Opinions - 09.03.2013

Pendant que les politiciens radotent, notre environnement capote!

Il n’y a pas que le remaniement ministériel, les volte-face et les lubies de M. Ghannouchi dans la vie des Tunisiens que diable ! Même si l’odieux assassinat du regretté Chokri Belaïd nous a tous rudement sonnés !

Bien sûr, le pays fait face à des problèmes de sécurité,  au  chômage et à la cherté de la vie mais la situation sur le plan environnemental a aussi de quoi inquiéter même si, hélas, nos responsables,  tant au plan national que municipal, s’en préoccupent si peu,  tout occupés qu’ils sont à jouer  la comédie du pouvoir avec ces tripatouillages politiques…cette mascarade sans fin. Or, l’environnement pose des questions d’une particulière gravité à la planète et à notre pays car la Nature — faut-il le rappeler  — pourvoit à notre eau, à notre air et à notre alimentation et décide donc de notre santé et de notre vie — comme de celle de tout le Vivant, tant il est vrai que l’écologie est d’abord un questionnement sur les rapports que l’on entretient avec la Nature.

Un livre qui pose des questions… mais ne va pas  au fond des choses

Un livre d’Hervé Kempf,  Fin de l’Occident, naissance du monde  (Editions du Seuil, Paris, janvier 2013)  donne l’occasion de revenir sur cette problématique. Journaliste au Monde, Kempf a déjà beaucoup publié sur ce sujet : «Comment les riches détruisent la planète», «Pour sauver la planète, sortez du capitalisme», «L’oligarchie ça suffit, vive la démocratie» …. ainsi que la relation d’un séjour à Gaza intitulé «Gaza, la vie en cage». Même si Hervé Kempf axe son propos sur la situation en Occident, son livre pétille d’idées lucides et prend à rebours le discours dominant. «Le péril commun appelle une réponse commune», s’écrie-t-il, pour souligner la dégradation de l’état de l’environnement dans le monde et affirmer d’emblée que le mode de vie occidental ne saurait perdurer sans risquer de sonner le glas de la vie sur cette terre.

C’est là que gît la «crise», assène l’auteur, et non dans l’euro ou l’antique étalon-or des économistes et des politiciens pour lesquels il a les mots les plus durs!  Et d’enfoncer le clou : «Le système économique qui détruit l’environnement quand il est en croissance le détruit aussi quand il est en crise». La libération ne viendra que d’un système économique  débarrassé du  dollar et «des aires économiques régionales supervisées par des banques publiques» car il ne faut pas «confier aux voleurs la clé du trésor : la Banque Centrale européenne est dirigée… par un ancien de la banque Goldmann Sachs… qui a aidé à maquiller les comptes de la Grèce» et, des deux côtés de l’Atlantique, les gouvernements sont truffés de banquiers et de représentants des grandes entreprises,  ajoute  Kempf.

Pour notre auteur,  «l’opposition entre la dynamique capitaliste et l’évolution rapide de l’écologie planétaire» — sous l’effet, en particulier, des émissions du gaz carbonique provenant de l’énergie fossile — va  décider de  l’avenir des humains. Pour éviter à la terre un réchauffement supérieur à 2°C — qui serait désastreux — le maximum de CO2 à ne pas dépasser doit impérativement être de 700 milliards de tonnes en 2050.

Pour notre auteur, «nous assistons à la fin d’un monde» dominé, trois siècles durant,  par l’Occident grâce à un atout majeur: le recours à l’énergie bon marché… des pays arabes et de l’Iran ! Ce qui fait la différence entre Orient et Occident, précise-t-il, ce sont des «opportunités écologiques particulières» car «sans le charbon et la découverte de l’Amérique», l’Europe serait encore dépendante  de son agriculture.

