Opinions - 21.02.2014

De l'inexpérience politique aux confusions médiatiques

A ce jour, nul ne peut encore prétendre avoir une vraie expérience politique puisque nul n’a jamais encore évolué dans le cadre d’un environnement démocratique avéré.

D’un côté, nous avons les vieux dinosaures qui ont  participé à l’ancrage de la dictature ou alors qui s’y sont opposés exclusivement par la critique sans aucun résultat tangible. D’ailleurs, le déclenchement d’une révolution spontanée est  venu  confirmer leur manque de légitimité et de crédibilité aux yeux du peuple. Ils sont par conséquent des références en matière de dirigisme ou d’opposition stérile, mais ne sont certainement pas des références en matière de pratiques démocratiques.

D’un autre côté, nous avons Ennahdha qui suite aux élections, s’est  retrouvée au pouvoir avec une très faible légitimité. Pour y remédier, elle a bien manœuvré en constituant une troïka avec deux  partis  laïcs qui lui ont offert une  majorité à l’ANC en contrepartie d’une participation  à l’exercice du pouvoir. Ils se présentent, sans vraiment arriver à convaincre, comme un laboratoire démocratique. 

Enfin nous avons une nouvelle classe qui aspire à s’investir en politique mais dont l’esprit a été largement formaté par les pratiques dictatoriales à travers lesquelles elle a  évolué. Lorsqu’on y rajoute la notoriété des dinosaures, on comprend qu’elle a du mal à émerger aux  yeux d’un peuple qui confond encore entre la légitimité du créateur, celle des urnes, les résultats des sondages, la visibilité et la notoriété de l’âge. 

De fait, Ennahdha est le seul mouvement qui s’adapte le mieux et évolue le plus rapidement sur la scène politique même si rien ne prouve encore qu’il ait une réelle volonté d’instaurer une démocratie.

Toutes ces inexpériences combinées ont mené vers la violence politique et le chemin de la faillite économique.Ainsi,  plus par contrainte que par stratégie, mais surtout par une féroce volonté de se maintenir au pouvoir, Ennahdha a fini par accepter de participer à un dialogue national parrainé par la société civile. On peut le qualifier d’expérience réussie qui a permis d’éviter le pire. Il en a résulté une constitution citée en exemple et la prise en main des affaires de l’Etat par un gouvernement essentiellement composé de compétences apolitiques. Reste à surveiller de près  la  neutralité du Ministre de l’intérieur pour s’assurer du bon déroulement et de la transparence des prochaines élections. 

Malgré ce résultat positif,  un profond malaise persiste car ce résultat n’est pas la conséquence d’une stratégie politique clairement établie mais plutôt la conséquence d’un chaos qui s’est révélé créateur. Les divisions se traduisent  de manière claire à différents niveaux, de la sécurité jusqu’aux  médias en passant par l’administration personne n’arrive encore à rester suffisamment neutre et à égale distance de tous ces mouvements politiques et de toutes ces alliances qui se font et se défont au gré des intérêts du moment. Personne n’arrive encore à se défaire totalement des anciennes pratiques dictatoriales ni à  développer une attitude et un langage suffisamment démocratique et inclusif pour rassurer les Tunisiens face aux changements agressifs qu’ils subissent.

A titre d’exemple, beaucoup martèleront qu’il n’y a jamais eu de révolution en Tunisie et que  tout ce qui est arrivé n’est qu’une stratégie déclenchée et manipulée à partir de l’étranger pour répondre à des intérêts internationaux qui nous dépassent. Tout autre raisonnement relèverait de la naïveté politique.

D’autres, qui croient fermement en une révolution spontanée menée exclusivement par des Tunisiens afin d’arracher leur citoyenneté longtemps usurpée se vanteront de leur exploit et taxeront  les premiers d’irresponsables et  d’orphelins de la dictature. 

Deux raisonnements totalement opposés et déstabilisants pour un peuple qui a été habitué pendant des décennies à s’accommoder d’une pensée unique produite par et pour le système. Un système pour  lequel les médias n’ont été  que des caisses de résonance. Leur rôle se limitant à marteler un message précis jusqu’à ce qu’il atteigne dans l’esprit de la population le statut de vérité avérée.

