Opinions - 03.12.2012

Avançons autrement !

Nous n’avons pas encore touché le fond et nous pouvons encore nous en sortir par le haut. Composons habilement avec nos ‘Démocratures’ et nos ‘Médiocraties’que nous ne pouvons renier car elles font partie de nous-mêmes et seraient un passage obligé dans notre réalité. Nous pouvons en contenir l’impact et la durée si nous travaillons autrement. Faisons émerger nos démocraties productives et distributives et nous finirons par nous en sortir par le haut incha Allah.

Nos difficultés augmenteraient plus vite que nos capacités à les résoudre et l’écart continuerait malgré tout à se creuser entre les aspirations des citoyens et la réalité de leur quotidien tant que :
• Les consommations ou dépenses de certains dépasseront leurs productions ou leurs recettes,
• Les compétences requises ne sont pas appelées aux fonctions prises,
• Les chantiers de véritable transformation de l’Etat n’auront pas été conduits (lesquels n’auraient pas encore été engagés au-delà du discours ou de l’étude pour ceux identifiés !)
• Notre classe politique s’attache davantage au pouvoir qu’à la satisfaction effective et durable des exigences des citoyens, privilégiant les bonnes intentions et les promesses de bonne foi aux véritables programmes de développement (que l’opinion publique doit comprendre avant les élections) et aux capacités avérées de générer des résultats,
• Nos investisseurs font semblant d’investir et s’engagent essentiellement dans l’immobilier,
• Nos médias ne mettent pas suffisamment de relief dans leurs informations, consacrant (au nom de la liberté d’expression), autant d’espace médiatique aux faits divers, dialogues de sourds, cris alarmistes et effets d’annonce sans résultats qu’aux challenges structurels du pays qui méritent sensibilisation du citoyen et obligation de la classe dirigeante.

La gestion des urgences au quotidien ne doit plus nous dispenser de lancer en parallèle et dans les meilleurs délais les travaux d’étude et de réforme profonde de nos institutions. Nous nous trompons en croyant que le problème est avant tout juridique et que nous faisons bien d’attendre les nouveaux textes de lois que l’ANC produirait ou inspirerait. Nous attendrions encore quelques années supplémentaires avant de réaliser que le gros du problème est opérationnel, que tout reste à faire voire à refaire (le législateur qui doit définir les nouvelles règles de la Tunisie ne sachant pas forcément ce qui est économiquement viable ou opérationnellement faisable, peut de ce fait se tromper).

Deux ans après la révolution, nous n’avons toujours pas de visibilité sur la réforme du dispositif sécuritaire de la Tunisie, pourtant annoncée comme prioritaire depuis début 2011. Nous nous contentons et félicitons d’une diminution des incidents et nous nous inquiétons et nous indignons d’une recrudescence du désordre ! Que fait-on pour maîtriser la sécurité à moyen terme ? Un schéma directeur permettant d’esquisser des évolutions possibles pour les 5 prochaines années serait pourtant d’une grande aide pour ce gouvernement provisoire s’il était amené à durer ou pour son successeur en cas de changement imminent, sans oublier le Ministère de l’Intérieur qui lui reste !

Notre système financier mérite réforme profonde, quelques idées ont été avancées et certaines initiatives engagées mais nos banques nationales qui devraient constituer de véritables motrices de financement du développement économique continuent sur leur lancée des décades précédentes, retardant certains financement (affaiblissant de ce fait certains projets) et laissant dans l’indifférence la plus totale un grand écart de performance se creuser avec les banques privées et filiales de multinationales !

Malgré toutes les bonnes et moins bonnes volontés, nos collectivités locales sont dans une configuration opérationnelle peu productive et peu efficace et nous croyons que la clé est dans les élections municipales que certains croient bien faire d’accélérer !

Sans même avoir rétabli nos collectivités locales dans le niveau d’efficacité requise sur le périmètre actuel de leurs prérogatives, sans avoir mis l’encadrement et les compétences nécessaires pour gérer correctement les finances locales et les services publics locaux, nous parlons déjà depuis plus d’un an d’une décentralisation magique et inéluctable qui va alourdir les charges de nos collectivités locales, transférer une bonne partie des pouvoirs et des moyens à des élus locaux en soif d’autonomie (lesquels n’auront pas eu le temps ni d’élaborer un programme électoral de développement local légitimant leur élection, ni de réunir les compétences requises pour l’exécuter).

Si les mesures de préparation, de transformation et d’accompagnement nécessaires ne sont pas prises à temps, nous décentraliserionsen fait plus rapidement l’inefficacité du service public, les mauvaises pratiques de gestion et l’insatisfaction des citoyens, qui assisteraient impuissants à une métastase de l’inefficacité de la gouvernance locale et de la corruption décentralisée (d’où risque d’émergence de nombreuses démocratures et/ou médiocraties locales ou régionales).

