News - 22.05.2020

Une population à la loupe... celles des Palestiniens et des Israéliens

Les populations à la loupe... celles des Palestiniens et des Israéliens

Par Samir Gharbi - C’est un sujet fort complexe parce qu’il n’est pas seulement démographique. Il est aussi politique, religieux, voire militaire: les peuples se mesuraient – et se mesurent – selon leur «rapport de force». Quand un peuple se sent à l’étroit, il commence par envahir son voisin proche ou lointain. L’histoire nous le démontre chaque jour ou presque depuis deux ou trois mille ans. Les empires s’étaient bâtis ainsi avant de s’effondrer : à force de trop s’étaler, ils ont fini par perdre leur puissance centrale. Le proverbe, toujours valable, dit bien : «Qui trop embrasse mal étreint».

Le colonialisme prétendait répandre des idéaux messianiques (le christianisme, l’islam) et la « civilisation » (par définition occidentale)… Il répondait en fait à un besoin vital d’expansion territoriale en quête d’espaces, de ressources alimentaires, minières et autres richesses. Entre les envahisseurs et les envahis les rapports de force étaient trop inégalitaires, ouvrant la voie à l’exploitation, au pillage, à l’esclavage et à l’extermination des autochtones qu’on appelait avec mépris «indigènes», «bougnoules», «noirs», «indiens»… puis après «protestants», «juifs» et «musulmans»…

Le plus terrible est de voir les victimes innocentes d’hier se transformer – sans le moindre remords humain – en despotes sur de nouvelles victimes innocentes.

Le plus terrible encore est de voir les responsables des massacres d’hier se taire, fermer les yeux et se boucher les oreilles quand ils voient les miraculés des pogroms et du nazisme reproduire les mêmes comportements de haine, de violence, d’exclusion, d’élimination… à la manière d’un néo-génocide refaçonné visant cependant le même objectif: faire tout ce qui est possible pour déloger des habitants enracinés depuis des générations afin de récupérer leurs terres… Le terme ne changera jamais : il s’agit bel et bien de colonisation forcée, brutale, expéditive, terroriste… Cette politique rampante a commencé il y a plus d’un siècle et va s’accélérer avec la bénédiction d’un tout puissant allié: les Etats-Unis d’Amérique, lequel n’a pas le moindre remords : les derniers survivants indiens vivent aujourd’hui dans des «réserves». Avec le «Plan Trump 2020», les Palestiniens risquent de subir le même sort : sur leurs propres terres annexées, ils vont devoir vivre dans des «réserves» encerclées et s’ils ne sont pas contents, ils n’auront qu’à partir ailleurs…

Le plus terrible aujourd’hui est de voir la première puissance économique et militaire de la planète approuver, encourager, couvrir les actions illégales – selon les canons du droit international – commises par des rescapés d’Auschwitz et leurs descendants.

Cette première puissance et ses complices incitent le peuple juif qui avait reçu en cadeau 55 % du territoire palestinien alors sous «protectorat» britannique à aller au-delà de cette limite, en s’appropriant les terres conquises par la guerre (1967) et en accaparant progressivement le reste de la Palestine. Les plus endurants des Palestiniens survivront dans des «bantoustans» sous le contrôle de l’armée et l’administration israéliennes. Ils n’auront aucun attribut d’un Etat : capitale, frontières, monnaie, armée, sécurité… Ils pourront circuler avec des «visas» (aléatoires et éphémères), brandir un drapeau et travailler… Ils n’auront aucune garantie de ressources stables…

Tout cela pour mettre dans leur contexte les questions de la population dans cette région particulière du monde.

Bien avant le « Plan américain » du 28 janvier 2020 visant à restaurer la « paix » (sic) en Palestine, des voix israéliennes s’élevaient pour exposer le «problème» de la croissance démographique des Juifs en Israël d’ici à 2050 ou 2060 et s’interroger sur comment l’Etat hébreu devrait y faire face. Avec Donald Trump et son conseiller juif américain Jared Kushner (en plus de sa qualité de gendre), vous avez la réponse : Israël n’aura pas besoin – comme l’imaginaient ses technocrates – de bâtir des gratte-ciel pour loger les Israéliens nés ou à naître. Israël a reçu «l’autorisation» américaine d’agrandir son territoire sur la Cisjordanie, d’y implanter de nouvelles colonies et d’annexer définitivement Jérusalem-Est ainsi que le Golan syrien. On ne parle pas encore de la bande de Gaza ni du Sud-Liban…

Savez-vous qu’Israël est le seul Etat membre à part entière de l’ONU qui n’a pas fourni ses limites frontalières au moment de son adhésion ? Savez-vous où s’arrêtera un jour le Grand Israël dont rêvent les Juifs ? Seul Dieu le sait.

