News - 09.07.2017

La Tunisie n'a pas le monopole de la corruption

De la corruption
Le phénomène de la corruption qui a frappé notre pays et les récentes arrestations qui s’ensuivirent ne sont pas particuliers à notre société. Parce qu’il est d’autant plus destructeur qu’il est inhérent à la morale sociale, ce fléau a toujours été, à travers les âges, le ver qui ronge insidieusement le fruit, cette  morale sociale qui règle et régit la collectivité depuis la nuit des temps. Construite selon des principes intangibles et des traditions immémoriales, elle est censée permettre à la société de vivre d’une manière harmonieuse; ce à quoi tout un chacun aspire.
Comme l’histoire, selon Polybe, «est l’école où il y a le plus à profiter pour les mœurs, puisqu’elle seule nous met à portée, sans inquiétude et sans péril, de juger de ce que nous avons de meilleur à faire», pour exemple je me réfèrerai à deux cas de la Rome antique républicaine et celui de la France du début de ce siècle.

Dans les années 111-105 avant notre ère, il y eut en Italie et en Numidie deux guerres civiles parallèles dont le déroulement de l’une ne manquait pas d’influencer l’autre. En Numidie, le roi Micispsa, mort en 118, partagea son royaume entre trois prétendants, Adherbal, Hiempsal, ses deux fils, et Jugurtha, son neveu, pourtant fils illégitime, né d’une concubine. Micispsa l’avait adopté et légitimé à cause de la pression romaine. Or à Rome, l’opinion était divisée depuis un certain temps déjà à propos de la Numidie: il y avait, d’une part, les oligarques de la noblesse et du Sénat, conservateurs et, d’autre part, les démocrates du parti populaire.

Jugurtha, qui s’était attiré la sympathie des sénateurs lors de la guerre de Numance, ne se contenta pas de sa part lors du partage du royaume par une commission sénatoriale; il fit tuer Hiempsal, puis Adherbal. Rome lui déclara alors la guerre.  L’historien Salluste écrit à ce propos:

«En 111, le consul Calpurnius Bestia emmena comme légat en Afrique le prince du Sénat, Aemilius Scaurus. Jugurtha déclara qu’il capitulait et obtient la paix. Le parti sénatorial n’était pas d’avis que Rome dût s’engager dans une guerre coloniale qui s’annonçait difficile et sans profit. Mais le parti populaire accusa les généraux romains de s’être laissé acheter; le tribun Caius Memmius obtint qu’un prêteur allât inviter Jugurtha à se rendre à Rome comme témoin de l’enquête. Jugurtha vint en effet; mais lorsque Memmius l’interrogea, un autre tribun lui enjoignit de se taire. Il osa faire assassiner dans la ville même un prétendant numide, Massiva, fils de son oncle Gulussa. Pour mettre fin à ces manoeuvres de corruption, on le fit partir: il quitta Rome en s’écriant: ‘’Ville à vendre, et qui ne tardera pas à périr si elle trouve un acheteur‘’».

Aujourd’hui le phénomène de la corruption semble suivre le sillage de la globalisation. Le fléau est tellement ravageur que depuis 1995, Transparency International, une ONG créée en 1993 pour lutter contre «l’abus d’une fonction publique à des fins d’enrichissement personnel», tente d’évaluer le phénomène à travers la planète, en sondant les sentiments des hommes d’affaires, des intellectuels et des analystes de risques.

Bien que pour des raisons techniques, seuls 91 pays se trouvent concernés, le tableau que cette ONG publie régulièrement chaque année illustre, on ne peut mieux, la désintégration de la morale sociale et le manque de probité chez les citoyens, partout, dans tous les pays, les riches comme les pauvres. Certes, selon le classement publié en juin 01, c’est le Bangladesh, le plus pauvre de la planète, qui arrive en tête dans ce sinistre classement; une fois encore, le cercle vicieux de la pauvreté et de la corruption se trouve souligné; ce sont les pauvres qui restent les principales victimes du système; mais que dire des pays du G9, comme  la France, l’Italie, la Chine ou  la Russie, traînant les pieds en queue de peloton ? Et pourtant, cet indice de perception de la corruption ne tient pas en compte «les paiements occultes destinés aux financements des campagnes électorales, de la complicité des banques dans le blanchiment d’argent ou encore de la corruption due aux multinationales.»

