News - 25.10.2019

40e jour de son décès: on l’appelait Saïdouna

Saïdouna Tous l’appelaient

L’égérie de Béji Caïd Essebsi, Saïda Chedlya Farhat, Saïdouna pour tous, est morte d’un double chagrin. Celui du décès, un mois vingt-cinq jours auparavant, le 25 juillet dernier, de son compagnon  pendant plus de 60 ans, «Sil Béji», comme elle l’a toujours affectueusement appelé. Et celui de l’éloignement à l’étranger, depuis fin août, de son fils, Hafedh. En ce dimanche 15 septembre 2019, une page d’amour, de passion, de vie de famille, se tourne. La douleur est immense parmi tous les siens, encore pas remis de la dure épreuve provoquée par la disparition du chef de famille.

Tout s’était rapidement accéléré: Saïdouna qui n’avait accepté de gaîté de cœur de s’installer à la résidence Dar Essalem, réservée dans l’enceinte du palais de Carthage, était ravie de retrouver la maison familiale à la Sénia Farhat, la Soukra. Les quatre ans et demi «d’éloignement» à Carthage ne lui étaient pas faciles à tirer, mais elle devait s’y faire. « Ici, jamais je ne me suis dit je suis l’épouse du Président. Cela ne m’avait guère effleuré la pensée, confiait-elle. » Dès le décès de Béji Caïd Essebsi, elle était pressée de rentrer à la Soukra, bien que le président par intérim, Mohamed Ennaceur, un ami de la famille de très longue date, n’ait jamais cessé de la mettre à l’aise, l’invitant à continuer à résider à Dar Essalem, le temps qu’il lui faut. Mais Saïdouna avait hâte de partir. Si elle était restée encore quelques jours à Carthage, c’était pour y recevoir des visiteurs officiels venus de l’étranger pour présenter leurs condoléances.

La maison familiale, demeurée toujours ouverte, était repeinte et prête à l’accueillir. Saïdouna voyait dans ce retour à la Soukra la fin d’une parenthèse officielle et la reprise d’une vie normale, entourée des enfants, des petits-enfants et des proches. Elle n’aura pas eu le temps de savourer longuement sa «relocalisation». Prise d’un malaise subit, samedi soir, transférée d’urgence à l’Hôpital militaire, elle rendra l’âme tôt le dimanche matin.

Dans cette résidence qui n’a rien de luxueux, chargée de vécus doux et harmonieux, le souvenir de Sil Béji est partout présent. Personne n’arrive encore à réaliser son départ, comme si tous pensaient à un simple voyage, comme il en avait l’habitude. Saïdouna, inconsolable, cherchait à cacher son chagrin, heureuse de voir ses enfants, ses petits-enfants et ses arrière-petits-enfants réunis autour d’elle. Très famille, elle s’y était consacrée.

Une longue histoire d’amour

Tout avait commencé au milieu des années 1950. Béji Caïd Essebsi, encore étudiant en droit à la Sorbonne à Paris, rentrait en vacances chaque été pour savourer la plage et la compagnie de ses amis en banlieue nord. Pensait-il déjà à se marier ou, du moins, se fiancer? L’idée ne lui trottait pas par la tête. C’est en 1954, comme il nous le confia, alors qu’après son retour il s’était installé en tant qu’avocat au cabinet de Me Fathi Zouhir, qu’il avait vu pour la première fois furtivement, chez des amis, en banlieue nord, une jeune demoiselle, venue à bicyclette, en robe d’été. Coup de foudre? Béji ne le dit pas, mais le reconnaît. Ils se reverront. Béji est pressé par les siens d’y aller. Les familles sont au parfum. La demande en mariage se fera dans les traditions, au cours de l’été 1956, en pleine euphorie de l’indépendance. Ils resteront fiancés pendant trois ans avant de se marier ... un samedi 8 février 1958.

... Et un voyage de noces annulé

Le président Béji Caïd Essebsi racontera ce mariage, par ricochet, en évoquant l’attaque de l’armée française, ce jour-là, contre Sakiet Sidi Youssef.

«Le 8 février 1958 était un samedi, écrivait-il dans son livre Habib Bourguiba – Le bon grain et l’ivraie (Sud Editions, 2009). C’était pour moi un jour mémorable. Je me trouvais d’abord, en ma qualité de chef de l’administration régionale, à une commission d’arbitrage budgétaire auprès du ministre des Finances Hédi Nouira, veillant à préserver les moyens de mon Département. La séance se prolongeait indéfiniment. C’est Nouira qui me libère à 16 heures, étant au courant de la contrainte qui me tenaillait. C’était en effet le jour où je devais célébrer mon mariage à Hammam-Lif, en principe à 18 heures. J’arrive à temps pour me changer. Taieb Mehiri, qui devait être mon témoin, ne pouvait raisonnablement tenir l’engagement, étant pris avec Si Bahi et le Président dans les suites du bombardement de Sakiet Sidi Youssef. Deux amis personnels invités, qui étaient gouverneurs, ont reçu l’ordre de regagner immédiatement leurs postes. Les seuls membres du gouvernement qui ont pu assister étaient Ahmed Ben Salah, Abdallah Farhat et Mustapha Filali; venant tous les trois de Radès, ils avaient pu accéder à Hammam-Lif sans passer par les barrages routiers installés dès le milieu de la journée.