Il y a actuellement presque autant de Juifs en Palestine que de Palestiniens en Palestine : 7 millions environ chacun, sachant que près de 2 millions de Palestiniens vivent sur le territoire légal de l’Etat d’Israël et près de 850 000 Juifs sur le territoire légal de l’Etat de Palestine (en Cisjordanie et à Jérusalem-Est). La même égalité ou presque se retrouve dans les populations juives et palestiniennes dans le monde: 14 à 15 millions de personnes dans chaque camp.

Mais la croissance démographique des premiers étant inférieure  à celle des seconds, on peut aisément prédire que le rapport de force va pencher du côté des seconds avant 2050.La croissance des Juifs en Israël est encore soutenue: la population juive «locale» pourrait passer de 9 millions en 2019 à 18 millions en 2050 (hypothèse haute) ou seulement 12,5 millions (hypothèse basse), tandis que celle des Palestiniens-israéliens passerait de 2 à 3 ou 3,5 millions… Les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie verront leur nombre passer de 5 millions en 2019 à 9 ou 10 millions en 2050…

Pour quelles raisons ces deux peuples devraient-ils croiser le fer toute leur vie ? La coexistence n’est-elle pas vraiment possible entre eux ? Le sage vous dira «oui, bien sûr». A conditions que les injustices passées et présentes soient admises et corrigées un tant soit peu dans un esprit de paix.

Les populations qui vivaient dans la Palestine de l’ex-mandat britannique ne bénéficient pas du même traitement depuis 1948. L’Etat d’Israël est reconnu par les cinq grandes puissances (Etats-Unis, Royaume-Uni, Russie, France, Chine). Le second ne l’est que par deux (Chine et Russie). Le droit de veto de l’un des cinq (celui des Etats-Unis) empêche la reconnaissance pleine et entière de l’Etat de Palestine qui est pourtant reconnue officiellement par 136 Etats «ordinaires» sur les 193 membres que compte l’ONU (70,5%).

Indicateurs démographiques 2020

L’importance de la diaspora juive (les Juifs qui vivent hors d’Israël) empêche en fait les grandes puissances de mettre en application les résolutions qu’ils ont eux-mêmes votées sur le droit des Palestiniens à disposer de leur propre Etat avec leur capitale à Jérusalem-Est. Ces résolutions devront être, selon le président américain Donald Trump, enterrées. Aux oubliettes ! Mais le droit international ne peut demeurer éternellement à la merci d’un seul, aussi puissant soit-il présentement.

Toutes confessions réunies, la population de l’Etat d’Israël s’élève aujourd’hui à 9,1 millions et celle de l’Etat de Palestine à 5,1 millions. Mais le «diable» se cache toujours dans les détails : la composition de chaque population selon la religion et le statut légal…On va regarder tout cela à la loupe.

D’abord, parlons du sujet qui fâche le plus les uns et les autres. Celui de l’histoire. Les Juifs israéliens (surtout les sionistes d’entre eux) disent qu’ils ont reconquis la Terre promise par Abraham, premier prophète vénéré par toutes les religions monothéistes, aux seuls Juifs. Pourquoi diable Dieu a-t-il commis cette injustice ou ségrégation entre tous ses fidèles ?

Passons sur la réponse à cette question. Les Juifs ont déserté la «Terre promise» il y a plus de deux mille ans pour aller s’installer qui en Europe, qui en Afrique ou en Asie (l’Amérique n’était pas accessible alors). Ils vécurent et se développèrent, parfois en paix avec les Européens, mais plus souvent en conflit. La «Terre promise» est restée en possession de ses populations autochtones (les Philistins, entre autres)– après l’exode des Juifs, elle ne s’était pas en effet vidée de tous ses habitants, n’est-ce pas ! Avec l’émergence de la religion chrétienne, sous la direction du nouveau prophète Jésus – anciennement juif, la région s’était développée à tous les niveaux. Elle attirait bien des conquérants venus de toutes parts. Les Chrétiens devinrent largement majoritaires à partir du 5e siècle. Les Juifs qui n’avaient pas quitté le pays étaient donc devenus minoritaires.

Survint au 7e siècle l’avènement d’un dernier prophète, Mohamed, qui révéla une nouvelle religion : l’Islam. Une nouvelle époque s’ouvrit avec l’arrivée sur le territoire «palestinien» de conquérants arabo-musulmans qui se mélangèrent aux autochtones. La majorité se renversa cette fois au profit des Musulmans, à partir du 10e siècle. En quatre siècles, les rapports de force démographiques étaient à plus de 75% en faveur des adeptes de Mohamed :
100 000 contre 50 000 pour les Juifs et les Chrétiens.

