News - 29.07.2020

Moktar Lamari: La croissance économique, victime des consensus pipés de l’après 2011

Moktar Lamari: La croissance économique, victime des consensus pipés de l’après 2011

Par Moktar Lamari, Ph.D. Universitaire au Canada - Le Cheikh Rached Ghannouchi (79 ans), fondateur du parti religieux Ennahda et président du pouvoir législatif depuis 5 mois, fait tout ce qui est dans son pouvoir pour reproduire les schémas de consensus pipés l’ayant mis au pouvoir aux moindres frais grâce à des coalitions fourre-tout et prêtes à tout !

Or, ce type de consensus a sacrifié la croissance économique, a appauvri les citoyens, sans produire la stabilité promise, afin d’attirer les investisseurs et de créer de l’emploi productif.

La corrélation entre les consensus à la Ghannouchi et la croissance économique est négative, statistiquement significative et fondamentalement maléfique pour le bien-être des Tunisiens et Tunisiennes.

Comment expliquer ce constat empirique démontré ? Comment s’en sortir du piège tendu par Ghannouchi aux divers partis et gouvernements de coalition ayant géré la Tunisie depuis 2011 ?

Les faits sont têtus

«Non, pas besoin d’opposition forte au sein du Parlement tunisien, oui ça ira mieux, quand on gouverne tous ensemble dans le cadre d’un consensus national avec tous les principaux partis représentés au Parlement…». Voilà, la cantine répétée en boucle par le Cheikh depuis presque 10 ans.

Le Cheikh Ghannouchi prêche mordicus pour un consensualisme fourre-tout et tous azimuts, avec une multitude de non-dits. Un discours consensualiste assorti d’un modus operandi déjà rodé,qui ne fait que déstabiliser la gouvernance, détruire les partis politiques impliqués dans ses coalitions. Les dommages économiques liés à ces consensus illusoires en Tunisie ne font que fragiliser davantage la transition démocratique, seule démocratie en terre d’Islam.

L’approche consensualiste développée par le leader religieux islamiste en Tunisie est moralisatrice plutôt que politique, normative plutôt que positive et illusoire plutôt que réaliste!

Malgré les divers consensus et coalitions liées, l’économie a chuté dramatiquement, avec notamment une perte de 20 % du PIB en $US courant, entre 2010 et 2020, la dette a explosé (85% du PIB en 2020, contre 40% en 2011) et la population s’est paupérisée, ayant perdu presque 35% de son pouvoir d’achat depuis 2012. Le dinar a été sacrifié entre temps, il a perdu plus de 40% de sa valeur face aux devises fortes.

Trois types de coalitions ont été observées en Tunisie post-2011 : celle appliquée entre 2012 et 2014, celle initiée entre 2015 et 2019 et celle des cinq derniers mois. Le résultat est le même : le carrousel politique fonctionne à fond (330 ministres) et le toboggan économique fait débouler les mauvaises nouvelles et fait crasher les indicateurs économiques, les uns après les autres.

De toute évidence, le consensus au sens «naahdaoui» fait table rase des valeurs démocratiques et programmes politiques défendus par les partis lors de leurs campagnes électorales. Ce type de consensus ne s’élabore pas sur la base de programmes et d’objectifs quantifiables à atteindre, avec des leviers d’une gouvernance optimisée par le jeu de la compétition entre parti au pouvoir et partisde l’opposition.

Bien au contraire, il se base sur une «gestuelle» électoraliste qui tourne à vide pour bloquer systématiquement les réformes structurelles. Ces consensus ont gouverné avec un fatalisme céleste basé sur toujours plus d’Inchallahs et point d’évidences économétriques et rationnelles.

Pour de nombreux observateurs internationaux, faire perdurer ce type de consensualisme, factice et dévoyé, pour une autre mandature (2020-2024), risque de porter le coup de grâce à une économie déjà genoux... et à une transition institutionnelle qui a du plomb dans l'aile.

Un consensualisme contreproductif

L’historique de la gouvernance de la transition démocratique en Tunisie est là pour témoigner de l’inefficacité des consensus et «feuilles de route» liées. Quasiment neuf gouvernements ont géré le pays depuis 2011, avec plus de 330 ministres, dont plus de 60% ont été choisis et imposés par Ghannouchi en personne, toujours sous le diktat d’un consensus sourd et muet face aux résultats économiques.

