi les coupables courent toujours. Ce texte de loi est un texte de l'ère Bourguibienn!

Karim - 06-04-2011 11:17

L'auteur de cet article devait éviter l'utilisation de l'expression "L'instance Ben Achour au Bardo" Il s'agit d'une instance de TOUS les Tunisiens ! Arrêtons la personnification des institutions ! Nous ne voulons pas revenir en arrière !

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