Selon le démographe israélien, Sergio Della Pergola, né en 1942 à Trieste (Italie), spécialiste de la population de la région, le nombre de Juifs est passé de 5 000 en 1540 à 43 000 en 1890 avant de bondir à 630 000 en 1947. Cette dernière période correspond au mouvement sioniste déclenché par son Premier congrès tenu à Bâle (Suisse) en 1897 : en réaction aux pogroms et à la répression des Juifs en Europe – bien avant donc le nazisme – le Congrès ordonna le retour à la «Terre promise» : il organisa et finança les voyages, l’installation, l’achat et l’occupation de terres en Palestine alors sous occupation ottomane puis sous mandat britannique. Mais le nombre des immigrants juifs dépassa celui des Arabes chrétiens en 1914 (94 000 contre 70 000).
A la veille du «Plan de partage» décrété par les grands vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, le nombre de Juifs était, toujours selon Sergio Della Pergola, de 630 000, soit un peu plus de la moitié de celui des Arabes musulmans (1 200 000). Mais la grande injustice des vainqueurs était d’attribuer 55% des terres de Palestine aux nouveaux immigrants juifs et 45 % aux Arabes palestiniens.

Le «plan de partage de 1947» fut refusé par tous les Arabes. Et les guerres et les violences ne cessèrent depuis… Les sionistes – comme le démontre le nouveau plan de partage des Etats-Unis (28 janvier 2020) – disposeront à terme de tout ou presque de ce qui reste du territoire palestinien. Les irréductibles Palestiniens attachés à leurs terres ancestrales sont acculés à vivre dans des «bantoustans» à l’israélienne: des morceaux d’espace isolés les uns des autres sous contrôle strict israélien.

Répartition de la population selon les groupes d’âge en % (2020)

Le discours actuel des sionistes, qui reprend la philosophie des fondateurs de l’Etat hébreu, est d’acculer les Palestiniens à quitter les lieux pour rejoindre leurs frères en Jordanie ou ailleurs dans le monde. La diaspora palestinienne compte, depuis 1947, plus de 6 millions de personnes (les réfugiés, les exilés et leurs descendants).Les Palestiniens de l’intérieur se partagent entre quatre territoires séparés : il y a ceux qui vivent, sous le blocus israélo-égyptien, à Gaza (2 millions); ceux qui vivent – avec la nationalité israélienne – en Israël même (environ 2 millions), avec le droit de voter, mais sans le droit de résider en dehors des villes et villages qui leur sont assignés ; ceux qui vivent à Jérusalem-Est occupée(voir encadré) ; et ceux qui résident en Cisjordanie – en grande partie parsemée par les colonies israéliennes – soit 3 millions.

Plus de 850 000 colons vivent en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, et leur nombre ne cesse de croître. Ils vivent dans des blocs de colonies, au milieu des villages palestiniens, souvent dans un climat de tension – ils sont plus de 200 000 à Jérusalem-Est. Sans compter les implantations sauvages. Deux jours avant les élections de septembre 2019, Netanyahou a donné le feu vert à la légalisation de la colonie de Meevot Yericho, dans la vallée du Jourdain. Bardé du Plan Trump, les électeurs voteront quasi certainement en sa faveur lors des élections du 2 mars 2020. Depuis Theodor Herzl, Israël en fait n’a pas changé. Le réalisme n’a duré qu’une courte période – celle du processus de paix dit d’Oslo (1993-1995) mort et enterré comme son parrain feu le Premier ministre Yitzhak Rabin, assassiné par un extrémiste juif. Aujourd’hui, les Juifs vivent en paix avec tous leurs voisins. Personne ne peut imaginer que l’Egypte, la Jordanie, la Syrie ou l’Irak brandiront de nouveau un jour la hache de guerre contre Israël. Au contraire, la plupart des pays du Moyen-Orient coopèrent discrètement avec lui. Il manque une seule – la plus déterminante, la plus dangereuse – la paix avec les Palestiniens.

La bombe ne sera pas atomique, celle de l’Iran  n’est qu’une menace hypothétique. Brandie par les extrémistes de tous bords pour maintenir l’état de tension permanente entre Juifs et Musulmans. La bombe sera – dans dix ou cinquante ans – démographique. Savez vous qu’aujourd’hui 43 % seulement de la population israélienne est jeune (0 à 24 ans)? Et qu’en face, il y a une force humaine d’avenir qui pèse 64% de la population de Gaza et 56 % de celle de la Cisjordanie.

Si du temps de Theodor Herzl les Juifs étaient partout persécutés en Europe, ils ne le sont plus aujourd’hui ni en Europe, ni ailleurs. Il y a certes des ersatz de haine et de violence, résultats de provocations réciproques. Mais l’élimination systématique des Palestiniens du « circuit » politique, économique, social et culturel conduira – comme le fut l’extermination systématique des Juifs par les Européens – à une crise de dimension mondiale. Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Gare aux têtus.

S.G.

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