News - 16.08.2020

Habib Touhami - Tunisie: Une nostalgie mortifère

Habib Touhami: Une nostalgie mortifère

Par Habib Touhami - Une coterie influente formée de quelques banquiers et de financiers bien repus tente de vendre à une opinion publique médusée l’idée anachronique selon laquelle il faut appliquer la même politique économique et financière qu’en 1986 (le Plan d’ajustement structurel en somme) et  faire appel à ceux qui l’ont conduite pour sortir la Tunisie de la grave crise économique dans laquelle elle se débat. La nostalgie est parfois « délicieuse » et réconfortante pour les individus, mais quand elle procède du défaitisme ambiant, elle devient toxique pour la collectivité. Antoine de Saint-Exupéry, l’auteur du Petit Prince, définissait la nostalgie comme « le désir d’on ne sait quoi ». Formulation assez juste qui s’applique assez bien à la situation tunisienne quoiqu’elle puisse servir aussi à expliquer la mort-suicide de l’auteur.

Quand bien même devrait-on juger l’action du PAS comme une réussite, ce qui a « réussi » en 1986 ne peut pas réussir nécessairement en 2020. Le contexte économique, politique et social national a radicalement changé entre 1986 et 2020. En 1986, l’Etat était debout, les syndicats mis au pas, les libertés individuelles et collectives confisquées, le pluralisme banni. En 2020, l’Etat est devenu chancelant, les syndicats omniprésents, les libertés individuelles et collectives foisonnantes, le pluralisme une réalité. En 1986, les déficits commerciaux, budgétaires et sociaux (caisses de sécurité sociale) étaient ou maîtrisables ou inexistants. En 2020, ils sont devenus tout à la fois la source et le résultat des grands déséquilibres économiques et financiers. En 1986, le chômage était « quantitatif » et touchait peu les diplômés. En 2020, il est devenu structurel et accable les diplômés, les femmes surtout. En 1986, les branches industrielles « entraînantes » étaient en expansion. En 2020, la plupart d’entre elles stagnent ou régressent dangereusement.

En tout état de cause, la politique économique de la fin des années quatre-vingt n’a pas eu que des résultats heureux comme certains le prétendent. Trois faits sont à considérer. En dépit des mesures « d’accompagnement », la facture de la crise a été payée par les pauvres et les classes moyennes, les rentiers et les classes privilégiées étant épargnés sinon réconfortés. L’érosion des classes moyennes a d’ailleurs commencé à cette époque comme l’atteste l’évolution des coefficients budgétaires des dépenses des ménages entre 1975 et 1990. Cette érosion a été amplifiée par la formidable régression de la politique redistributive. C’est au point où le pouvoir en place s’est cru obligé de ne plus publier les données relatives aux bénéfices tirés par les divers groupes sociaux des transferts sociaux. Il y a ensuite les conséquences mitigées sur la balance commerciale. Bien que la baisse du dinar ait favorisé l’accroissement des exportations en valeur dans une première phase, celles-ci passant de 1 404 MD en 1986 à 3 087 MD en 1990, le déficit commercial devait doubler au cours de la période passant de -900 MD en 1986 à -1740 MD en 1990. Le plus grave est que cela ait occasionné le « pompage » excessif des ressources naturelles et humaines du pays puisqu’il a fallu multiplier le volume des exportations de 1986 par 2,7 en moyenne pour retrouver en 1990 le niveau attendu des exportations en valeur. Il y a enfin l’impact de cette politique sur le déclenchement des évènements de 2010-2011.

Nul ne peut contester la connexion qui existe entre les résultats de la politique socioéconomique suivie entre 1986 et 2010 et le déclenchement de la « révolution » tunisienne. Pourtant, les uns s’obstinent à la nier pendant que les autres profitent du désarroi général pour faire la promotion de ce qui était et qui pourtant ne peut plus être. En vérité, plus que la nature du régime politique ou le mode de scrutin aux élections législatives, c’est l’incapacité de passer à une politique économique de rupture qui constitue le vrai motif de blocage du développement du pays. Sur ce plan, le pouvoir politique issu de la révolution se montre aussi conventionnel et malhabile que le pouvoir précédent.

H.T.


 

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