News - 08.03.2023

Le «New Deal vert» une rupture avec le capitalisme financier, mondialisé, producteur de catastrophes écologiques et d'inégalités

Le «New Deal vert» une rupture avec le capitalisme financier, mondialisé, producteur de catastrophes écologiques et d'inégalités

Pr Samir Allal. Université de Versailles/Paris-Saclay

1- L’urgence climatique un enjeu prioritaire: le chemin à suivre est loin de faire l'unanimité

La multiplication de catastrophes naturelles d'origine climatique a contribué à faire grandir la conscience de la nécessité urgente de stabiliser l'évolution du climat. La question n'est plus de savoir si nous avons besoin de décarboner notre économie, mais comment nous y parviendrons et à quel rythme.

Tout le monde a envie d’une planète désirable et est prêt à faire des efforts pour préserver l’habitabilité de la Terre pour laisser à ses enfants ou petits-enfants un monde dans lequel ils puissent respirer. Les efforts à faire pour y parvenir ne représentent pas la même chose pour tout le monde.

Il y a un enjeu de justice sociale et un enjeu de répartition de l’effort. L’objectif final est bien que tout le monde soit descendu à zéro tonne de carbone. En dépit du large consensus qui prévaut de tous bords quant au nécessaire passage à l'énergie renouvelable et la sobriété, le chemin à suivre est loin de faire l'unanimité.

Il n’existe aucun consensus sur la stratégie à adopter. L'un des principes désaccords porte sur la possibilité d'accomplir la transition écologique sans en passer par un bouleversement systématique radical. Le débat politique doit permettre de décider du chemin à prendre pour y parvenir. Bruno Latour (Où attetir? Comment s’orienter en politique, Ed La Découverte);

Bon nombre d’économistes «ou d’experts» libéraux soutiennent l’idée qu’il est possible d'atteindre un consensus quant aux mesures qui doivent être appliquées pour décarboner l'économie. Ils sont convaincus que, puisque cet objectif est dans l'intérêt de chacun, tous les citoyens responsables devraient être capables de s'accorder sur les mesures requises. Ils mettent en garde contre les tentations de politiser les questions climatiques, craignant que cela ne crée des divisions artificielles et n'interdise la large collaboration nécessaire pour aller vers un modèle de société soutenable.

D’autres économistes pensent que, les propositions les plus intéressantes sont celles qui préconisent, «le New Deal vert», un tournant radical qui implique «une rupture avec le capitalisme financier, mondialisé, producteur de catastrophes écologiques aussi bien que d'inégalités économiques, politiques et sociales». (Ann Pettifor: The case for the green New Deal, Londes, 2019).

Ces économistes affirment que, pour résoudre la crise climatique et atteindre zéro émission nette de gaz à effet de serre, une intervention radicale de l'État s'impose afin de réguler le système financier. Ils soulignent l’urgence de subordonner le secteur financier aux intérêts de la société et à l'avenir de la planète. Ils proposent des mesures concrètes pour apporter des solutions à trois problèmes fondamentaux: la crise climatique, la pauvreté et les inégalités raciales.

2- Résoudre la question écologique dans ses multiples dimensions

Désormais, les élites climatiques parlent de «justice», d’«équité», de «changement systémique» et de «transition juste». Mais cette réappropriation des questions de justice n'est qu'un artifice et ne change rien le projet politique sous-jacent: un projet hégémonique centré sur le «technosolutionnisme», les «mécanismes de marché» et la « prise en charge des risques et des coûts» de la transition par la collectivité. 

Un projet qui donne le beau rôle aux pays riches et célèbre les milliardaires entrepreneurs et les capital-risqueurs comme héros de la transition bas carbone, et désormais, de la justice climatique. Un projet, enfin, qui place leurs intérêts de classe avant ceux des autres et de la planète.

C'est à ce projet hégémonique qu'il faut désormais s'attaquer. Divers modèles de «capitalisme vert» pourraient bien nous donner les moyens de prospérer en renonçant à exploiter des sources fossiles d’énergie et lutter contre les inégalités.

Les partisans de la transition radicale, les promoteurs du «New Deal vert radical» ont bien conscience de l'amplitude du problème. Pour un climat stabilisé et un monde plus équitable, nous devons simultanément défaire nos modes de vie propulsés à l'énergie fossile et construire des infrastructures qui répartissent équitablement l'énergie renouvelable.

