News - 25.12.2022

Le courrier des lecteurs comme ligne éditoriale !

Le courrier des lecteurs comme ligne éditoriale !

Par Mohamed Habib Salamouna

[Informer, divertir, innover… Les néo-journalistes du Web 2.0 ont laissé tomber ces règles sacrées au profit du «Moi aussi, je peux le faire».]

En cette ère ou chaque consommateur d’informations, d’opinions, de jugements, de doctrines, voire d’épistémologies, a quelque chose à dire _et le dit avec autant de légitimité et d’impact médiatique que les vieilles élites_ , il n’y a plus moyen de théoriser à la manière ancienne, c’est-à-dire à la façon de Tom Wolfe, fondateur du « nouveau journalisme», dont la théorie se résumait en trois grands principes: «informer, divertir et innover».

En Tunisie «post-révolution», comme partout ailleurs, il existe, à proprement parler, un nouveau journalisme qui est exclusivement le produit de la communication interactive et instantanée __et du droit de réplique sacré, permanent et joyeusement universalisé. C’est le journalisme triomphant qui se pratique sur les blogs hyper-individuels, sur les sites Internet sans patron ni entreprise ou sur les journaux en ligne qui ont succombé au Web 2.0.

Nous sommes passés en peu de temps à ce tout nouveau journalisme où chaque lecteur est un auteur en puissance et où les chefs de rubrique accordent davantage d’importance à l’opinion des lecteurs numériques qu’à celle de la très analogique rédaction. Voilà la grande mutation du siècle. Fini la vieille tyrannie des élites journalistiques!

Désormais, tout le monde peut donner son avis sur ou contre tout le monde et théoriser sur tout et n’importe quoi. Et, dans la mesure où tout un chacun donne son avis, théorise ou informe en temps réel et dans le même média, personne pour l’instant ne demande au néo-journaliste de respecter le vieil algorithme de Tom Wolfe. Sauf à penser qu’informer, c’est informer sur soi, que divertir, c’est contredire les vieilles élites de la profession et qu’innover, c’est avoir fait montrer le courrier des lecteurs en Une ou l’avoir élevé au rang de ligne éditoriale.

Or, il y a quelque chose d’inquiétant dans cette mutation accélérée du papier au numérique. Force est de constater que le papier de nos journaux s’est laissé contaminer par ce virus triphasé qui vient de la Toile. De fait, les nouvelles et les informations sont devenues plus courtes et plus fragmentaires, dans la logique même de cette «culture snack» envahissante. Il y a de moins en moins de la place pour les articles longs, pour la réflexion de deux feuillets et quelques ou tout simplement pour la survie des propositions subordonnées. Les bits de la race people vont très bientôt évincer tout autre information divertissante et mettre à la retraite tout ce qui a l’air sérieux. Et, sous peu, il faudra dire adieu à la nouvelle, au reportage, à l’information, à tout ce qui n’arrivera pas au journal accompagné d’un clip digne d’être diffusé sur YouTube et consommé mondialement et instantanément. Et là, à mon sens, il faut une théorie ou, du moins, un débat. Car, il est vrai que depuis le vieux «nouveau journalisme» des années 1960, jamais il n’y a eu de journalisme aussi pop et aussi subordonné au monde des images populaires __à tel point que les nouveaux journaux numériques sont les vrais concurrents des télévisions.

Mohamed Habib Salamouna
Prof de français
 

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