Dans les années 1980, la  prédominance de l’Occident rencontre  l’écueil des pays émergents qui n’aspirent… qu’à imiter le mode de vie consumériste, vanté par les films américains et les télévisions. Pour Kempf, on assiste là à «la grande convergence» qui va droit vers un système économique dévastateur pour l’homme et pour la planète. C’est pourquoi il plaide pour «la sobriété» car l’enrichissement sans fin promis par la croissance est illusoire dans un monde aux ressources épuisables.  En somme, l’économie n’est pas réductible à la seule logique du marché car, disait Jean-Paul Sartre, «L’argent n’a pas d’idées». En réalité, le progrès ne se mesure pas au moyen du  PIB  qui ne tient nullement compte de l’environnement et escamote les inégalités de revenus. Des indicateurs du développement humain bien plus précieux existent : le bien-être, la santé, l’éducation, la lutte contre les inégalités. 

Le livre d’Hervé Kempf prouve donc que la société de consommation n’est pas viable et ne saurait être l’horizon de l’Humanité. Ses émissions de gaz carbonique notamment détérioreraient de façon grave l’atmosphère et donc le climat.  Il propose que les capacités de l’atmosphère soient également réparties entre les humains. Idée avancée dès les années 1980 par  le regretté Anil Agarwal, directeur du Centre pour la science et l’environnement de Delhi.  Agarwal affirmait  que l’Occident, depuis la Révolution industrielle,  a bien plus pollué l’atmosphère — avec ses industries, son charbon et son mode de vie qui a saigné la planète — que les peuples du Sud, dépendants et colonisés à cette époque.

Cette pollution historique doit entrer en ligne de compte.  On sait ce qu’il en est advenu lors des récentes rencontres internationales sur le climat à Copenhague, à Rio + 20, à Doha…

Aujourd’hui, l’«american way of life» contribue énormément aux émissions globales pour ne rien dire des compétitions hippiques déplaçant par avion cinq cents chevaux de course à travers l’Atlantique, des canons à eau des stations de ski, du rallye automobile du Dakar, des golfs, des croisières… alors qu’un milliard et demi d’humains «vivent» avec un dollar par jour.

Que consomme en couches jetables, en lait, en produits cosmétiques… un bébé malgache ou bengali comparativement à un bébé canadien ou suisse ? Le Worldwatch Institute (Etats-Unis) a évalué, en 2004,  les dépenses annuelles pour les produits de luxe comparées aux sommes nécessaires pour la satisfaction de besoins essentiels : la nourriture pour chiens et chats  en Europe et aux E.U. engloutit 17 milliards de dollars tandis que l’élimination de la faim et de la malnutrition dans le monde réclame 19 milliards de dollars. Quant à  la dépense en crèmes glacées des Européens, elle  se monte à 11 milliards de dollars, alors que la vaccination de tous les enfants n’exige que 1,3 milliard de dollars(1).

Hervé Kempf relève enfin que  les plus riches (1%) reçoivent 14% du revenu mondial et que 20% des pauvres un peu plus de 1% mais il n’offre guère de solutions pour mettre fin — ne rêvons pas— ou pour atténuer au moins ce scandale. Il est vrai aussi que, dans les pays émergents (Inde, Chine…), l’inégalité s’aggrave  et les millionnaires pullulent.

Quid de la Tunisie ?

En Tunisie, le régime de Ben Ali a, par exemple, poussé la classe moyenne à se doter d’une voiture de cylindrée modeste afin qu’elle s’endette et devienne ainsi plus sensible  aux pressions du pouvoir.  Il a augmenté ainsi les émissions de CO2 des Tunisiens contraints souvent à cet achat du fait de transports publics déficients. 

De plus, en installant des municipalités à sa botte, le régime de Ben Ali a contribué à déresponsabiliser les citoyens à l’égard de leur environnement immédiat et encouragé l’incivisme. Ben Ali a poussé— au bénéfice des affairiste de tout poil — à une consommation qui a inondé le pays de plastique et bouleversé les habitudes alimentaires au point que l’hypertension artérielle et le diabète frappent aujourd’hui un grand nombre de Tunisiens... et voilà maintenant qu’ on annonce l’arrivée en Tunisie des multinationales  du  fast-food dont les graves inconvénients pour la santé ( obésité, excès de sel et de graisse…)  et l’environnement (élevage intensif, pesticides…) ont été si bien décrits par le cinéaste américain Michael Moore !  L’agriculture biologique, l’élimination des pesticides, des édulcorants, du sucre, des colorants alimentaires ont été  «oubliés» par le régime de Ben Ali.