Le graphique suivant indique sans l’ombre d’un doute que la gouvernance dite consensuelle à l’ère du post-2011 a généré des résultats économiques les plus catastrophiques que la Tunisie ait connus pendant les années de dictature de Bourguiba et de Ben Ali (1957-2011).

Overdose d’un consensualisme insidieux et incestueux

Ennahda cultive une idée insidieuse et parfois incestueuse du consensus politique. Insidieuse, comme c’était le cas avec le parti Ennidaa entre 2015 et 2019 ou aujourd’hui avec le parti QalbTounes, arrivé second en nombre de sièges et appelé à assumer son rôle dans l’opposition.

Ennahda et QalbTounes ont fait une campagne électorale de véritables adversaires, comme ennemis politiques, avant de se jeter dans les bras dans un élan de consensualisme qui défie l’entendement.

Incestueuse, puisque le parti Ennahda multiplie ses «rejetons» et satellites, à l’image du parti ElKarama et d’autres petits partis de fidèles, prêts à tout pour ameuter les troupes les plus radicales, et servir de ballon d’essai dans toutes les manœuvres politiques délicates et dangereuses pour l’image internationale du parti Ennahda.

Plusieurs articles et mémoires circulent en catimini entre les experts économistes du FMI, de la Banque mondiale… et autre think tank! Tous incriminent le dévoiement du principe du consensus et déplorent ses pervers économiques désastreux en Tunisie (false-consensus bias).

Le plus récent rapport porte le titre The Dark Side of Consensus in Tunisia (2015-2019). Il est signé par deux chercheurs (Grewal& Hamid) reconnus d’un Centre de recherche américain (Brookings Institution). Les auteurs ont traité franco du côté  obscur (et obscurantiste)des consensus politiques initiés en Tunisie.

Leur rapport conclut que la démocratie tunisienne souffre d’une overdose de «consensus», une overdose qui ne favorise par l’innovation et le progrès. Ajoutant que les réformes structurelles de l’après 2011 ont été avortés par les tensions et la mal-gouvernance qui règnent au sein de ces coalitions pipées et où les troupes de Ghannouchi ont été omniprésentes et dominantes dans les rouages du pouvoir.

Perte de confiance et défiance des électeurs trahis

L’overdose des consensus nahdhaouis mine la confiance des citoyens envers leurs élus politiques. En cause des partis sans programme économique et des députés qui se promènent de consensus en consensus, de partià parti, prêts à tout pour s’agripper au pouvoir, siphonnant au passage toutes sortes de rentes et dividendes défrayés à même les taxes des contribuables.

Dans plusieurs rapports internationaux récents le parti Ennahda est décrit comme un ogre invertébré, qui vampirise tous ceux qui lui font confiance en politique et osent faire coalition avec lui. D'ailleurs, plusieurs médias et observateurs n’hésitent pas à décrier les effets pervers de ce consensualisme normatif et «girouette»,fondé notamment sur l’évitement et la fuite en avant dès qu’il est question de faire des bilans et/ou de définir les responsabilités face à la déroute économique du pays.

Étonnamment, le rapport nous apprend que c’est avec l’overdose de faux consensus et dans la multiplication des configurations dites consensuelles entre les partis au pouvoir qu’on peut expliquer le succès électoral fulgurant d’outsiders venant de l’extérieur de l’establishment politique, à l’image de Nabil El Karoui, un élu politique ayant une ardoise pénale chargée...même si ses élus et entourages sont des grands porteurs d'espoir pour la lutte à la pauvreté en Tunisie.

De moins en moins bernés, les citoyens décodent le bluff des consensus pipés qui tentent de faire taire les controverses, de gommer les discordes et de remettre toujours à plus tard les dossiers qui fâchent: lutte contre le déficit public, restructuration des sociétés d’État, dégraissement de l’État, lutte à la corruption, création de la cour constitutionnelle, etc.

Le rapport du American Brookings Institute conclut que «Finally, the Tunisian case suggest sthat the verypresence of consensus politics long into a transition may not be a sign of democraticsuccess, but rather an indication of a deeperweakness in the transition» (traduction : l’analyse du cas tunisien porte à croire que l’omniprésence des consensus politiques durant la transition démocratique n’est pas un signe de succès, mais un symptôme de faiblesses profondes dans le processus de transition démocratique).