Ce qui signifie qu'on doit s'attaquer directement au capital des énergies fossiles. Cette proposition est vitale, mais pas suffisante. Un projet qui prétend résoudre la question écologique dans ses multiples dimensions ne saurait se limiter à la lutte contre le capitalisme, comme si une bifurcation n'était nécessaire que du point de vue de la production.

Loin d'être le remède miracle aux crises auxquelles dont nous faisons face, la croissance économique en est la cause première. Nous n'avons pas besoin de produire plus pour éradiquer la pauvreté, réduire les inégalités, créer de l'emploi, financer les services publics, et améliorer notre qualité de vie. Au contraire, cette obsession moderne pour l'accumulation est un frein au progrès social et un accélérateur d'effondrements écologiques.

L'ambition rationaliste, le progrès libéré des affects comme de la nature, est à l'origine de projet «moderne» qui voit dans la nature une ressource infinie, pouvant être utilisée grâce à un développement technique lui aussi infini, pour poursuivre une croissance sans fin. Ce rationalisme, a des conséquences dans le domaine politique, mais Il est aussi responsable du projet de domination de la nature qui nous a conduit à l'Anthropocène.

La critique de cette ambition ne doit pas nous conduire à rejeter en bloc le projet moderne. Mais, accepter que faire partie de la nature nous oblige à adopter une attitude différente envers la nature et à remettre en cause certains des principes fondamentaux de la modernité. Pierre Charbonnier (Abondance et Liberté. Une histoire environnementale des idées, Paris, La Découverte, 2020).

3- Une critique centrée exclusivement sur le capitalisme est insuffisante, elle doit être complétée par des interrogations sur l'Anthropocène

Tout comme nous sommes capables de rompre le lien entre le projet démocratique libéral et son «enracinement dans une épistémologie rationaliste», nous devrions pouvoir préserver les idéaux démocratiques de l'ambition de dominer la nature, et protéger ces idéaux contre des conditions socio-économiques capitalistes qui ont servi la poursuite de cette ambition.

Pour cela, on doit «concevoir la démocratie différemment, en questionnant la place privilégiée qui a été accordée à une certaine conception de la liberté - vue comme une émancipation vis-à-vis de toutes les formes de contrainte, naturelles et sociales -, et en réaffirmant la position centrale de l'égalité, auparavant éclipsée par le discours libéral hégémonique».

Le nouveau régime climatique nous fait entrer dans une phase caractérisée par la lutte pour la justice sociale qui exige de remettre en question le modèle productiviste et extractiviste. Le projet démocratique doit être redéfini, libéré de ses biais rationalistes. Ernesto Laclau et Chantal Mouffe, proposent d'envisager la transition écologique comme une «radicalisation de la démocratie» - par l'extension des idéaux démocratiques à un large éventail de relations sociales. Chantal Mouffe (la révolution démocratique verte, Albin Michel, 2022).

Les luttes des nouveaux mouvements sociaux ouvrent en effet, des perspectives renouvelées à la question de la justice sociale et de la démocratie, mais elles restent centrées sur l'autonomie et la liberté et, à l'exception de certains mouvements écologistes, elles ne ciblent pas fondamentalement la nature de la croissance.

Il faut cesser de considérer la croissance comme une source de protection. Au contraire, elle est devenue «un danger pour les conditions matérielles de la reproduction sociale». Timothée Parrique (Ralentir ou Périr, L’économie de la décroissance, SEUIL 2022).

Il n'est plus possible d'envisager la démocratie sans inclure la fin du modèle de croissance qui met en danger l'existence de la société, et dont les effets sont particulièrement destructeurs pour, les pays (et les groupes) les plus vulnérables. Pour faire face à ce nouveau régime climatique, il est nécessaire d'articuler les luttes anti-néolibérales avec le combat pour la transition énergétique et écologique.

Le projet démocratique a besoin d'être reformulé à la lumière de l'exigence écologique, ce qui implique de lutter à la fois au niveau de la production et au niveau de la reproduction - celle-ci étant comprise au sens large de la totalité de la vie sur la planète, et non pas réduite à la reproduction humaine.