Aujourd’hui, le domaine forestier national périclite  et on construit sur le domaine maritime de l’Etat, contribuant ainsi à dégrader nos côtes. Les crises environnementales se succèdent en un triste et long chapelet. Elles enlaidissent notre pays et remplissent d’amertume nos compatriotes : problèmes de coupures et de qualité de l’eau, difficultés des pêcheurs à Kerkennah, 10 000 forages illégaux criblent les nappes phréatiques du pays, Bou Salem sous la menace des inondations, Menzel Bourguiba croule sous les immondices  et la plage  de Tinja toute proche est souillée, la marina de Bizerte ne fait pas l’unanimité, la décharge sauvage de Zarzouna (Bizerte) et bien d’autres empestent le voisinage dans l’indifférence des responsables, le lac Ichkeul et  sa magnifique biodiversité… — inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO—   souffrent   d’une pollution chronique, la désertification avance, la salinisation des sols se manifeste par endroits ….

Le Centre de l’Université Yale du droit et de  la politique de l’environnement (Etats-Unis) a mis au point  un Indice de Performance Environnementale (EPI) qui classe, pour 2012, 132 pays par rapport à 22 indicateurs de performance  dans des catégories comme les maladies dues à l’environnement, les effets de l’air et de l’eau sur la santé humaine, le changement climatique, la biodiversité, les ressources halieutiques… Notre pays ne se classe qu’à la 99ème place , après le Sénégal et juste avant le Qatar, l’Irak étant lanterne rouge! C’est dire si nous avons des progrès à faire pour rejoindre la Suisse (1ère place) ou même le petit Costa Rica (5ème place).

A titre d’exemple, c’est ainsi que, dans le domaine de la santé environnementale, nous nous trouvons à la 66ème place, à la 77ème place pour celui des maladies liées à l’environnement et à la 72ème place pour celui des effets de l’eau sur la santé d’autant que  1.050.800 Tunisiens n’avaient pas accès à l’eau potable en 2010,  d’après le même Centre.  Quant à l’indice relatif à «la vitalité de l’écosystème» qui évalue la santé de l’écosystème d’un pays donné, il place notre agriculture à la 26ème place, l’effet des ressources en eau sur les écosystèmes à la 117ème place, nos forêts au 90ème rang… Ce Centre a aussi évalué les progrès réalisés d’une année à l’autre dans le domaine de l’environnement. La Tunisie se place parmi les pays qui ont réalisé des «progrès modestes», ne se plaçant qu’à la 40ème place, alors que l’Egypte  parvient au 5ème rang et que le Qatar et l’Arabie Saoudite voient, eux, leur environnement se dégrader et se trouvent respectivement aux 121ème et 130ème rangs(2).

Il est donc clair que notre environnement et nos modes de vie méritent toute l’attention de la communauté nationale. Politiciens, partis politiques, société civile, municipalités, simples citoyens… tous doivent se mettre à la tâche; car comment créer des emplois, empêcher les «harragas» d’embarquer sur les bateaux de la mort, attirer les investisseurs et les touristes dans un environnement dégradé ?

On parle beaucoup de l’initiative de l’UGTT et d’assises de salut public. Pour que de telles manifestations profitent pleinement au peuple tunisien, on ne saurait passer à la trappe la question essentielle, que dis-je, vitale de l’environnement.

Messieurs les politiciens, cessez donc de radoter et faites que l’environnement national soit au centre de vos débats avant que les étés tropicaux, les sécheresses ou les inondations ne nous prennent— à Dieu ne plaise —  à la gorge !

M.L.B.

(1) Voir M.L. Bouguerra, « La consommation assassine. Comment le mode de vie des uns ruine celui des autres. Pistes pour une consommation responsable », Editions ECLM, Paris, 2005.

(2) Les résultats complets peuvent être consultés sur www.epi.yale.edu.

 

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