Plusieurs autres analystes notent qu’entre 2015 et 2019, le parti islamiste aurait causé un grand tort au jeu démocratique en désertant ses positions sur le front de l’opposition, préférant se rendre avec armes et bagages au parti Ennidaa, sacrifiant au passage ses promesses électorales et beaucoup de sa crédibilité politique. Le consensus politique prôné par les politistes du parti islamique ne serait, au bout du compte, qu’un paratonnerre pour se protéger contre les soupçons qui pèsent encore et encore sur le parti : envoi des jeunes tunisiens pour des actions terroristes en Syrie, assassinats politiques, implication dans les réseaux de blanchiment d’argents, alliance avec des réseaux de fondamentalistes.

Ce consensus de façade et à géométrie variable permet en même temps de mener un travail de sape continu pour implanter des dogmes religieux, peu importe ce qui arrive à l’économie et aux couches déshéritées, qui prennent souvent et malheureusement le discours naahdaoui pour «argent comptant»!

Illusion du consensus et désillusion politique

Chantal Mouffe, une politologue universitaire mondialement connue,a exploré dans son livre «L’illusion du consensus», paru en 2016,chez Albin Michel ; les pervers de l’illusion du consensus. Les analyses de la professeur Mouffe, nous permettent de mieux expliquer les revers d’un consensualisme illusoire et improductif pour l’économie. Ces pervers sont décrits en cinq points majeurs, que j’adapte au contexte tunisien.

1- Le consensualisme fourre-tout, tel que prôné par Ghannouchi, est créateur de statu quo économique,et il est réfractaire systématiquement aux réformes économiques structurelles. La recherche du dénominateur commun entre les parties prenantes impliquées finit par bloquer les principales réformes attendues, les reportant sine die.

2- Les consensus bidonnés et les collusions liées finissent par trahir la volonté des électeurs en mixant indistinctement des préférences électorales fondamentalement hétérogènes et incompatibles. Un délit en politique et une profanation morale de la déontologie politique. Avec en prime un manque de probité et d’intégrité chez un grand nombre de décideurs qui considèrent le pouvoir comme un trésor de guerre.

3- Un consensualisme atypique et anti-compétition entre les partis,n’incite pas à l’innovation dans les choix de politiques publiques, pour faire toujours plus (et mieux) avec moins (en ressources publiques). C’est cette carence en saine compétition entre les partis qui a fait que l’économie de la Tunisie post-2011 sombre chaque jour un peu plus dans le marasme et dans l’endettement.

4- Un consensualisme au rabais réduit l’imputabilité et empêche le vote-sanction de fonctionner correctement pour favoriser l’alternance au pouvoir (et del’opposition). Les partis impliqués dans ce consensualisme perverti se débinent plus facilement et se permettent de ne pas honorer leurs promesses électorales sans risquer d’être tenus pour responsables de la déroute économique ou de la mal-gouvernance. Un tel consensualisme finit par vider les travaux parlementaires de leur substance, et permet d’expliquer l’absentéisme et les déviances qui caractérisent un grand nombre des élus politiques présents sous la coupole du parlement.

5- Consensualisme religieux. L’illusion du consensus nahdaoui a une connotation moralisante religieuse qui s’inscrit en porte-à-faux avec les fondamentaux de la modernité et de la démocratie : citoyenneté, égalité, imputabilité, performance, prospérité, liberté, etc. Les consensus teintés par la moralité religieuse prônent la normativité, plutôt que le positivisme pragmatique et porteur de bien-être collectif ici et maintenant.

Une leçon et un message! La leçon à tirer profitera au gouvernement, en constitution par  Mechichi et peut se résumer comme suit: évitons ensemble les consensus pipés, faire échec aux collusions politiques improductives pour l’économie et dénoncer les fiascos des 9 années d’un consensus boiteux qui a ruiné l’économie et qui pousse les jeunes à l’Exodus, se jetant par milliers dans la mer pour fuir, à tout prix, un pays mal-gouverné et qui ne procure plus de signes d’espoir pour ses jeunes générations.

Le message: la transition démocratique en Tunisie a été gravement endommagée par ces divers consensus bricolés par Ghannouchi et ses troupes, sous la houlette des Frères musulmans au Qatar, en Turquie, en Libye, etc. Il est temps de rompre avec la pensée unique et les diktats d’une élite politique surannée, fanatisée et immorale, devenue avec le temps dangereuse pour la stabilité du pays, toxique pour la prospérité de l’économie et abrasive pour le bien-être collectif.

Moktar Lamari, Ph.D
Universitaire au Canada

 

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