En France, nous citerons en premier lieu, l’affaire Elf car ce scandale avait fait grand bruit à l’époque, rattrapant pendant des jours son butin d’hommes politiques. Tout le monde en convient, les juges, les prévenus, les journalistes, les politiciens et surtout l’opinion publique. Au début de ce siècle, les eaux troubles n’en finissaient pas de gonfler et de s’étendre, surtout après l’arrestation rocambolesque d’Alfred Sirven. L’épisode «Roland Dumas-Christine Deviers-Joncour» était le premier volet de l’affaire Elf à avoir été soumis au tribunal. Le 30 mai 2001, les juges de la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris avaient infligé de lourdes peines à ses principaux acteurs mais ce volet ne fut pas clos pour autant, tous ayant interjeté appel.

Véritable boîte de Pandore depuis qu’elle s’ouvrit pour l’enquête sur les détournements, entre 89 et 93, l’affaire Elf n’avait pas fini de créer la surprise; Loïc Le Floch-Prigent et Roland Dumas n’ont pas attendu la Cour de cassation pour régler leurs comptes avec certaines personnalités au pouvoir, ou dans l’opposition. C’est ainsi que les citoyens français apprirent avec stupeur qu’il existait un ‘modus vivendi’ à propos du transport aérien dans la sphère politique: si les membres du gouvernement utilisaient les avions du Glam pour leurs déplacements, ceux de l’opposition, notamment Pasqua et Madelin, se servaient, quant à eux, de la flotte d’Elf, en toute quiétude.

Plusieurs volets restèrent en suspens ou à découvrir au détour de ceux qui étaient en cours d’instruction, comme l’affaire Bidermann, les commissions d’Elf, les salariés d’EAI ou encore les frégates de Taïwan. A propos de ces dernières, Roland Dumas avait imité l’ancien président d’Elf et, à son tour, sans attendre le résultat de son appel devant la Cour de cassation, fit au journal Le Figaro des «révélations fracassantes», incriminant des ministres socialistes.

La rumeur courut que l’enquête n’avait démarré que sur un ordre venu d’en haut. Comme cette dernière ne portait que sur une période bien déterminée, celle de la présidence de Loïk Le Floch-Prigent, un bruit persista: celui d’un règlement de comptes dans les hautes sphères. Et les médias d’intervenir. Pêle-mêle, l’opinion publique fut assénée de noms célèbres, de manigances politiciennes. Qui a cédé l’entreprise publique au groupe privé Total-Fina? Qui a nommé Jaffré pour remplacer Le Floch-Prigent? Qui lui a donné le feu vert pour faire démarrer l’enquête?
Presque en même temps que l’affaire Dumas, se déroulait un autre procès encore plus révélateur de la turpitude qui régna dans les hautes sphères d’un pouvoir censé représenter l’exemple parfait de la morale sociale régissant ce pays. Le prévenu principal de ce procès était Colé, ancien patron de la Française des Jeux. Poursuivi d’abus de biens sociaux et émission de fausses factures lui ayant permis de bénéficier d’une rémunération occulte au temps où, à l’Elysée, il faisait fonction de conseiller pour l’image de François Mitterrand, il trouva ces mots pour justifier sa conduite: «Je m’attendais à des médailles et je suis couvert de plumes et de goudron.» (Le Monde 01/06/01).

Ainsi donc va le monde; après chaque révélation, la justice suit son cours; après avoir éliminé les éléments de trouble, elle assure le retour à l’accalmie, rétablissant de nouveau la paix et la sérénité entre tous les citoyens. Ainsi est assuré, pour une durée indéterminée, un ordre nouveau, et instaurée une pause dans le recours à la corruption. Résultat heureux, moral, bénéfique et optimiste, car ainsi l’humanité s’assure la pérennité: toujours renaissant de ses  cendres comme l’oiseau mythologique, le Phénix, signe de vitalité rassurante, de bon pronostic, mais sans garantie d’éviction définitive de turbulences ultérieures ni, à plus forte raison, de leur éradication..
Rafik Darragi
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