Le lendemain, nous nous préparons, mon épouse et moi à partir en voyage de noces quand un appel téléphonique rompt les préparatifs. «J’espère que le mariage s’est bien passé et que la mariée est contente!» C’était la voix du Président Bourguiba. Je le remercie pour ses félicitations, mais il enchaîne: «Tu sais que la lutte n’est pas terminée, nous sommes en pleine bataille et nous ne sommes pas si nombreux. Tu occupes un poste clé qui ne peut pas rester vacant.

  • Dois-je venir maintenant?
  • Nous t’attendons demain!»

Mon épouse a compris que le voyage était compromis et qu’il en sera souvent ainsi.»
Saïdouna et Béji auront quatre enfants: deux filles, Amel, mariée à Nabil Hamza, et Saloua, mariée au Docteur Moez Belkhodja. Et deux garçons: Mohamed Hafedh, marié à Rym Reguig, et Khélil, marié à Zeineb Trabelsi.

Directrice de centre de formation

Issue de la famille Farhat, des propriétaires terriens doublés de juristes et d’intellectuels, Saïda portait également le prénom de Chadlia, en référence au Saint de Tunis, Sidi Belhassen Chadly. Depuis ses premiers souvenirs (elle est née le 1er août 1936), elle avait toujours baigné dans la douceur de la vie familiale, nourrie d’affection et de convivialité. Une photo d’elle, encore enfant, à côté de son frère feu Chedly illustre ce bonheur. Comme les filles de son âge et de son entourage, elle sera inscrite à l’école Notre Dame de Sion, rue de Hollande, qui prodiguait un enseignement du primaire au secondaire. A l’issue de ses années de lycée, elle commencera à travailler. Son premier poste confirmé sera à l’Office de la formation professionnelle et de l’emploi, nouvellement créé par... Mohamed Ennaceur. Première mission confiée à Mme Caïd Essebsi: ouvrir un centre de formation d’assistantes médicales, dans le cadre de la coopération tuniso-suisse. Le centre sera implanté dans une vieille maison récupérée au Bardo et Saïdouna en sera la directrice, mais surtout la marraine des jeunes filles qui y étaient admises, qu’elles couvaient comme ses propres filles.

Un sens inné

Cette affection naturelle pour les autres était pour Mme Caïd Essebsi dans son ADN. Dès les premières années de son mariage, elle avait compris qu’il lui appartenait, avec un époux très pris, de s’occuper de tous. «C’est une femme très vertueuse, dira d’elle le président Béji Caïd Essebsi. C’est elle qui a porté toute la famille. Il m’arrivait de partir le matin au bureau au ministère de l’Intérieur, pour y rester trois jours de suite, sans rentrer à la maison lui léguant l’entière responsabilité de la famille. C’est pour elle un sens inné, hérité de ses parents qui l’ont élevée dans de nobles valeurs.»

Jusqu’à ses derniers jours, Saïdouna était dans cette attention soutenue qu’elle accordait à tous ceux qui l’entouraient. Un enfant qui tombe malade, et la voilà tout lâcher pour accourir à son chevet, témoigne l’une de ses proches. Elle était toujours là, dans les moments difficiles, apaisante, consolante, réconfortante.»

Qui est la femme de Sil Béji? s’est demandé Bourguiba...

Saïdouna avait une autre qualité maîtresse: la discrétion. «En 30 ans avec Bourguiba, nous confiait le président Caïd Essebsi le 3 août 2018, elle n’apparaissait pas dans les réceptions officielles et autres. A tel point que lors d’un déjeuner avec George Bush père, le président Bourguiba s’adressant aux épouses des membres du gouvernement présentes, demandera: qui est la femme de Sil Béji?» Cette discrétion se poursuivra lors de l’accession de son mari à la présidence de la République en 2015. Saïdouna ne l’accompagnera durant ses nombreux voyages officiels à l’étranger qu’une seule fois, durant les quatre années et demie de son mandat. C’était lors de la visite d’Etat en Suède, en novembre 2015, protocole royal exige. Quant à ses rares apparitions publiques en Tunisie, elle les avait réservées à la célébration de la fête de la Femme, le 13 août, ou à des visites officielles de couples présidentiels et royaux (Macron, le roi de Jordanie...)

Avait-elle une influence politique sur son mari? «Beaucoup la lui prêtent pour ce qui est de la défense de son fils Hafedh, répond l’un de ses proches. Quant à une ascendance effective sur les affaires de l’Etat, elle n’y a pas interféré du tout, d’abord, de nature et aussi connaissant bien le caractère de Sil Béji.»

Arrachée à l’affection des siens, Saïdouna est partie, drapée dans sa dignité, la mort dans l’âme, et les secrets jalousement gardés dans le cœur.

Allah Yerhamha.
 

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