Avec la bonne volonté d’instaurer rapidement une démocratie locale participative, nous aurions instauré une médiocratie sans maîtriser sa durée de vie ni son évolution ! En effet, une fois le coup parti, il est difficile de déloger l’incompétence qui s’est installée de façon démocratique. Les dirigeants ayant la légitimité (celle des urnes sans celle du programme électoral de développement local et sans les compétences requises pour une bonne gouvernance locale) peuvent se transformer en dictateurs locaux sans pour autant que l’ANC, la présidencede la république ou le gouvernement n’y puissent quoi que ce soit, sans pour autant que les citoyens n’aient à leur portée une alternative autre que celle du désordre et de la révolution tenus de jouer les prolongations.

Donnons leurs chances à nos collectivités locales et régionales de réussir localement et régionalement ce que le gouvernement national ne peut pas réussir pour tous :
• Rénovons les fondations du développement régional et des collectivités locales avec une nouvelle organisation, des compétences complémentaires, des outils de pilotage des projets de développement et de gestion intégrée des services publics locaux…
• Préparons le cadrage d’une bonne décentralisation dans nos configurations locales et régionales, sécurisant des succès partagés s’appuyant sur les nouvelles fondations solides du développement régional et des collectivités locales avant tout élargissement des prérogatives actuelles à de nouveaux services publics locaux.
Alors que les impératifs de développement économique et social nécessitent un Etat fort pour donner les impulsions nécessaires à l’accélération de l’activité économique et une administration agile pour améliorer le climat des affaires et faciliter les transactions, nos efforts se focalisent sur un traitement superficiel des urgences et les initiatives à portées médiatiques, reportant de trimestre en trimestre les réformes profondes et esquivant les sujets qui fâchent, tel un détenteur d’un compte bancaire débiteur qui refuse d’en parler à son banquier ! Seule une gestion du développement public inspirée et soutenue par les méthodes et outils qui ont fait le succès des développements dans le secteur privé peuvent nous sauver.

A une cinquantaine de milliards de dollars, le PIB de la Tunisie est comparable au chiffre d’affaires d’une quelconque multinationale du CAC 40 qui gère son développement sur plusieurs secteurs et métiers à trois niveaux : global, régional et local. Nous avons besoin de gérer notre développement sur plusieurs secteurs et métiers à trois niveaux : national, régional et local. Les multinationales ont une obligation de planification et de réalisation en toute transparence vis-à-vis de la bourse de façon trimestrielle, elles adoptent pour cela des compétences, des approches, des processus et des outils adaptés. Pourquoi tarder à en adopter ce qui peut nous être utile?

Il a fallu du travail productif de 217 550 personnes, des compétences, de la technologie, une organisation efficace et une bonne vision pour chacun de ses métiers dans le monde pour que GDF Suez produise 90,7 milliards d'euros en 2011. Dans la compétitivité mondiale aujourd’hui, qui peut croire que la Tunisie peut prochainement afficher un PIB de 50 milliards de dollars sans stratégie pertinente, organisationefficace, compétences appropriées et technologies avancées pour faciliter le travail de ses 10 millions de citoyens ?
Nos gouvernants ont encore une chance de limiter l’aggravation de la situation en consacrant l’attention que la gravité de la situation du pays mérite avec les moyens nécessaires aux vrais chantiers de la Tunisie, confiant au plus vite aux compétences appropriées les réformes structurantes des appareils critiques de l’Etat.
Oui, ces compétences coûtent plus cher  que la grille des salaires de la fonction publique, serait-ce une bonne raison pour ne pas faire appel à ceux qui savent faire quand l’Etat en a le plus besoin ?
• Les berlines de fonction ou de service utilisées par nos gouvernants et dirigeants publics sont-elles payées au prix du marché ou seraient-elles payées selon une grille de la fonction publique 5 à 8 fois moins cher que le marché !
• Nombreux sont nos citoyens qui dépenseraient une bonne partie de leur fortune pour couvrir leurs dépenses de santé (y compris à l’étranger) en cas de maladie grave. La bonne survie de la Tunisie ne mériterait-elle pas des sacrificestels la santé de certains citoyens !

Dans le meilleur des cas, nous en avons pour quelques années avant d’installer en Tunisie la démocratie dont la révolution nous a fait rêver depuis bientôt deux ans, n’aggravons pas notre cas en dépensant le peu d’énergie que nous avons dans des querelles partisanes ou en justifiant une attente préjudiciable. Faisons chacun de nous ses devoirs de maison. Le plus vite le pays (chaque individu, chaque famille, chaque organisation…) se remet à produire de façon responsable, le plus vite nous créerons des richesses et le plus vite nous en aurions à distribuer.

Ce n’est pas la démocratie mais le travail qui crée la richesse, en revanche c’est la richesse bien distribuée qui donne son sens à la démocratie et lui permet de bien s’installer dans la durée. Sans richesse justement distribuée, la sécurité n’est que mirage et la démocratie n’ayant pas la même saveur pour tous serait fragile et périssable !
Parlons moins, travaillons mieux, tous, ensemble et autrement.

Mounir Beltaifa

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1 Commentaire
Les Commentaires
béchir bouhlel - 04-12-2012 13:03

Le constat est pertinent. Notre pays fourmille de hautes compétences qui n'ont pu se hisser au niveau national, elles sont, dans plusieurs situations, "démissionnaires", ce qui a permit aux médiocres de prendre toute une nation en otage.

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