En lisant et en écoutant les médias d’aujourd’hui, on se rend compte  que l’évolution de ce côté reste encore à venir. Si les messages se sont diversifiés, le mode de fonctionnement est souvent resté le même. En effet, la plupart des médias n’informent pas de manière variée, professionnelle et neutre laissant le citoyen se forger sa propre opinion  mais continuent d’orienter ses réflexions selon  les intérêts du clan qu’ils ont choisi de soutenir.
Or, à un moment où la population est aussi déstabilisée et vulnérable, la liberté d’expression nécessite d’avoir un sens très aigu des  responsabilités afin d’être en mesure d’évaluer l’impact et les conséquences des informations délivrées et d’éviter une bipolarisation prématurée. Le rôle des medias en devient central pour aider la  population  à se forger une opinion intelligemment construite et nuancée qui lui permet d’atteindre la maturité politique.

Par ailleurs, il est vraiment désolant de constater le dénigrement  systématique entre les adversaires politiques, comme si chacun ne pouvait convaincre du bien fondé de sa propre vision qu’en dénigrant et en détruisant les autres par toute sorte d’accusations, d’insinuations et même de fausses informations. Ce comportement se constate malheureusement chez les hommes politiques qui se veulent hommes d’Etat et se traduit bien évidemment  dans les médias.

Les plus visés par ce type de dénigrement restent nos compétences qui bénéficient d'une reconnaissance internationale. Le dernier en date qui me vient à l’esprit et il est loin d’être le seul, c’est Kamel Bennaceur notre nouveau Ministre de l’Industrie. On met en doute sa neutralité politique et son patriotisme l’accusant de servir les intérêts de son ex-employeur Schlumberger en matière de gaz de schiste.

Pour avoir été membre cofondateur d’Afek Tounes, je peux affirmer que Kamel Bennaceur n’a jamais  adhéré à ce parti  dont on l’accuse d’être membre ni à aucun autre à ma connaissance.

Maintenant  si je ne peux discuter des chiffres et du potentiel de la Tunisie en matière de gaz de schiste,  je  peux  par contre aisément affirmer que pour Schlumberger qui a une dimension planétaire,  la Tunisie n’est qu’un point infinitésimalement petit qui n’a aucun impact sur ses intérêts.

Lorsqu’on a la stature  d’un Kamel Bennaceur on ne rentre pas dans son pays en service commandé par des tiers. On y rentre pour honorer la confiance des investisseurs étrangers dont le pays a grandement besoin. On y rentre par patriotisme afin de servir du mieux son pays. Aurait-on oublié qu’il ne s’agit que de quelques mois à un moment aussi délicat de notre Histoire? En effet en dix mois, Kamel Bennaceur ne pourra pas toucher  au dossier du gaz de schiste qui demande beaucoup de temps pour réaliser les études approfondies nécessaires afin de réduire au maximum les risques d’extraction.  Ce sera à son successeur de prendre une décision sur ce dossier.

Alors, lorsqu’on sous-entend qu’il serait rentré pour servir  les intérêts de Schlumberger, ca me révolte et me fait plutôt penser au député Gassas qui était convaincu d’avoir réalisé un exploit en défiant à l’ANC le Premier Ministre Mehdi Jomaa!

Pour conclure, il faudrait prendre conscience que des multinationales comme Schlumberger, ne peuvent évoluer sur la planète sans un minimum de rigueur, d’éthique et de valeurs qui n’ont rien à voir avec le populisme  ambiant  qui pousse à faire croire que la pratique démocratique se réduit a détruire son adversaire aux dépends des intérêts de la nation.

Il est plus que temps que l’on apprenne à construire proprement sans tout détruire autour. La politique se doit d’avoir un minimum d’éthique sans quoi n’acceptera de gouverner qu’une certaine catégorie !

Neila Charchour Hachicha
Tunis, le 21 Février 2014

 

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