News - 24.07.2019

Ezzeddine Ben Hamida: La politique monétaire de la banque centrale en question?

Ezzeddine Ben Hamida: La politique monétaire de la banque centrale en question?

Notre objectif est de nous interroger sur les réelles motivations ayant conduit les autorités monétaires tunisiennes à augmenter progressivement le taux du marché monétaire (TMM) de plus de 3,25 points en pourcentage depuis avril 2014, passant ainsi de 4,5% à 7,75% en avril 2019.

Source : www.bct.gov.tn

Certes, avec un taux d’inflation de 7,5%, le taux directeur réel est de 0,23%, mais les acteurs économiques (y compris les citoyens) distinguent-ils spontanément le réel du nominal ?   Ne sont-ils pas, comme disait J.M. Keynes, victimes d’illusion monétaire ? Des taux d’intérêts nominaux qui avoisinent les 12% ne sont-ils pas de nature à dissuader les ménages d’accéder à la propriété ? Ce niveau de loyer de l’argent ne va-t-il pas décourager les entrepreneurs et par conséquent freiner la reprise économique? Etc.

1/ La démarche économique

Dans le cadre des politiques conjoncturelles, c’est-à-dire des politiques de court terme visant à améliorer rapidement des grands indicateurs économiques (inflation, chômage, croissance, déficit extérieur), l’Etat dispose de deux leviers : la politique budgétaire, fondée sur les recettes et les dépenses, et la politique monétaire, qui est composée d’instruments monétaires : émission monétaire, taux de change et taux d’intérêt.  

En Tunisie, comme ailleurs, l’orientation de la politique monétaire s’appuie sur deux piliers : Une analyse économique et analyse monétaire.

1.1/L’analyse économique

L’analyse économique considère les données conjoncturelles susceptibles de provoquer des pressions inflationnistes  dans le pays : tensions sur la production et la consommation, coût salariaux, prix de l’énergie, le taux de change et particulièrement les composantes de l’indice des prix à la consommation harmonisé. Par exemple : Si l’appareil productif n’est pas en mesure de répondre à une demande supplémentaire de consommation ou si la hausse des salaires n’a pas été compensée par des gains de productivité le risque d’inflation est réel. Il faut dans ce cas regarder du côté des politiques monétaires pour choisir le meilleur instrument afin de contrecarrer ce risque.

1.2/ L’analyse monétaire

L’analyse monétaire vérifie la conformité de l’évolution de la masse monétaire avec l’objectif de croissance de cette masse. Si on s’est donné pour objectif de ne pas dépasser un taux d’inflation de 7% à moyen terme et si la croissance en volume de la production suit un rythme annuel moyen de 2,5%, on obtient une croissance annuelle moyenne du besoin de liquidités aux alentours de 9,5%. Le dépassement de cet objectif de croissance annuelle de la masse monétaire témoigne d’un excédent de liquidités. Cet excès est lié généralement à l’expansion des crédits. Il peut résulter également d’entrées importantes en devises (privatisations et/ou transferts de revenu) ou encore de réaménagement des portefeuilles en faveur de la liquidité.

L’analyse de cet ensemble de données aboutit à un diagnostic de tension ou non sur les prix et oriente en conséquence la politique de taux d’intérêt. En Tunisie, le Gouverneur de la Banque centrale (BCT), monsieur Marouane Abassi, et son Conseil d’administration ont fait le choix pour la cinquième fois, en seulement un an, de relever de 100 points de base le TMM ; il passe ainsi de 6,75% à 7,75%.

2/ La dépréciation du dinar est la première cause des pressions inflationnistes

Le communiqué de la BCT justifie en effet  l’augmentation de 100 points de base son taux directeur par la poursuite des pressions inflationnistes, 7,1%. Ainsi, l’objectif recherché est de rendre les crédits assez chers afin de limiter la demande de consommation. En clair, d’après de la BCT la baisse de la demande entraine une baisse des prix. C’est vrai, dans beaucoup de cas !

Cependant, dans le cas de la Tunisie l’inflation est incompressible car il s’agit bien d’une inflation importée. La dépréciation du dinar de plus de 45% en l’espace de 5 ans, explique en toute évidence l’aggravation du déficit commercial et le poids de la dette. En effet, nous sommes très dépendant de l’extérieur et ceci sur tous les plans.

En outre, par manque des gains de productivité du travail la baisse de la parité du dinar est répercutée systématiquement sur les coûts de revient, les consommations intermédiaires et les technologies sont pour l’essentielles importées. Aussi, il est urgent de mettre tout en œuvre pour redresser la productivité du travail et du capital. C’est ainsi qu’on pourrait amortir les chocs de la dépréciation du dinar.

3/ La hausse du TMM: quelles conséquences?

En filigrane, c’est le citoyen et les investisseurs qui vont payer in fine la sale facture. En effet, le taux directeur, est celui  auquel les banques s’empruntent et se prêtent de l’argent  entre elles avant d’ajouter leur marge propre. Il joue un rôle primordial dans la régulation financière et évolue en fonction de l’inflation et/ou du chômage. 

Contrairement aux crédits à moyen et court terme, qui subissent les aléas des taux variables, les crédits à long terme avaient bénéficié jusqu’à récemment d’un taux fixe. Désormais, même les crédits sur 20 ans sont sujets à la variabilité du TMM. Ceci représente une véritable entrave à l’investissement à cause de l’incertitude qu’il engendre. Et ceci pour tous les acteurs économiques :

  • Pour les consommateurs le risque que les mensualités augmentent est réel. L’accès par exemple à la propriété devient très problématique.
  • Pour les entrepreneurs, l’incertitude est un paramètre très important qu’ils cherchent à maîtriser coute que coute. L’augmentation du taux d’intérêt rend le coût de l’investissement trop élevé et baisse la rentabilité économique. Elle exerce donc un effet désincitatif. Voilà qui va encore aggraver la situation. 

Concrètement, vu que l’essentiel des emprunts pour les consommateurs sont à court et moyen terme (CMT) et par conséquent indexé au TMM, l’effet des augmentations récentes des salaires serait nul.

4/ Orthodoxie monétaire inefficace et nuisible

L’orthodoxie monétaire prônée par la BCT  est à la fois inefficace et nuisible:

Elle est inefficace car le consommateur ne raisonne pas en terme de taux intérêt et de salaire réel, c’est-à-dire sans effet-prix, mais en terme nominal, c’est-à-dire avec effet-prix. Ils sont donc victime d’illusion monétaire.

Elle est nuisible car elle conduit à l’incertitude. Les anticipations des investisseurs vont être pessimistes. Ce qui entraîne une réduction des investissements, la consommation et donc de la demande. L’insuffisance de la demande génère une hausse du chômage involontaire.

Ce qu’il faut retenir

La lutte contre l’inflation passe inéluctablement par le redressement du dinar et de la productivité globale des facteurs de production. 

Continuer à hausser le TMM pour contrer les pressions inflationnistes, c’est comme tenter de faire rentrer de force une grosse cheville ronde dans un petit trou carré ; nos orthodoxes monétaires risquent donc de briser à la fois la cheville et le trou… ! 

Ezzeddine Ben Hamida

 

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