Une critique centrée exclusivement sur le capitalisme est insuffisante et doit être complétée par des interrogations sur l'Anthropocène. La radicalisation de la démocratie est en train d’acquérir une nouvelle dimension avec la crise écologique.

4- La révolution démocratique verte: un tournant radical et une éclosion de nouvelles formes d'expression de l'idéal démocratique

Des propositions pour un «New Deal vert» sont essentielles pour concevoir les politiques nécessaires au combat contre le néolibéralisme et ses conséquences délétères pour le climat. Pourtant, je ne pense pas qu’unetelle «révolution» possède par elle-même la capacité de générer les affects partagés qui sont indispensables pour réussir le tournant écologique espéré par la volonté collective.

Les idées doivent obligatoirement rencontrer les affects pour acquérir leur force. Pour éveiller les affects, les idées doivent être raccordées avec ce que Cornelius Castoriadis décrit comme «les significations imaginaires», (Paris, Éditions du Seuil, 1975).Dans toutes les sociétés, c'est la force affective de l'imaginaire démocratique qui apporte les significations qui poussent les gens à agir.

Cet imaginaire est constitué par un «répertoire de significations sociales» qui sont transformées sous les effets d'une pluralité de «pratiques discursives». L'un de ses points nodaux est le signifiant «démocratie», mais c'est un signifiant flottant dont le sens n'est pas complètement fixé et qui peut varier selon différents types d'articulation. Chantal Mouffe (Albin Michel, 2022).

A nos jours, l'imaginaire démocratique se vit profondément transformé par l'incorporation des revendications sociales et (ou) écologiques. Désormais, en présence du nouveau régime climatique, nous assistons à l'éclosion de nouvelles formes d'expression de l'idéal démocratique.

Pour être capables de mener à bien l'indispensable bifurcation écologique, les luttes climatique et anti-néolibérales combinées doivent mobiliser des affects de nature écologique et politique dont l'expression pourra conduire à la construction d'un «peuple». Pour Chantal Mouffe, un tel «peuple» n'est pas «une catégorie sociologique», mais une «construction discursive» possédant une dimension «symbolique et libidinale».

Il consiste alors, de fédérer diverses revendications démocratiques, et sa construction requiert un principe d'articulation, un «signifiant» autour duquel les affects communs peuvent se cristalliser. Grâce à ce «signifiant», toute une chaîne d'équivalence peut être établie entre des revendications hétérogènes, ce qui permet à celles-ci de fusionner en un «nous» qui agira pour «tendre vers un but commun», en dépit des différences persistant entre ses composants.

5- La «bifurcation écologique» le nouveau front du processus de radicalisation de la démocratie

Quel pourrait être ce «signifiant hégémonique» susceptible d'activer les affects politiques et écologiques? La «bifurcation écologique», est désormais, le nouveau front du processus de radicalisation de la démocratie.

Dans cette acception, «la transition radicale verte» réactive et enrichit «l'imaginaire démocratique». Elle apporte «le signifiant hégémonique nécessaire pour créer une chaîne d'équivalence». Elle joue le rôle d'un «mythe» dans le sens que lui donne Georges Sorel; une idée dont la puissance d'anticipation de l'avenir permet de redessiner le présent.

C'est ce récit mobilisateur d'affects qui pourraient se révéler beaucoup plus puissants et crédibles que les discours néolibéraux ayant cours, et apporter l'impulsion requise pour la création d'une majorité sociale.

La survie de la planète et la préservation des conditions de vie qui la rendent habitable mobilisent un très grand nombre de personnes, aussi bien que toute une variété de mouvements porteurs d'exigences hétérogènes. À côté des syndicats et des groupes organisés autour des problèmes socio-économiques, nous trouvons des gens impliqués dans diverses luttes, antiracistes, anticoloniales, et de droit humain.

En temps ordinaire, ces groupes se concentrent généralement sur la défense de leurs propres intérêts, mais, devant la gravité de la crise écologique, ils pourraient prendre conscience de la nécessité de s'unir pour faire face aux forces responsables de l'urgence climatique, et empêcher l'application de mesures autoritaristes en guise de solutions.

Toutes leurs revendications sont des exigences démocratiques, même si elles empruntent des voies divergentes, et leur opposition partagée à l'autocratie leur permet de se reconnaître dans la vision offerte par «la révolution démocratique verte».

Elle illustre bien, un projet susceptible de générer des affects puissants, partagés par des groupes très divers, et fait écho aux revendications de tous ceux qui attendent sécurité et protection tout en s'engageant pour l'égalité et contre les différentes formes d'oppression.

6- L'objectif n'est pas de «fracasser» le capitalisme, mais de le faire bouger en mettant en œuvre une série de réformes «non réformistes»

Pour qu'une telle identification se réalise, il n'est pas indispensable que tous les participants partagent la même vision du monde, et ils peuvent fort bien avoir des convictions différentes. Leur inquiétude pour l'environnement peut provenir de différentes sources, et leurs approches peuvent être très diverses, mais ces différences ne devraient pas constituer un obstacle insurmontable.

Ceux qui s'engagent ne sont nullement tenus de se retrouver sur une plateforme politique complète. Certains définiront leurs objectifs en termes d'«éco-socialisme», (on trouvera une défense éloquente de cette vision chez Paul Magnette, La Vie large, Paris, La Découverte, 2022), d'autres préféreront penser une «révolution citoyenne». Edgar Morin, (Réveillons -nous, Ed Delanoël). Ils ont en partage un adversaire commun et la volonté de conserver une planète habitable garantissant l'avenir d'une société démocratique.

En présentant l’urgence d’«Révolution démocratique verte », j'ai délimité les contours d’un cadre d’une stratégie de sortie de crise. Je soutiens l’idée que ce serait la stratégie la plus pertinente pour combiner les multiples luttes démocratiques contre les différentes formes de domination, d'exploitation et de discrimination, avec la défense de l'habitabilité de la planète.

La force d'une telle stratégie réside dans la reconnaissance du caractère partisan de la politique et de l'importance de la mobilisation d'affects communs pour construire un «nous», en traçant les contours d'un positionnement politique affirmé. La «révolution démocratique verte est un impératif, pour parvenir à une véritable bifurcation écologique, d'affronter les puissantes forces économiques qui lui résistent et de rompre avec l'ordre néolibéral». Erik Olin Wright, (How to Be an Anti-Capitalist in the Twenty-First Century, Londres et New York, Verso, 2019).

Son objectif n'est pas de «fracasser» le capitalisme, mais de le faire bouger en mettant en œuvre une série de réformes «non réformistes», pour reprendre l'expression employée par André Gorz, en développant des institutions alternatives, et des initiatives venant de la base de la société civile et centrées sur elle - qui encouragent des activités économiques reposant sur des relations égalitaires.

L’État doit être un acteur significatif car, il ne sera pas possible de réussir la transition sans recourir à une planification écologique. Il est illusoire d'imaginer que les transformations profondes qu'exige la bifurcation écologique puissent être accomplies par les seuls mouvements sociaux. Les activistes et les groupements écologistes ont un rôle important à jouer, mais il sera impossible de créer les conditions d'une confrontation victorieuse avec le pouvoir du capital des énergies fossiles sans l’appui des États.

Je suis persuadée que le fait d'envisager la nécessaire «bifurcation écologique» comme une «révolution démocratique verte» pourrait apporter au camp du progrès la stratégie qui lui manque encore, pour réussir à déjouer les tentatives d'exploitation du sentiment de vulnérabilité produit par les crises sociale, économique et climatique - et les affects engendrés par ce sentiment -, qui favorisent des formes autoritaires de sécurité et de protection.

Une «révolution démocratique verte» a pour raison d'être de défendre la société et ses conditions matérielles d'existence, et de garantir sécurité et protection de telle sorte que les gens soient responsabilisés et non pas conduits à se replier dans un nationalisme défensif ou dans l'acceptation passive de formes de gouvernement dictées par des algorithmes.

Un tel projet pourrait fédérer un large ensemble de revendications démocratiques, parce qu'il répond au défi du nouveau régime climatique, tout en apportant la justice sociale et en encourageant la solidarité.

L'activation des passions qui occupent le centre de l'imaginaire démocratique devrait inciter à s'engager en politique avec l'objectif de créer les conditions d'existence d'une société où les principes démocratiques de liberté et d'égalité se verraient redéfinis et élargis à de nouveaux domaines, ouverts aux humains comme aux non-humains.

Pr Samir Allal
Université de Versailles /Paris-Saclay
 

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